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JOHN M. KELLY LIBDADY
PRESENTED
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FRANCIS X. SMITH 578
BY HIS FAMILY AND
FRIENDS.
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6
Digitized by the Internet Archive
in 2010 with funding from
University of Ottawa
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http://www.archive.org/details/lesfleursanime01gran
PARIS
1 M r K I .Al É PAR EDOUARD B L 0 '1'
6 6 , U U E T c n E N >" E , (j rt
LES
FLEURS ANIMÉES
J. J. GRANDVILLE
TEXTE
ALPH. KARR, TAXILE DELORD & LE C^ FŒLIX
NOUVELLE ÉDITION
AVEC PLANCHES TRE S- SOIGNEUSEMENT RETOUCHEES
POUR LA GRAVURE ET LE COLORIS
PAR
M. MAUBERT
PEINIUE U HISTOUIE NATURELLE, ATTACHÉ AU JARDIN DtS PLANTES
TOME PREMIER
PARIS*
GARNIER FRKRES, LIBRAIRES-ÉDITEURS
(), RUE DES S AIKTS-PÈRES, ET P A L A I S - R O Y A L ^ 215
1867
LES
FLEURS ANIMÉES
3ntr^»^uction
ALPHONSE K ARE
-^xAATj^J'JXAA^^
L y a plusieurs mcanières d'aimer les fleurs.
Les savanls les aplatissent, — les dessè-
chent et les enterrent dans des cimetières
Xlr nommés herbiers, puis ils mettent au-des-
* sous de prétentieuses épitaphes en lang-age barbare.
w/"--
Les amateurs — n'aiment que les fleurs rares, et les aiment,
non pas pour les voir et les respirer, mais pour les montrer ;
2 LES FLEURS AN[MÉF.S
leurs jouissances consisleut beaucoup moins à avoir certai-
nes fleurs qu'à savoir que d'autres ne les ont pas. — Aussi
ne font-ils aucun cas de toutes ces riches et heureuses fleurs
que la bonté de Dieu a faites communes, — comme il a lait
communs le ciel et le soleil.
Quand, par un beau jour de février, — vous découvrez au
pied d'un buisson la première primevère en fleur, — vous
êtes saisi d'une douce joie, — c'est le premier sourire du
printemps.
Vous rêvez d'ombrages et de chants d'oiseaux.
Vous rêvez de calme, d'innocence et d'amour.
Mais c'est que vous n'êtes pas un véritable amateur.
»,
Si vous étiez amateur, vous ne vous laisseriez pas pren-
dre ainsi à l'improviste par ces impressions poétiques, — vous
regarderiez bien vite si, dans le cœur de la primevère, les
étamines dépassent le pistil. — Si, au contraire, c'est le pistil
qui dépasse les étamines, le véritable amateur ne peut res-
sentir aucun plaisir d'une fleur aussi incorrecte ; — c'est pour
lui moins que les cailloux du chemin; — et, si cette fleur se
INTRODUCTION 3
permettait jamais de s'épanouir dans son jardin, il l'arrache-
rait et la foulerait aux pieds.
Pour les savants, il n'y a de rose que la rose simple : —
rosa canina.
La rose double, la rose à cent feuilles, la rose mousseuse,
qui ont changé leurs étamines en pétales, — sont des monstres :
— absolument comme les savants qui d'hommes, peut-être
simples et bons, — sont aussi devenus doubles et triples par
la science.
L'amalcur — n'admet plus la rose à cent feuilles — ni la
rose mousseuse dans ses collections ; elles sont communes; —
ce ne sont plus des fleurs, — ce sont des bvuquels. — L'ama-
teur vous dit froidement : Voyez ce gain! — ce rosier, — c'est
moi qui l'ai oblenu de grains, il y a cinq ans. Il n'a jamais
voulu fleurir.
Mes amis ont tout fait pour avoir une g'refFe de ce précieux
sujet : — mais j'ai tenu bon, — j'en resterai seul possesseur.
Mais il est d'autres gens plus heureux, — qui aiment toutes
les fleurs qui leur font l'honneur de fleurir dans leur petit
4 LES FLEURS ANIMÉES
j;i,.jin, — ceux-ci doivent aux fleurs les plus pures et les
plus certaines jouissances. — Mais encore il faut les diviser
en deux classes : les uns aiment dans les fleurs certains sou-
venirs, — qui se sont cachés dans leur corolle comme les
hamadryades sous l'écorce des chênes.
Ils se rappellent que les lilas étaient en fleur la première
fois qu'ils l'ont rencontrée.
C'est sous une tonnelle de chèvrefeuille, qu'assis ensemble,
à la fin du jour, ils ont échangé ces doux serments qu'un seul,
hélas ! a gardés.
En voulant cueillir pour elle une branche d'aubépine^ il
s'est déchiré la main, — et elle a mis sur sa blessure un mor-
ceau de taffetas d'Angleterre, après l'avoir passé à plusieurs
reprises sur ses lèvres roses.
Une autre fois, — ils avaient ensemble cueilli des icergiss-
mein-nicht sur le bord de l'étang. — Il y avait des giroflées
jaunes sur les vieilles murailles de l'église de campagne oii ils
se rencontraient tous les dimanches.
Ainsi, chaque printemps, ces souvenirs renaissent et s'épa-
nouissent comme les fleurs.
INTRODUCTION 5
Mais il vient un moment oii l'on appelle tous ces jeunes et
vrais sentiments des illusions, un moment où l'on croit deve-
nir sage parce qu'on commence à devenir mort.
On est alors tout simplement en proie à d'autres illusions.
Le côté de la lorg-nette qui rapetisse les objets n'est pas
plus vrai que le côté qui les grossit.
Alors on aime les fleurs, mais seulement pour elles-mêmes.
On les aime pour leur éclat, pour leur parfum et aussi pour
les soins qu'elles vous coûtent.
On découvre alors que toutes les richesses des riches ne
sont qu'une imitation plus ou moins imparfaite des richesses
des pauvres.
On voit que les diamants, qui coûtent parfois tant de honte*
et dont on est si fier, voudraient bien ressembler tout à fait
aux gouttes de rosée du soleil levant.
On voit que les fleurs sont des pierreries vivantes et parfu-
mées.
6 LLS FLEURS ANIMÉES
On vûi( qu'un lahlcan qui ropréscnte à peu près ces trois
arbres et ceKe pelouse, — est payé cent fois la valeur de la
pelouse et .des trois arbres eux-mèiues. — Eh bien, on va
essayer d'imiter cela en marbre ou en bois, — puis, si l'artiste
arrive à réussir si bien qu'on voie tout de suite ce qu'ila voulu
faire. — il faudra abattre deux kilomètres de ces vieux hêtres
pour payer l'imitation qu'il a faite d'un seul.
C'est alors que l'on comprend que Dieu aime les pauvres, et
que, comme les petits enfants, il les laisse s'approcher de lui.
Alors aussi, retiré, blessé des luttes de la vie. — on se rap-
pelle tout ce que l'on a aimé, tout ce qui vous a trompé, — '
toutes les fleurs charmantes qui ont porté des fruits tristes et
vénéneux, toutes ces promesses devenues trahisons, toutes
ces espérances déçues.
Et quand on est enfermé entre les murs de son jardin, —
seul avec ses fleurs aimées, — on pense qu'on n'a rien à
«redouter de semblable en cette dernière affection.
Jamais aux fleurs roses du pécher ne succéderont les cap-
sules vénéneuses du datura. — comme aux charmantes fleurs
de l'amour et de l'amitié ont succédé les fruits amers de
l'oubli et de la haine.
INTRODUCTION^ 7
Et quand ces chères fleurs efleiiillent leur corolle sous les
ardentes caresses du soleil, — vous savez en quel mois et à
quel jour de l'année suivante elles reviendront à la même
place du jardin s'épanouir de nouveau, riantes, jeunes, belles
et parfumées.
Heureux ceux qui aiment les fleurs! Heureux ceux qui
n'aiment que les fleurs !
>
Alph. KARR.
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v,^ jr — ris-f'' -1
LA FEE
AUX FUEUBS
ES antiquaires et les savants ont retrouvé
et clairement indiqué l'endroit oij était
situé le paradis terrestre. Nous savons en
quels arbres était complantée la propriété
céleste, quels terrains elle confrontait au
nord, au midi, au levant et au couchant.
Grâce à cette investigation, le plan topographique de l'Éden
pourrait figurer dans les cartons du cadastre, ou dans les
dossiers du conservateur des hypothèques.
Aucun savant ne s'est occupé de fixer d'une façon exacte la
situation géographique du palais de la Fée aux Fleurs. Nous
somme obligés de nous en tenir, à cet égard, aux simples
10 LES FLEURS ANIMÉES
conji'clures. Los uns le placent dans lo royaume de Cache-
mire, les autres au siid-sud-est de Delliy; ceux-ci sur un des
plateaux de l'Himalaya, ceux-là au centre de lile de Java,
au milieu d'une de ces vastes forets dont l'inextricable et
profonde vég'étation le protég-e contre les regards indiscrets et
contre les recherches des savants antiquaires.
Nous seuls connaissons la route qui conduit au pays des
Fleurs, mais un serment solennel nous défend de l'indiquer.
Les journaux y seraient en même temps que nous, et Dieu
sait dans quel état ils auraient bientôt mis cette heureuse
contrée, qui n'a encore subi qu'une révolution, celle que nous
allons raconter.
Que le lecteur qui va nous suivre consente à laisser fermer
ses yeux par un mouchoir de" fine batiste. A'isitons ses poches
pour qu'il ne puisse faire sur ses pas la semaille traîtresse du
Petit-Poucet. Maintenant en route, et que le bandeau tombe
au moment même de l'arrivée.
Ne sentez-vous pas un air plus léger et plus suave que
celui qui nourrit ordinairement votre respiration, jouer dans
vos cheveux? Ne distinguez-vous pas, au milieu de l'obscurité
qui voile votre regard, une clarté plus vive, plus pénétrante,
plus douce que celle du ciel même de la patrie? C'est que
notre voyage est terminé, nous sommes dans les domaines de
la Fée aux Fleurs.
LA FÉE AUX FLEURS 11
Voici son jardin, oii se trouvent réunis et vivent dans une
égalité fraternelle les produits de toutes les zones, de tous
les climats, la fleur éclatante des tropiques à côté de la vio-
lette; l'aloès auprès de la pervenche. Des palmiers déploient
leurs feuilles en éventail au-dessus d'un massif d'acacias aux
fleurs blanches lavées d'une teinte de vermillon ; des jasmins
et de^ grenadiers confondent leurs étoiles argentées et leurs
flammes de pourpre. La rose, l'œillet, le lis, mille fleurs que
l'œil aperçoit sans qu'il soit besoin de les citer, groupent
d'une façon harmonieuse, ou décrivent les plus gracieuses
arabesques. Toutes ces fleurs vivent, respirent et se parlent
entre elles, en échangeant leurs parfums.
Une multitude de petits ruisseaux fuient en capricieux
méandres sous le pied des arbres, des arbustes et des plantes-
L'onde coule sur des diamants oii vient se briser et chatoyer
la lumière en reflets d'or, d'azur et d'opale. Des papillons de
toutes les formes, de toutes les couleurs, se croisent, s'évi-
tent, se poursuivent, planent, tournoient, se posent ou s'é-
lèvent sur leurs ailes d'améthyste, d'émeraude, d'onyx, de
turquoise et de saphir. Il n'y a pas d'oiseaux dans ce jardin;
mais on s'y sent enveloppé comme d'une harmonie univer-
selle qui ressemble à un de ces concerts qu'on entend en
rêve; c'est la brise qui soupire, murmure, joue et chante sa
mélodie à chaque fleur.
Le palais qu'habite la Fée est digne de ces merveilles. Un
i2 LES FLEURS ANIMÉES
Génie de ses amis a ramassé ces fils d'argent et d'br qui
voltigent, aux premières matinées du printemps, d'une
plante à l'autre; il les a tressés, enroulés, façonnés en festons
élégants. Le palais tout entier est bâti avec ce filigrane en-
chanté. Des feuilles de rose forment les toits, des liserons
bleus comblent les interstices du léger treillis, et font comme
un rideau à la Fée, qui, du reste, se trouve rarement au logis,
occupée qu'elle est à visiter ses fleurs et à songer ù leur
bonheur.
Peut-on n'être pas heureuse quand on est fleur? Cela paraît
impossible; rien de plus vrai cependant. Notre Fée en a fait
l'expérience.
Par une belle soirée de printemps, la Fée aux Fleurs, mol-
lement bercée sur son hamac de lianes entrelacées, contem-
plait paresseusement ces autres fleurs mystérieuses qu'on
nomme les étoiles, lorsqu'il lui sembla entendre des frôle-
ments lointains, un bruissement confus. Ce sont sans doute
les sylphes qui viennent faire leur cour aux fleurs, pensa-
t-elle ; et bientôt elle retomba dans sa rêverie. Mais voici que
le bruit devint plus distinct, le sable d'or cria sous des pas
de plus en plus marqués, la Fée se leva sur son séant, et elle
vit s'avancer une longue procession de Fleurs. Il y en avait
de tous les âges et de toutes les conditions; des Roses graves,
et déjà sur le retour, marchaient entourées de leur jeune
famille de boutons. Les rangs étaient confondus : l'aristocra-
LA FEE AUX FLEURS 13
tique Tulipe donnait le bras à l'OEillet bourgeois et popu-
laire; le Géranium, vain comme un financier, marchait côte
à côte avec la tendre Anémone ; et la fière Amaryllis subissait,
sans trop de dédain, la conversation passablement vulgaire
du Baguenaudier. Comme cela arrive dans les sociétés bien
organisées, au momeat des grandes crises, un rapprochement
forcé avait lieu entre toutes les Fleurs.
Des Lis, le front ceint d'un diadème de lucioles, des Cam-
panules, lanternes vivantes portant un ver luisant allumé
dans leur corolle, éclairaient la procession, que suivait, un
peu à la débandade, la troupe insouciante des Marguerites.
La procession se rangea en bon ordre devant le palais de
la Fée étonnée, et un Ellébore beau diseur, sortant des rangs,
prit la parole en ces termes :
« Madame,
« Les Fleurs ici présentes vous supplient d'agréer leurs
hommages, et d'écouter leurs humbles doléances. Voici des
milliers d'années que nous servons de texte de comparaison
aux mortels; nous défrayons à nous seules toutes leurs mé-
taphores; sans nous, la poésie n'existerait pas. Les hommes
nous prêtent leurs vertus et leurs vices, leurs défauts et leurs
qualités ; il est temps que nous goûtions un peu des uns et des
autres. La vie de fleurs nous ennuie : nous désirons qu'il
nous soit permis de revêtir la forme humaine, et déjuger par
14 LES FM.EIHS ANIMÉES
nous-mi'mos si ce que l'on dit là-liaut de notre caractère est
conforme à la vérité. »
Un nuirinure d'approbation accueillit ce discours.
La Fée ne pouvait en croire le témoignage de ses yeux et
de ses oreilles.
— Quoi ! s'écria-t-elle, vous voulez changer votre existence,
semblable à celle des divinités, contre la vie misérable des
hommes ! Que manque-t-il donc à votre bonheur ?N'avez-vous
pas pour vous parer les diamants de la rosée, les conversa-
tions du Zéphyr pour vous distraire, les baisers des papillons
pour vous faire rêver d'amour?
— La rosée m'enrhume, s'écria en bâillant une Belle-de-
Nuit.
— Les madrigaux du Zéphyr m'assomment, dit une Rose ;
il me répète depuis mille ans la même chose. Les poètes qui
sont d'une académie doivent être plus amusants.
— Que me font les caresses du Papillon, murmura une
sentimentale Pervenche, puisque lui-même n'en partage pas
la douceur? Le Papillon, c'est le symbole de l'égoïsme, il ne
pourrait reconnaître sa mère, et ses enfants ne le reconnais-
sent pas à leur tour; où aurait-il donc appris à aimer? Il n'a
ni passé ni avenir; il ne se souvient pas, et on l'oublie. Il n'y
a que les hommes qui sachent aimer.
LA FÉE AUX FLEURS ib
La Fée jeta sur la Pervenche uji regard douloureux qui
semblait lui dire : Toi aussi ! Elle comprit que ses efforts pour
calmer la sédition seraient désormais inutiles ; cependant elle
voulut faire une dernière tentative.
— Une fois sur la terre, demanda-t-elle à ses sujettes
révoltées, comment y vivrez-vous? •
— Je me ferai femme de lettres, répondit une Églantine.
— Et moi berg-ère, ajouta un Coquelicot.
— Je m'établirai faiseur de mariages, maître d'école, maî-
tresse de piano, revendeuse de toilette, diseuse de bonne
aventure, s'écrièrent en môme temps l'Orang-er, le Chardon,
l'Hortensia, l'Iris et la Marguerite.
— Le Pied-d'Alouette parla de ses débuts à l'Opéra, et la
Rose jura que lorsqu'elle serait devenue duchesse, elle se don-
nerait le plaisir de couronner force rosières.
Il y avait là une foule de Fleurs ayant déjà vécu qui assu-
raient d'ailleurs que la vie était commode et facile chez les
hommes. Narcisse et Adonis s'étaient faits les secrets instig-a-
teurs de la révolte ; Narcisse surtout, qui brûlait de savoir
quel effet pouvait produire un joli garçon dans une glace de
Venise.
La Fée aux Fleurs resta pendant quelques instants plongée
I(i [.ES FLEL'RS ANIMÉES
dans ses réflexions, puis elle s'adressa aux rebelles, d'une voix
triste, mais fcrnic :
— Alk'z. Fleurs abusées, qu'il soit fait selon vos désirs!
Montez sur la terre, et vivez de la vie des bommes; bientôt
vous me reviendrez.
C'est donc l'histoire des Fleurs devenues femmes qu'on va
lire dans ce volume. Nous avons recueilli ces aventures au
basard, en parcourant tous les pays, en interrogeant toutes les
classes de la société, sans tenir compte des dates et des épo-
ques. Les Fleurs ont vécu un peu partout, peut-être en avez-
vous connu sans vous en douter. Il est bien malheureux
qu'elles n'aient pas jugé à propos de faire des confidences,
ou d "écrire leurs mémoires, cela nous eût évité bien des
peines, bien des démarches et surtout bien des erreurs.
Pour en finir avec cette introduction, nous vous dirons que
la Fée n'accorda pas la permission demandée sans se promettre
intérieurement de se venger. Le lendemain, son jardin était
désert. Une fleur cependant était restée, la Bruyère solitaire
et qui fleurit toujours.
Symbole de l'amour éternel, elle savait bien qu'il n'y avait
pas pour elle de place sur la terre.
lilRT ET CC)01KLK:0'
HISTOIRE
Q'aoa QaruaâQS Qi^osa
D'UNE BERGERE BRUNE
ET D'UNE REINE DE FRANCE
~^ ^v"'' w'--' "^p" ® ^ ^^r '■'*)" "''jti ^~
I
ES deux plus jolies filles du village sont,
sans contredit, Bleuette et Coquelicot :
Bleuette avec ses cheveux blonds et ses
yeux bleus , Coquelicot avec sa taille
flexible et ses joues brillantes d'un rouge
vif.
— Par ma foi! disait l'autre jour M. le bailli, Bleuette est
3
j8 * IJ'S FLEURS ANIMÉES
cliMi-manlc quand elle traverse la i^rande place du village, l'air
modcsic. les ycnix baissrs !
— Vcnlrcblcu! s'rci'iait, dimancbo dernier, le seigneur du
village en voyant danser ses vassaux , cette petite Coquelicot
a une façon de l'aire en avant-deux qui ravit; je suis sûr qu'il
n'v fi pas à la cour une femme plus gracieuse qu'elle. Voilà
pourtant comment sont nos vassales.
Le fait est qu'on ne pouvait trouver deux plus jolis minois
que Coquelicot et Bleuette. Elles habitaient la même cbau-
mière, cbantaient les mômes cbansons, nourrissaient les
mêmes tourterelles ; elles avaient à elles deux un seul troupeau.
La seule cbose qu'elles n'eussent pas mis en commun, c'é-
tait leur cœur. I>leuette avait promis un tendre retour à Lucas,
Coquelicot avait juré une flamme éternelle à Biaise.
A part cela, elles étaient fort sages.
Cbacun , dans le village, aimait Bleuette et Coquelicot,
quoique le bonheur excite ordinairement l'envie. Si le loup
croquait un mouton ou deux dans les environs, ce n'était ja-
mais le mouton de Bleuette et de Coquelicot ; si maître renard
tordait le cou sans pitié aux poules de Mathurin, de Bruneau,
deTliil)aut, il respectait toujours celles de Coquelicot et de
Bleuette; la grêle en tombant épargnait les framboises de
leurs framboisiers et le raisin de leur treille; leurs ruches
étaient pleines d'un miel éblouissant; elles étaient heureuses,
si heureuses que plusieurs personnes , notamment le ma-
HISTOIRE D'UiNE BERGÈRE BLONDE 19
g'ister, soutenaient qu'elles étaient fées ou tout au moins fil-
leules de fées.
Il est certain que lorsqu'elles s'asseyaient sous un arbre,
un rossignol s'y posait aussitôt, et lorsqu'elles allaient, bras
dessus bras dessous, se promener dans les sentiers, au milieu
des blés, le cri-cri et la' sauterelle venaient sur le bord du
sillon les saluer à leur passage, et leur chanter la bienvenue,
ainsi qu'il convient à une sauterelle polie et à un grillon qui
connaît ses devoirs.
II
CE QUE LA BERGERE BRUNE & LA BERGERE BLONDE
SE DISAIENT AVANT DE SE COUCHER
— Encore une journée de bonheur qui vient de s'écouler,
ma chère Bleuette.
— Et qui recommencera demain, ma chère Coquelicot.
Regrettes-tu ton ancienne forme?
— Veux-tu cesser d'être femme?
— Non.
— Ni moi non plus.
— Nous avons bien fait de choisir ce modeste village pour
y vivre tranquillement. Le bonheur n'est qu'aux champs.
20 LES FLEURS ANIMÉES
— Avi'C Lucas, qui est si bon.
— Et avec Biaise, qui joue si bien de la musette.
— Rien n'est doux au monde comme d'être femme.
— Pour être heureuse, il fout avoir un cœur.
Puis les deux jeunes filles se mettaient devant leur miroir.
— Ne suis-je pas plus jolie que lorsque j'étais simple
Bleuet? demandait l'une.
— Oui ne me préférerait à tous les Coquelicots de la terre?
répondait l'autre.
Voilà ce que la bergère Brune et la bergère Blonde se
disaient chaque soir, après quoi elles s'embrassaient et
s'endormaient jusqu'aux premiers roucoulements de leurs
tourterelles.
III
IDEE D'UN BAILLI
Se voyant vieux, cassé, ridé, flétri, le bailli du village eut
l'idée de se marier ; et de ce qu'il était bossu, boiteux, brèche-
dent, chauve, asthmatique, il en conclut qu'il lui fallait la
plus jolie fille du village : c'est pourquoi il jeta les yeux sur
Bleuette.
HISTOIKE D'UNE BERGÉIIE BLOiNDE 21
IV
PENSÉE D'UN SEIGNEUR
Le seigneur du village habitait une tour lézardée dans la-
quelle pénétraient la pluie, le vent, la grêle, la neige, toutes
les intempéries des saisons. Il avait pour domestique un ma-
nant qui gardait les pourceaux le jour, et servait son maître
le soir; tout cela ne l'empêchait pas déparier de son château
et de ses valets. Du reste, il avait droit de haute et basse
justice sur les terres qui ne lui appartenaient plus, et pouvait
faire pendre qui lui plaisait à une lieue à la ronde.
Un beau jour que sa goutte, son catarrhe, ses rhumatismes
lui laissaient quelque répit, le seigneur vint à réfléchir qu'il
s'était contenté jusqu'à ce moment de vivre comme un
égoïste; et, en brave gentilhomme qu'il était, il prit la réso-
lution magnanime de faire partager à un être vivant les
avantages de sa position : il se décida à assurer le bonheur
d'une femme. Son choix se fixa sur Coquelicot.
V
DEUX CASAQUES TENDRES
Pendant ce temps-là, les deux bergères, sans se douter des
22 LES FLEURS ANIMÉES
honneurs qui allaient fondre sur elles, faisaient tranquillement
l'amour avec les deux bergers.
Lucas chantait son martyre avec une casaque de soie vert
tendre; Biaise faisait retentir les échos d'alentour du son de
ses rustiques pipeaux, avec une casaque d'un bleu non moins
tendre que le vert de son ami. Lucas avait les cheveux frisés
comme la laine de Robin, le mouton favori de Bleuette; les
joues de Biaise étaient si arrondies qu'il avait toujours l'air
déjouer du pipeau. Quand on les voyait ensemble avec leurs
casaques vert tendre et bleu tendre, avec leur panetière or-
née de rubans et leur houlette, tout le monde convenait que
deux bergers aussi parfaits que Lucas et Biaise ne pouvaient
aimer que deux bergères aussi accomplies que Bleuette et
Coquelicot.
Du reste, Bleuette et Coquelicot avaient promis à leurs ber-
gers d'échanger contre un baiser la première nichée de rossi-
gnols qu'ils leur apporteraient. Il n'y avait qu'un an à attendre
jusqu'à cette époque; aussi Lucas et Biaise étaient-ils les plus
heureux des mortels.
VI
REFLEXIONS PHILOSOPHIQUES
La félicité humaine est fugitive comme l'ombre.
HISTOIRE D'UNE BERGÈRE BLONDE 23
VII
REGRETS
Comme Lucas et Biaise se promenaient dans la campagne,
rêvant au bonheur qui les attendait dans un an, ils rencon-
trèrent Bleuette et Coquelicot, qui pleuraient à chaudes larmes.
Les deux berg'ers se mirent h pleurer sans trop savoir pour-
quoi. Lucas sentit le premier le besoin de demander une
explication.
— Robin, le plus beau des moutons, ma bergère, est-il
malade? demanda-t-il d'une voix couleur de sa casaque.
— Ma berg-ère a-t-elle perdu la tourterelle que je lui ai
donnée au printemps dernier? s'informa à son tour Biaise.
— Robin se porte bien, répondit Bleuette, mais j'ai vu M. le
bailli, qui m'a dit : Je veux t'épouser!
— Moi, s'écria Coquelicot, j'ai rencontré le seig-neur, qui
m'a dit : Tu seras ma femme.
Aussitôt les deux berg-ers poussèrent d'affreux gémisse-
ments. Biaise jura qu'il irait se précipiter au fond d'un g-ouffre;
Lucas voulut s'étrangler avec le ruban de sa houlette, un
ruban que Coquelicot lui avait donné!
24 LES FLEURS ANIMÉES
C'était un spectacle à attendrir les tigres d'IIyrcanie.
— Ce qu'il y a de pire, ajoutèrent les deux bergères, c'est
que le seigneur et le bailli doivent venir nous chercher ce
soir, et si nous refusons d'obéir, ils mettront sur pied leurs
archers et nous forceront à les suivre.
Les deux bergers s'écrièrent qu'on les tuerait avant de leur
ravir l'objet de leur tendresse, et tous les quatre reprirent le
chemin du village.
La chaumière de Bleuette et de Coquelicot était déjà cernée
par les soldats. Le seigneur et le bailli s'avancèrent vers leurs
fiancées. Celles-ci voulurent résister, aussitôt les archers les
entourèrent. Trop sensibles pour supporter un spectacle aussi
cruel, Biaise et Lucas s'étaient évanouis.
— Hélas ! se disaient Bleuette et Coquelicot, pendant qu'on
les entraînait, nous étions fières de notre bonheur. Mieux
valait rester pauvres fleurs perdues dans un sillon ; nous n'en
serions pas réduites à épouser un seigneur qui a la goutte, et
un bailli bossu. Adieu, Lucas; adieu, Biaise, adieu pour
jamais ! nous n'avons personne pour nous protéger, personne
pour nous sauver.
Comme elles se livraient à ces lamentations, une troupe de
villageois parut sur la route. Tous ces braves gens, les mains
pleines de rameaux verts, chantaient en chœur :
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LYS
HISTOIRE D'UNE BERGÈRE BLOiNDE- 25
0 jour Iieureux! jour d'espérance
Qui nous rend la Heine de F"rance,
Célébrons. . .
Les cris mille fois répétés de : Vive Fleur de lis î vive la
Reine de France ! empêchèrent d'entendre le reste de ce chœur
plein de poésie et de couleur locale. La Reine venait d'arriver.
Le seigneur, surpris, ne put lui offrir les clefs de son château
sur un plat d'or, ce qui le contraria beaucoup. Le bailli, pris
à l'improviste, se vit dans l'impossibilité de lui adresser un
discours, contre-temps qui l'aurait rendu malade s'il n'avait
pas dû se marier ce jour-là.
VIII
FLEUR DE LIS, REINE DE FRANCE
A la vue de la Reine, Bleuette et Coquelicot sentirent l'espé-
rance renaître au fond de leur cœur.
La Reine était belle et jeune comme elles; sa taille élevée
et flexible , son teint pâle , ses yeux d'une grande douceur,
imprimaient à toute sa personne un charme secret et puissant.
En la voyant on se sentait attiré vers elle.
Les deux bergères se précipitèrent à ses pieds, et baisèrent
les pans de sa longue robe blanche. Toutes deux pleuraient.
20 LES FLEURS ANIMÉES
La Heine les releva avec bonté, et leur demanda ce qui
pouvait causer leur chagrin.
— Le seigneur du village veut me forcer à l'épouser.
— Il faut que je devienne la femme du bailli, répondirent
à la fois Coquelicot et Bleuette.
La Reine en souriant reporta son regard des deux jeunes
filles aux deux vieillards. Ce court examen lui suffit.
— Suivez-moi, dit-elle aux suppliantes, nous aviserons. Il
ne sera pas dit que la Reine de France aura vu répandre des
larmes sur son passage, sans chercher à les essuyer.
Aussitôt le cortège se mit en marche , et les paysans sui-
virent la Reine en faisant retentir l'air de leurs acclamations ;
ils chantèrent plusieurs autres chœurs de circonstance que l'on
retrouvera facilement dans tous les opéras-comiques.
Fleur de lis avait, dans les environs, une maison de plaisance
dans laquelle, chaque été, elle venait oublier les soins du
trône et de la grandeur. C'est là qu'elle conduisit les deux
bergères. Avant de se retirer dans ses appartements, elle fit
venir le seigneur et le bailli. Au lieu de les accueillir dure-
ment, comme ils le méritaient, elle leur fit une petite semonce
plus amicale que sévère, leur montra le danger des unions
disproportionnées, leur fit voir tout ce qu'avait de criminel
l'emploi de la violence en amour, et, ce discours achevé, elle
HISTOIRE D'UNE BERGÈRE BLONDE 27
leur permit , puisque le mariage paraissait leur convenii',
d'épouser une de ses dames d'honneur qu'elle doterait riche-
ment. La plus jeune de ces dames d'honneur avait dépassé
la cinquantaine.
Cela fait, elle ordonna qu'on la laissât seule avec les deux
bergères.
— Comment, mes chères sœurs, ne me reconnaissez-vous
pas?
A ces mots, Bleuette et Coquelicot levèrent la tète. Un secret
pressentiment, un éclair rapide traversèrent en même temps
leur esprit et leur cœur.
— Le Lis! s'écrièrent-elles à la fois.
— Moi-même, répondit la Reine, qui ai deviné tout de
suite , sous ce costume de berg-ère, mes deux compagnes
Bleuette et Coquelicot. Les fleurs se doivent un mutuel appui
sur la terre; que je suis heureuse d'être arrivée à temps pour
vous sauver des entreprises téméraires de ce vieux seigneur et
de ce vilain bailli !
Les trois Fleurs se mirent alors à parler de ce qui leur était
arrivé depuis qu'elles avaient quitté le jardin de la Fée.
Bleuette et Coquelicot s'étendirent longuement sur le bonheur
d'être aimées par des bergers tels que Biaise et Lucas.
— Aimée ! murmura le Lis, oh ! oui, ce doit être bien doux!
28 LES FLKIJRS ANIMÉES
HIc'iic'llc l'I (loquelicot n'entendirent pas cette réflexion, elles
ne songeaient qu'à complimenter Fleur de lis de la position
brillante et du rang élevé qu'elle occupait dans le monde.
— Ne vous hâtez pas tant de me féliciter, reprit le Lis,
écoutez auparavant mon histoire.
Il y a plusieurs années de cela, j'habitais, sur les bords d'un
hic solitaire, un petit castel caché dans les arbres de la foret.
Le matin, je me levais avec l'aurore, et je saluais l'apparition
du soleil ; le soir, je le suivais à son déclin, et il me semblait
que son départ m'enlevait la vie, comme s'il eût été l'unique
principe de ma force; chacun de ses rayons, en disparaissant,
me laissait plus inclinée vers la terre. Les étoiles scintillantes
me rendaient ma vigueur; j'aimais, le soir, à rester assise sur
ma terrasse, et à sentir sur mon front et dans mes cheveux
trembler les perles de la rosée. Quelquefois, quand la chaleur
était trop forte, j'aimais aussi à me pencher sur le lac et à res-
pirer la fraîcheur de son onde qui me renvoyait mon image.
J'avais pour toute société une Hermine qui s'était retirée
loin de tous dans cette solitude. Soir et matin, elle venait
baigner dans le lac sa blanche et délicate fourrure. L'Hermine
me dit qu'en me voyant elle s'était sentie attirée vers moi par
une secrète sympathie; nous paraissions avoir le môme goût
de la solitude, la même horreur de tout vulgaire contact, la
môme pureté.
Sans trop m'en rendre compte, moi aussij 'aimais l'Hermine.
HISTOIRE D'UNE BERGÈRE BLONDE 29
J'aurais pu vivre ainsi toujours heureuse, grâce au soleil, aux
étoiles, à la rosée, à la fraîclieur du lac, et, je dois le dire
aussi, grâce à l'amitié de ma sage compagne l'Hermine, lors-
qu'un jour, un voyageur égaré vint frapper à la porte de mon
castel. Je fus forcée de lui accorder l'hospitalité, attendu la
violence de l'orage.
L'étranger était vêtu du costume de chasseur; il était jeune,
il avait l'air noble et franc. Il m'apprit qu'entraîné par l'ardeur
de la chasse, il s'était trouvé séparé de sa suite; ne pouvant
retrouver sa route au milieu de la tempête, il s'était décidé à
.frapper k la porte de mon château, sans espérer, ajouta-t-il,
y trouver aussi belle châtelaine.
Ces quelques mots me firent rougir.
Après lui avoir fait préparer un repas et tout ce qui conve-
nait à sa situation, je voulus me retirer.
— Pardon, dit alors l'étranger d'une voix douce et vibrante,
mais si vous me fuyez, je vais croire que, jouet d'une illusion
douce et cruelle à la fois, j'ai vu passer une fée dans mes
songes. Si vous êtes femme, restez.
Malgré moi je restai.
Comme nous allions nous mettre à table, un grand bruit de
chevaux, de cors et de fanfares se fit entendre à la porte du
château. C'était la suite de mon hô'e qui s'était mise sur ses
30 I^ES FLEURS ANIMEES
traces, et qui vonnil Iccherclier. L'inconnu, mes chères sœurs,
c'était le roi de France.
Pour prendre congé de moi. il fléchit le genou, et, prenant
ma main, il lui imprima un haiser en me disant tout bas : —
Il faut que je vous quitte, ô la plus noble et la plus belle
des belles, mais je reviendrai.
Il ne tint que trop sa promesse.
Je parlai à l'Hermine, ma confidente, des assiduités du roi
et des offres de mariage qu'il me faisait.
— Songe , répondait-elle . que la véritable g-randeur, la
véritable pureté, ne peuvent exister que dans la solitude.
Prends exemple sur le Lis. mon enfant. Il n'est si beau que
parce qu'à sa beauté il joint un air de candeur et d'innocence
qui ravit le cœur.
A cette allusion, je me sentis troublée. Hélas! pensai-je,
elle ne connaît pas l'accès d'orgueil dont le Lis a été pris le
jour oii il a demandé à cesser d'être fleur. Je me promis bien
cependant de suivre les conseils de l'Hermine.
Mais le roi mettait tant d'obstination délicate, tant de passion
ardente à me convaincre, que je finis par consentir à le suivre.
Je n'étais plus fleur, j'étais femme : ma faiblesse fut celle de
mon sexe.
Le roi me parlait du bien qu'on pouvait faire sur le troue.
HISTOIRE D'UNE BERGÈRE BLONDE 31
du charme qu'il y a à se faire aimer. Puis il ajoutait que je
(levais porter bonheur à lui et à sa race. Je me laissai cou-
ronner.
Adieu, maintenant, au soleil, aux étoiles, aux perles de la
rosée, à l'onde du lac; l'étiquette me gouverne et m'obsède, je
lang-uis au milieu de la foule des courtisans. Ma vieille amie'
l'Hermine, à qui j'avais fait accorder ses grandes entrées, ne
vint plus au palais, crainte de se souiller. L'autre nuit, j'ai eu
une vision menaçante. J'ai vu les Lis traînés dans la boue, et
une jeune et belle Reine qu'on menait à l'échafaud.
Combien je regrette le temps oii, simple fleur, j'étais le sym-
bole chéri de l'innocence ! On m'eflPeuillait alors sous les pas
des vierg-es et des chastes épouses ; les anges, porteurs des mes-
sages du ciel, s'arrêtaient un moment pour se reposer dans ma
corolle, et le lendemain ils m'enlevaient avec eux dans leurs
bras, et me présentaient aux hommes comme un gage nouveau
de la bonne nouvelle qu'ils venaient leur annoncer. Je vivais
d'air, de soleil et de lumière. Mes nuits se passaient à contem-
pler les étoiles et à m'enivrer des concerts confus qui se chan-
tent dans l'ombre, tandis que maintenant...
La Reine se mit à pleurer.
Bleuette et Coquelicot essayèrent de la consoler. Elles lui
dirent qu'il ne fallait pas s'exagérer ses chagrins, que chaque
position avait des inconvénients plus ou moins grands, et que
32 I-ES FLEURS ANIMÉES
le mallieur pour elle avait été d'en clioisir une trop élevée,
après quoi elles se citèrent comme exemple. Si, au lieu d'être
Reine, tu étais une simple villageoise comme nous, ajoutè-
rent-elles, tu ne te plaindrais pas de ton sort. Du temps que
tu étais Lis, ma chère, tu étais un peu sujette au péché d'or-
gueil; ce défaut pourrait te jouer de vilains tours, il faut t'en
méfier et prendre patience.
Ces choses raisonnables dites, Coquelicot et Bleuette deman-
dèrent à la Reine la permission de se retirer, afin d'aller tirer
d'inquiétude Biaise et Lucas, Cette permission leur fut oc-
troyée. La Reine y joignit deux gros diamants pour elles, et
deux paires de breloques pour Biaise et pour Lucas.
IX
LERETOUR
Comme elles traversaient les cours du palais, les courtisans,
qui se trouvaient là réunis en très-grand nombre, ne purent
s'empêcher de s'écrier : Palsambleu! voilà deux jolies filles !
Coquelicot et Bleuette ne tournèrent seulement pas. la tête,
en entendant ces doux propos, tant elles avaient hâte de re-
voir Lucas et Biaise.
Elles se mirent à marcher, puis à courir; les voilà franchis-
sant les hautes prairies de luzerne, foulant aux pieds le trèfle.
HISTOIRE D'UNE BERGÈRE BLONDE 33
effrayant dans le sillon l'alouette dans son nid, et la g-re-
nouille endormie sur le bord d'un ruisseau ; elles vont, elles
vont, reprenant haleine, marchant et courant tour h tour.
Si bien qu'elles arrivèrent au village avant la nuit.
Elles s'élancèrent vers la chaumière, croyant retrouver sur
le seuil Biaise et Lucas résolus à mourir de désespoir sans
quitter ces lieux chéris.
Elles rencontrèrent deux noces.
C'était Lucas qui se mariait avec Margot, la fille à Gros-
Pierre, et Biaise qui épousait Flipotte, la nièce à Gros-Jean.
Les ingrats avaient encore à leur chapeau les rubans donnés
par Coquelicot et par Bleuette.
En voyant la casaque bleu tendre et la casaque vert tendre
aux bras de leurs rivales, Bleuette et Coquelicot se sentirent
comme frappées de la foudre. Elles tombèrent pour ne plus
se relever. Lucas et Biaise perdirent ce jour-là deux cœurs
dévoués et deux jolies paires de breloques.
X
TUTTO FINISCB
Dans le cimetière du village on éleva une tombe modeste
à Bluette et à Coquelicot. Les amants des alentours y vien-
nent chaque année en pèlerinage.
34 I^I^S FLEURS ANIMÉES
Des bleuets et des coquelicots croissent en abondance au-
tour de cette tombe ; nulle part leurs couleurs ne sont aussi
vives et aussi tendres. On dirait que les fleurs ont retenu
quelque chose du caractère des deux bergères.
L'histoire chercha longtemps en vain un modèle d'héroïsme
amoureux à leur opposer.
La sauterelle et le grillon ont fixé leur séjour dans le haut
gazon qui entoure le tombeau de Bleuette et de Coquelicot.
Le jour et la nuit ils font entendre des chants tristes comme
une complainte.
Un rossignol, caché dans les branches du saule voisin, vient
aussi, avant le lever du jour, chanter ses adieux aux deux
bergères.
Les papillons et les abeilles se promènent seuls au milieu
des fleurs voisines ; le taon indiscret, la mouche bourdon-
nante n'osent pas troubler du bruit de leurs ailes le silence
du mausolée.
Toutes les fois qu'il traverse le cimetière, le magister ne
manque pas de cueillir des fleurs sur le tombeau des deux
victimes. « Mes enfants, dit-il à ses élèves en leur montrant le
bleuet et le coquelicot, celui-ci signifie délicatesse, celui-là
consolation. » Deux qualités qui n'ont pas un rapport des
plus directs avec l'histoire que nous venons de raconter; mais
nous devons nous incliner devant le magister : il connaît
mieux que nous le langage des fleurs. La jeunesse du village
HISTOIRE D'UNE BERGÈRE BLONDE 35
ne s'en plaît pas moins à lui faire des niches, quand elle en
trouve l'occasion.
Pour se disculper, aux yeux de la postérité, d'avoir causé
la mort de deux bergères aussi charmantes que Bleuette et
Coquelicot, Lucas et Biaise ont affirmé sous serment, à leur
lit de mort, qu'ils avaient cru le mariage avec le bailli et le
seigneur définitivement consommé.
Lucas et Biaise, bourrelés de remords, moururent cin-
quante ans après leurs victimes.
On écrivit sur leur tombe :
ICI REPOSENT BLAISE ET LUCAS.
ILS FURENT
BONS PÈRES, BONS EPOUX, BONS BERGERS.
QUI QUE TU 'SOIS ,
ARRÊTE, ET DONNE UNE LARME A LEUR MEMOIRE^
UNE PRIÈRE A LEUR AME.
R. I. P,
■''"'"-■-' '"'P r.ru /rl,n,,,i./
vv.^<^ ]■; ]^
ircres Editeur
COMMENT LE POÈTE JACOBIJS
CRUT AVOIR TROUVE
LE SUJET D'UN POÈME ÉPIQUE
Cbapitre
dans lequel se trouve résumé tout ce que les anciens et les modernes
ont écrit sur le langage des rieurs
OU LES FLEURS PARLENT
-£3^^^^'^^ A Pensée se promenait sur la terre, ne
sachant où se fixer.
Elle avait successivement frappé à bien
des portes sans être admise nulle part.
D'abord elle s'était offerte comme dame
de compagnie à un bas-bleu fort célèbre; elle avait essuyé
un refus.
'■^nc^-^fC' c'
38 LliS FLKIKS AiNIMÉES
l'n pliilosophe de grande renommée n'avait pas voulu de
la Pensée, même comme femme de ménag-e.
Repoussée successivement par un académicien, par un mi-
nistre, par un prédicateur, par un peintre, par un romancier,
par un sculpteur, la pauvre Pensée résolut de quitter la ville
et de reprendre le cours de ses voyages.
Elle se mit donc en route par une belle matinée de prin-
temps, peu chargée de bagage, mais ferme, résignée, prête
à supporter courageusement tous les inconvénients de sa
situation.
Enfoncée dans ses méditations, la Pensée marchait sans
s'apercevoir de la longueur du chemin; le soir venu, cepen-
dant, la fatigue la prit, et, jetant les yeux sur les environs,
elle chercha un endroit où elle pût demander l'hospitalité.
La façade d'un château brillamment illuminée resplendis-
sait à quelques pas de la route. Elle se dirigea de ce côté.
Le maître du château, la table dressée sur la terrasse, assis
sous une tente de soie, chantait, buvait, mangeait, riait avec
ses amis.
— Ouvrez-moi, fit une voix faible, qui parvint cependant
jusqu'à l'oreille des convives.
— Qui êtes-vous? demanda le maître du château. Si vous
êtes un gai compagnon, sachant charmer les heures lourdes
de la vie, entrez.
LK POÈTE JACOBUS 39
La voix répondit : — Je suis la Pensée.
— Valets, fermez les portes, chassez cette hôtesse maussade,
cette compagne importune qui fait qu'on se souvient. Ou-
t
blions ! oublions !
Le maître du château remplit sa coupe et but à l'oulili.
— J'aperçois là-bas une chaumière modeste, se dit la Pen-
sée, qui, pour se délasser un moment, s'était accoudée sur
un vase de marbre placé à l'entrée du château : les pauvres
sont toujours hospitaliers. Allons leur demander asile pour
la nuit; je suis fatiguée, et je commence à sentir les atteintes
de la faim.
Elle prit le chemin de la chaumière.
— Pan ! pan ! pan !
— Qui va là?
— L'hospitalité, s'il vous plaît?
— Si vous voulez vous contenter d'un morceau de pain,
d'un verre d'eau et d'un peu de paille fraîche, dites-moi qui
vous êtes, et entrez.
— Je suis la Pensée.
— Arrière, maudite! tu viendrais troubler mon sommeil.
J'ai arrosé le champ de mon maître de ma sueur, et mainte-
40 LES FLEURS ANIMÉES
liant il se n'jouit dans la joie des festins, tandis que ma
femme pleure et que mes enfants ont faim. Si demain je veux
avoir la force de recommencer mon travail, il faut que j'ou-
blie. Tu troubles le repos de l'àme et du corps; va-t'en, jet
ne t'ouvrirai pas.
Ainsi, ni le ricbe ni le pauvre ne voulaient de la Pensée.
Elle s'assit au rebord du fossé et laissa tomber son front dans
ses mains.
Un jeune homme vint à passer sur la route : il marchait en
regardant les étoiles et en murmurant tout bas des mots et
des phrases qui lui faisaient ouvrir énormément la bouche
et écarquiller les yeux.
Un- soupir étouffé que poussa la Pensée l'avertit qu'un être
souffrant avait besoin de son secours. Il s'approcha de la
voyageuse, lui prit la main, et, la voyant belle quoique tou-
jours grave et recueillie, il lui demanda en grasseyant un peu
pourquoi elle pleurait.
La Pensée lui répondit qu'ayant fait un long voyage, elle
a^ait vainement demandé l'hospitalité à la chaumière et au
château ; personne n'avait voulu la recevoir.
— Pauvre enfant! reprit le jeune homme en accompagnant
ses paroles d'un geste tragique.
Il passa un bras autour de la taille de la Pensée, et l'aida
LE POETE JACOBUS 41
à se relever; puis il lui montra, dans un massif d'arbres, une
petite lumière lointaine qui brillait.
— C'est la maisonnette que j'habite ; venez, vous y passerez
la nuit en sûreté. Sous quel nom faut-il que je vous présente
à ma mère ?
— On m'appelle, répondit-elle en hésitant, la Pensée.
Alors le jeune homme frappa des mains en signe de joie,
passa le premier pour indiquer à la Pensée le chemin de la
maisonnette.
A son tour, la Pensée voulut connaître le nom de son hôte.
— Je suis , lui dit-il , un homme de fantaisie connu dans la
contrée sous le nom de Jacobus le Poète.
Il vivait dans une maisonnette au milieu d'un bois, seul
avec sa mère, qui lui racontait des histoires de fées et des
légendes d'enchanteurs. Ces contes le charmaient encore,
car Jacobus avait à peine dix-huit ans; ses joues étaient
rouges, ses cheveux blonds, et ses gros yeux bleus brillaient
à fleur de tête. On le trouvait beau dans la contrée.
La mère de Jacobus, quand elle sut quelle voyageuse il
avait recueillie, voulut elle-même mettre le couvert de la
Pensée. — Nous serons bien malheureux, se dit-elle, si elle
ne donne pas à mon fils l'idée de quelque bon gros livre qui
42 LES FLEURS ANIMEES
nous rapportera de l'argent, et le fera bien venir du prince.
— Mais la Pensée s'opposa à ce qu'on fit trop de préparatifs.
Peu de chose suffit à sa nourriture; elle eut bientôt repris ses
forces, et elle se trouva en mesure de faire des observations
sur tout ce qui l'entourait.
La salle où ils se trouvaient ressemblait à une serre, tant
elle était pleine de fleurs et d'arbustes : ceux-ci grimpaient
contre les murs, celles-là s'accrochaient en arabesques au
plafond ; il y en avait qui entr'ouvraient à peine leurs boutons
à côté de leurs voisines épanouies ; d'autres dont les feuilles
déjà ternies se détachaient lentement, et pour cela n'en
paraissaient pas moins belles. Des livres ouverts ou fermés,
marqués à certains endroits de feuilles vertes, pour indiquer
les passages favoris, étaient disséminés çà et là parmi les
vases. Les rayons de la bibliothèque de Jacobus étaient des
branches d'arbuste ou des touffes de fleurs.
Le regard attaché sur la Pensée, le poète oubliait de prendre
son repas : jamais il n'avait vu de femme aussi belle, et d'une
beauté si attachante ! Il aimait surtout son œil calme et pro-
fond, qui semblait n'avoir qu'à se fixer sur un objet pour
lui communiquer aussitôt un charme plus doux, une chaleur
plus féconde.
La Pensée comprit qu'il était de son devoir de remercier
son hôte; mais Jacobus l'arrêta au premier mot qu'elle vou-
lut prononcer à ce sujet.
LE POÈTE JACOBUS 43
— La maison où vous entrez est bénie, s'écria-t-il, en
ayant soin de suivre exactement la ponctuation et de scander
chaque phrase ; votre présence seule comble l'homme de tous
les biens. C'est vous, ô Pensée, qui donnez la force à l'âme
du jeune homme et qui rajeunissez le cœur du vieillard. Avec
vous, les heures de la vie s'écoulent sans connaître la lassi-
tude et l'ennui ; sans vous, la durée des jours paraît trop
long-ue, et le temps, qui n'a plus d'ailes, vous écrase sous
son poids. Restez dans ma demeure, tout ce qu'elle renferme
est à vous ; fixez-vous près de moi, belle voyageuse ; oii seriez-
vous mieux qu'ici ?
Jacobus ne disait pas que les idées de sa mère germaient
aussi dans sa tète, et qu'il espérait mettre à profit, dans l'in-
térêt de sa gloire, le séjour de la Pensée.
Elle sourit de la naïveté du jeune poète, ce qui ne l'empêcha
pas de sentir vivement le bon accueil qu'il lui faisait. Elle
résolut de se montrer reconnaissante.
Jacobus ne put fermer l'œil de toute la nuit: l'idée de rece-
voir la Pensée sous son toit lui donnait comme une espèce de
fièvre. Son cœur battait, son front était brûlant, un feu
étrange brillait dans ses yeux. Voyant qu'il appelait en vain
le sommeil, il se leva et descendit dans la bibliothèque, pen-
sant que la vue de ses fleurs le calmerait.
Il entra donc et s'approcha d'une Aubépine. Gomme il s'in-
44 I ES FLEURS ANIMEES
clinait pour aspirer son parfum, il lui sembla entendre une
voix douce qui s'élevait du fond de sa corolle :
— Respire mon haleine, ami; une seule de mes branches,
cachée au milieu des haies, suffit pour embaumer les environs :
je suis la fleur des premiers printemps, je suis l'Espérance !
— Jacobus! Jacobus! fit une voix cristalline.
Le jeune homme se retourna et aperçut un Liseron qui le
regardait avec ses petits yeux bleus et qui lui disait : — Moi,
je me livre à tous les souffles qui passent, je cours çà et là à
l'aventure, m'accrochant aux branches du chêne, serpentant
dans la bruyère, vivant tantôt avec les g-rands, tantôt avec les
petits; ne m'oublie pas, je suis le Caprice.
— Moi, je représente les liens d'amour, s'écria un Chèvre-
feuille.
Une Clématite voulut prendre la parole, mais un Érable
l'interrompit.
— Je suis l'Érable aux fleurs éclatantes, aux branches
dures, le symbole de la réserve; écoute mes conseils, Jacobus.
Méfie-toi de la Clématite qui grimpe sournoisement le long
des murs, et montre sa petite tête aux rebords des fenêtres
oii les jeunes filles viennent rêver le soir : l'artificieuse Clé-
matite surprend leurs secrets et va ensuite en faire des gorges
LE POÈTE JACOBUS 4o
chaudes avec son camarade l'Amandier étourdi et l'Ébénier
perfide.
La Clématite voulait répondre, mais la Fougère l'en empê-
cha; elle se mit du parti de l'Érable. La sincérité de la Fou-
gère est trop connue pour que la Clématite osât se mettre en
lutte avec un tel adversaire ; elle se tut.
Jacobus ne revenait pas de sa surprise ; les fleurs vivaient,
elles lui parlaient. Il ne pouvait se lasser de les entendre.
— Songe à moi, lui disait un Lilas : j'ai des feuilles ver-
doyantes et des grappes de fleurs parfumées ; ma physionomie
a quelque chose de naïf et de coquet à la fois, je fleuris vite et
je dure ; je suis le premier amour.
— La neige brille sur les rameaux noueux du chêne et sur
le gazon de la prairie, et cependant une frange de fleurs borde
le manteau blanc des prés. Est-ce déjà le printemps? est-ce
encore l'hiver? C'est le temps oii la Primevère ouvre ses
houppes safranées. Venez cueillir la fleur de la première
jeunesse.
— Aux premiers chants du rossignol, le Muguet répand
dans l'air le parfum de ses fleurs d'ivoire. Frère du Lis, j'aime
comme lui le bord des ruisseaux, l'ombre épaisse des bois,
les solitudes de la vallée. En me voyant, l'homme songe au
printemps écoulé, à sa félicité passée, et je le console, parce
que j'annonce le retour du bonheur.
irt I.ES FLEUKS ANIMÉES
— Les al)cilles vionnont butiner sur mes fleurs, les jeunes
couples aiment à errer sous mon ombre doucement parfumée;
mes feuilles desséchées fournissent à l'homme un breuvage
bienfaisant. En moi tout est douceur, bonté, utilité. Je suis
le Tilleul, la fleur de l'amour conjugal.
— Partout on voit mes blanches étoiles scintiller au milieu
des branches ; je laisse diriger au gré de l'homme mes rameaux
souples et flexibles ; on m'étend en palissade, on m'arrondit
en tonnelle, on me déploie comme un rideau le long de la
terrasse du château, on me fait serpenter autour de la fenêtre
de la chaumière. Je me prête à toutes les exigences, je suis
heureux dans toutes les situations. Je suis la fleur de l'ama-
bilité, l'ami des papillons et des abeilles, le Jasmin!
Chaque fleur venait à son tour dire son mot à l'oreille de
Jacobus.
— Parbleu ! se dit-il, je serais un bien grand sot si je ne
fixais sur le papier ce que je viens d'entendre. Avec toutes ces
choses charmantes, j'écrirai un petit poème épique en seize
chants, qui me vaudra la place de ministre ou tout au moins
celle de premier valet de chambre du Roi.
Jacobus fit ce qu'il disait; il passa une grande partie de la
nuit à écouter les fleurs. Comme elles s'exprimaient toutes en
langage littéraire, c'est-à-dire un peu longuement, il prit le
parti do résumer leurs discours, et comme c'était un esprit
Ll^ POETli JACOBUS
47
fort méthodique, il rédigea, par ordre alphabétique, les notes
suivantes, qui devaient lui servir à composer son petit poème
en seize chants.
Absinthe. —Absence.
Acacia. — Amour platonique.
Acacia rose.— Élégance.
Acanthe. — Arts.
Acliillée. — Guerre.
Adonide. — Souvenir douloureux.
Adoxa. — Faiblesse.
Agave. — Sûreté.
Airelle myrte. — Trahison.
Alisier. — Accords.
Aloès bec de perroquet. — Caquet.
Aloès soccolrin. — Amertume et dou-
leur.
Alysse saxatile. — Tranquillité.
Amandier. — Étourderie.
Amarante. — Immortalité.
Amaryllis jaune. — Fierté.
Ananas. — Perfection.
Ancolie. — Folie.
Anémone. — Abandon.
Anémone des prés. — Maladie.
Anémone hépatique. — Confiance.
Angélique. — Inspiration.
Ansérine ambroisie. — Insulte.
Argentine. — Naïveté.
Armoise. — Bonheur.
Arum commun. — Ardeur.
Arum gobe- mouche. — Piège.
Arum serpentaire. —Horreur.
Asphodèle jaune. — Regret.
Astère. — Arrière-pensée.
Aubépine. — Espérance.
Baguenaudier. — Amusement fri-
vole.
Balisier. — Rendez- vous.
Balsamine. — Impatience.
Bardane. — Importunité.
Basilic. — Haine.
Baume du Pérou. — Guérison.
Delle-de-jour. — Coquetterie.
Belle-de-nuit. — Timidité.
Blé. — Richesse.
Bluet. — Délicatesse.
Boule-de-neige. — Ennui.
Bouquet. — Galanterie.
Bourrache. — Brusquerie.
Boulon de rose. — Jeune fdle.
Brize tremblante. — Frivolité.
Bruyère commune. — Sohtude.
Buglosse. — Mensonge.
Bugrane arrête-bœuf, — Obstacle.
Buis. — Stoïcisme.
4!^
LES FLEURS ANIMÉES
Caclier. — Amour miiternel.
Camara piquant. — Rigueurs.
Camélia. — Reconnaissance.
Campanule. — Indiscrélion.
Capillaire. — Discrétion.
CarJère. — Bienfait.
Célosie à crête. — Immortalité.
Cenlaurée-amberboi. — Félicilé.
Cerisier. — Éducation.
Chardon. — Austérité.
Charme. — Ornement.
Châtaignier. — Équité.
Chêne. — Hospilalité.
Chèvrefeuille. — Liens d'amour.
Chicorée amère. — Frugalité.
Circée. — Sortilège.
Citronnelle. — Douleur.
Clandestine. — Amour caché.
Clématite, — Artifice.
Cobée grimpante. — Nœuds.
Colchique. — Automne.
Coquelourde. — Sans prétention.
Coriandre. — Mérite caché.
Cornouiller. — Durée.
Couronne impériale. — Puissance.
— de roses. — Récomp. de la vertu.
Crinole hybride. — Tendre faiblesse.
Cuscute. — Bassesse.
Cyprès. — Deuil.
Cytise faux ébénier. — Noirceur. *
Dahlia. — Nouveauté.
Dalura. — Charmes trompeurs.
Dictame de Crète. — Naissance.
Digitale. — Occupation.
Églantier. — Homme poétique. Épilobe à épi. —Production.
Églantine. — Poésie. Épine noire. — Difliculté.
Éphémérine de Virginie. — Bonheur Épine- vinetle. — Aigreur,
éphémère. Érable champêtre. — Réserve.
LE POÈTE JACOBUS
49
Fenouil. — Force.
Ficokle glaciale. — Glaces du cœur.
Fleur d'oranger. — Chasteté.
Fougère. — Sincérité.
Fraise. — Bonté.
Fraise de l'Inde. — Apparence trom-
peuse.
Fraxinelle. — Feu.
Frêne élevé. — Grandeur.
Fritillaire couronne impériale. — Puis-
sance.
Fuchsia. — Frugalité.
Furaeterre commune. — Fiel.
Fusain. — Portrait.
Galanth perce-neige. — Consolation.
Galéga. — Raison.
Garanée. — Calomnie.
Gattilier commun. — Froideur.
Gazon. — Utilité.
Genêt d'Espagne. — Propreté.
Genêt épineux. — Misanthropie.
Genévrier. — Asile, secours.
Géranium écarlate. — Sottise.
Géranium rose. — Préférence.
Géranium triste. — Esprit mélanco-
lique.
Giroflée de Mahon. — Promptitude.
Giroflée des jardins. — Beauté du-
rable.
Giroflée jaune. — Fidèle au malheur.
Giroflier. — Dignité.
Gnapale. — Souvenir immortel.
Gouet commun. — Ardeur.
Grenadier. — Fatuité.
Grateron. — Rudesse.
Grenai'.ilie bleue. — Croyance.
Groseillier. — Reconnaissance.
Gui. — Parasite.
Guimauve. — Bienfaisance.
Gyroselle. — Divinité.
H
Hélénie d'automne. — Pleurs.
Héliotrope. — Enivrement d'amour.
Hellébore de Noël. — Bel esprit.
Hépatique. — Confiance.
Hêtre commun. — Prospérité.
Hortensie. — Insouciance.
Houblon. — Injustice.
Houx. — Prévoyance.
so
LES FLEURS ANIMÉES
Ibride de Perse.— Indifférence.
If. — Tristesse.
Immorlelle. —Souvenir immortel.
Ipomée écarlate. — Étreinte.
Iris. — Message.
Iris flambe. — Flamme.
Ivraie. — Vice.
Jacinthe étalée. — Bienveillance.
Jacinthe d'Orient. — Langage des fleurs.
Jacinthe sauvage. — Jeu.
Jasmin commun. — Amabilité.
Jasmin d'Espagne. — Sensualité.
Jasmin de Virginie. — Séparation.
Jonc des champs. — Docilité.
Jonquille. — Désir.
Jusquiarae. —Défaut.
Lauréole bois gentil. — Désir de plaire.
Laurier-amandier. — Perfidie.
Laurier franc. — Gloire.
Laurier-rose. — Méfiance.
Laurier-thym. — Petits soins.
Lavande aspic. — Méfiance.
Lierre. — Amitié.
Lilas blanc. — Jeunesse.
Lilas commun. — Première émotion
d'amour.
Lin. — Bienfaiteur.
Lis. — Majesté.
Liseron des cliamps. — Humilité.
Liseron pourpre. — Élévation.
Lunaire. — Oubli.
Luzerne. — Vie.
M
Mancenillier. — Fausseté.
Mandragore. — Rareté.
Marguerite des prés. — M'aimerez-
vous?
Marguerite reine. — Variété.
Marronnier d'Inde. — Luxe.
Mélèze. — Audace.
Mélisse citronnelle. — Plaisanterie.
Menthe poivrée. — Chaleur de senti-
ment.
Ményanthe. — Calme, repos.
Miroir de Vénus. — Flatterie.
LE POÈTE JACOBUS
51
M
; U I T F. —
Momordique élastique. — "Critique, Muguet de mai. — Retour du bonlieur.
mystification.
Morelle. — Vérité.
Mouron rouge. — Rendez vous.
Muflier. — Présomption.
Mûrier blanc. — Prudonce.
Mûrier noir. — Dévouement.
Myrobulan. — Privation.
Myrte. — Amour.
Narcisse des poètes. — Égoïsme.
Narcisse des prés. — Espérance trom-
peuse.
Narcisse jonquille. — Désir.
Nélombo. — Sagesse.
Nénupliar blanc. — Éloquence.
Noisetier. — Réconciliation.
Nympliéa jaune. — Refroidissement.
Œillet de poète. — Dédain.
Œillet des fleuristes. — Amour sin-
cère.
Œillet jaune. — Exigence.
Œillet-mignardise. — Enfantillage.
Olivier. — Paix.
Onagre. — Inconstance.
Oplirise-araignée. — Adresse.
Oplirise-mouclie. — Erreur.
Orangci'. — Générosité.
Ornilho^ale. — Paresse.
Ornilliogale pyramidale. — Pureté.
Orobranclie majeure. — Union.
Ortie. — Cruauté.
Osmonde. — Rêverie.
Oxalide-alleluia. — Joie.
Pâquerette double. — Affection.
Pâquerette simple. — Innocence.
Passiflore. — Croyance.
Patience. — Patience.
52
LES FLKURS ANIMÉES
Pavot blanc — Sommeil du cœur.
Pavot coquelicot. — Deauté éphémère.
Pensée. — Pensée.
Perce-neige. — Consolation.
Persil. — Festin.
Pervenche. — Doux souvenir.
Peuplier blanc, — Temps.
Peuplier noir. — Courage.
Peuplier tremble. — Gémissement.
Ph^alangère. — Antidote.
Pied-d'alouette. — Légèreté.
Pin — Hardiesse.
Pissenlit. — Oracle.
Pivoine officinale, — Honte.
Plaqueminier. — Résistance.
Platane. — Génie.
Polémoine bleue, — Rupture.
Polygala. — Ermitage.
Polylric à urne. — Secret.
Primevère. — Première jeunesse.
Prunier. — Promesse.
Prunier sauvage. — Indépendance.
Pyramidale bleue. — Constance.
Quintefeuille. — Fille chérie.
Raquette figuier d'Inde. — Je brijle.
Renoncule bouton d'or. — Perfidie.
Renoncule scélérate. — Ingratitude.
Réséda. — Mérite modeste.
Romarin. — Baume consolateur.
Ronce. — Envie.
Rose. — Beauté.
Rose blanche. — Silence.
Rose capucine. — Éclat.
Rose cent-feuilles. — Grâces.
Rose des quatre saisons, — Beauté
toujours nouvelle.
Rose en bouton, — Jeune tille.
Rose jaune. — Infidélité.
Rose musquée, — Beauté capricieuse.
Rose mousseuse. — Amour volup-
tueux.
Rose panachée. — Feu du cœur.
Rose pompon. — Gentillesse.
Rose simple. — Simplicité.
Rose trémière. — Fécondité.
Roseau. — Indiscrétion, musique.
Rossolis à feuilles rondes. — Surprise.
Rue sauvage. — Mœurs.
LE POÈTE JACOBUS
53
Safran. — Abus.
Sainfoin oscillant. — Agitation.
Salicaire. — Prétention.
Sapin. — Élévation.
Sauge. — Estime.
Saule pleureur. — Mélancolie.
Sensilive. — Pudeur.
Seringa. — Amour fraternel.
Silénée fleur de nuit. — Nuit.
Soleil ou hélianthe. — Fausses ri-
chesses.
Souci commun. — Peine.
Souci pluvial. — Présage.
Spirée ulmaire. — Inutilité.
Staticée maritime. — Sympathie.
Stramoine. — Déguisement.
Stramoine fastueuse. — Soupçon.
Syringa. — Amous fraternel.
Tame commun. — Appui.
Thym. — Activité.
Tigridie. — Cruauté.
Tilleul. — Amour conjugal.
Troène. — Défense.
Tubéreuse. — Volupté.
Tulipe. — Déclaration d'amour.
TuUpe vierge. — Début littéraire.
Tussilage odorant. — Justice.
Valériane rouge. — Facilité.
Véronique élégante . — Fidélité.
Verveine. — Enchantement.
Vigne. — Ivresse.
Violette blanche. — Candeur.
Violette odorante. — Modestie.
Zéphyranthe. — Douces caresses.
Le poète passa le reste de la nuit dans son fauteuil. 11 rêva
qu'on le couronnait au Capitole, et qu'il marchait revêtu d'une
robe flottante, tenant à la main une lyre d'or.
En se réveillant, la première personne qu'il vit fut la
«4 Li:S FLEURS ANIMEES
Pcnsro, qui lui souriait. 11 lui raconta ce qui lui était arrivé,
lui demandant s'il n'était pas le jouet d'un songe, et si les
fleurs pouvaient parler.
— C'est moi qui te parlais en elles, répondit la Pensée.
Désormais tu vas dépasser tes rivaux; les secrets que je
t'ai révélés, et que nul n'a connus avant toi, feront la source
de toute poésie.
Jacobus baisa la main de la Pensée, et lui demanda la per-
mission de relire les fragments écrits pendant la nuit.
A peine eut-il terminé sa lecture qu'il froissa le manuscrit
entre ses mains et le jeta à la tête de la Pensée.
— Malheureuse! s'écria-t-il, c'est ainsi que vous recon-
naissez mon hospitalité! Que voulez-vous que je fasse de
toutes ces fariboles? Mais c'est tout bonnement le langage des
(leurs que vous m'avez révélé. Il y a plus de mille ans qu'il
fut inventé en Perse par un académicien de Bagdad. Les petits
enfants me riraient au nez si je leur parlais de ces balivernes.
Sachez que nous avons changé tout cela ; les fleurs ont main-
tenant une autre signification, et, pour commencer par vous,
je vous dirai que vous n'êtes qu'une vieille intrigante : vous
venez tout simplement de paonsée, à cause de la ressemblance
qui existe entre votre forme, vos couleurs et celles du paon.
Il y a très-longtemps que les savants ont découvert votre ori-
gine véritable. Ils s'occupent de décider maintenant à quelle
LE POÈTE JACOBUS 53
fleur appartiendra le droit de représenter ce phénomène de
l'intelligence qu'on appelle pensée ; quant à cet autre phéno-
mène de la pensée qu'on nomme» souvenir, nous avons pour
le personnifier le myosotis, que tous les gens éclairés pro-
noncent vergiss mein nicht.
La mère Jacobus, attirée par le bruit, et voyant de quoi il
s'agissait, mit prudemment de côté les œufs et le café à la
crème qii'elle avait préparés pour le déjeuner de la voyageuse.
— Ma mie, s'écria-t-elle, vous nous la baillez belle avec votre
langage des fleurs. Vous nous prenez pour des Picards ou des
Percherons, que vous venez nous raconter de telles sornettes.
Je vois que vous n'êtes qu'une intrigante qu'il faut chasser;
mais auparavant, pour vous montrer qu'on ne nous mystifie
pas aussi facilement que vous le croyez, je vais vous narrer
une toute petite histoire. Écoutez-moi, mon fils, vous allez
enfin savoir pourquoi votre père a eu le bout du nez gelé.
Après avoir toussé et craché, la mère Jacobus entama le
récit suivant.
II
ou L'ON PROUVE QUE LE LANGAGE DES FLEURS PEUT FAIRE
PERDRE LE BOUT DU NEZ A UN HOMME
J'aimais Jacobus, et Jacobus m'aimait. Jeunes tous les
deux, beaux tous les deux, sensibles tous les deux, nous nous
56 I.KS FLKURS ANIMEES
('•lions promis de vivre l'un poui* l'autre. Malheureusement la
volonté do nos parents nous séparait. Notre seule consolation
était de nous écrire.
Madame Jacobus poussa un soupir, puis elle reprit son
récit :
0 ma bien-aimée! me dit un jour Jacobus, nous sommes
entourés de piég-es ; qui sait si on ne finira pas par découvrir
le creux du hêtre oii nous venons'déposer nos lettres d'amour!
Afin qu'aucun œil indiscret ne pénètre nos mystères, je t'ai
apporté ce petit livre, qui t'enseignera une langue nouvelle
inconnue au vulgaire. Apprends à la lire, et surtout à l'écrire
correctement !
Je pris le livre; il était intitulé : Cours de langage des fleurs,
en douze leçons.
Avec quelle ardeur je me livrai à cette étude ! La langue
des fleurs, à vrai dire, ne semble pas très-difficile au premier
abord : le verbe n'a que trois personnes, la première, la se-
conde et la troisième, jV, lu, il.
Voici comment il se conjugue :
« J'aime. On présente la fleur de la main droite et hori-
zontalement.
« Tu aimes. Même fleur, de la même main, mais penchée
à gauche.
LE POÈTE JACOBUS 57
(( Il aime. Môme fleur présentée de la main gauche.
« Deux fleurs indiquent le pluriel. Une fleur renversée, la
négation. Ainsi, un asphodèle jaune, la tête en bas, la tige en
l'air, signifie : Je ne vous regrette pas.
« Los temps sont au nombre de trois : le présent, le passé,
le futur. Le présent s'exprime en offrant la fleur à la hauteur
du cœur; le passée en la présentant le bras incliné vers la terre;
le fulm\ en l'élevant à la hauteur des yeux.
« S'il s'agit d'un substantif au lieu d'un verbe, on conjugue
la fleur avec un auxiliaire. Exemple : le jasmin est le sym-
bole de l'amabilité; offert droit et de la main droite, il signifie :
Je vous trouve aimable; penché à gauche et de la main droite :
Vciis me trouvez aimable. Combien votre père, ô Jacobus, était
jasmin pour moi! »
L'amour eut bientôt gravé ces principes dans ma mémoire.
L'été, un bouquet placé sur mon sein lui indiquait toutes mes
pensées ; l'hiver, quand les fleurs vinrent à nous manquer,
leur nom tracé sur le papier nous instruisait de la situation de
nos affaires. A cette époque-liî, Jacobus se préparait à faire
un voyage à Paris, pourvoir un de ses oncles de qui dépendait
notre union. Je me rappelle encore le billet qu'il m'écrivit à
cette occasion :
« L'absinthe ne peut rien contre le véritable acacia. Tu le
sais, j'ai arum serpentaire de l'airelle myrtille. Pas d'adoxa!
5,S I.KS FLEURS ANIMÉES
Anrmoiir lirpalique. Ion acaciîi en ost agave. Éloigne tout
aspliotlMc jaune, et songe à l'armoise de nous revoir.
« Myrte à la hauteur du cœur et myrte à la hauteur des yeux
for evcr.
(( Jacobus. »
Je n'eus pas besoin de recourir au dictionnaire pour tra-
duire immédiatement ce billet :
(( L'absence ne peut rien contre le véritable amour. Tu le
sais, j'ai horreur de la trahison. Pas de faiblesse! Aie de la
confiance, ton amour est en sûreté. Éloigne tout regret, et
songe au bonheur de nous revoir.
« Je t'aime et t'aimerai toujours.
« Jacobus. »
Cette lettre tomba entre les mains de mon tuteur, mais il
n'y vit que du feu.
Je bénissais le langage des fleurs, et je l'étudiais avec plus
d'ardeur que jamais, lorsqu'il faillit à me priver d'un époux,
o Jacobus! et vous d'un père.
ici Jacobus fils crut devoir essuyer une larme.
Quelques fleurs ouvrent leur corolle à une heure déterminée
du jour, et la referment à une autre heure déterminée. Linnée
en a dressé le tableau. C'est avec ce tableau qu'on compte les
heures en langage des fleurs.
LE POÈTE JACOBUS
HORLOGE DE FLORE
Minuit.
Une heure.
Deux heures. ,
Trois HEURES. .
Quatre heures.
Cinq heures . ,
Six heures. . .
Sept heures .
Huit heures . .
Neuf heures. ,
Dix heures. . .
Onze heures. .
Le Cactier ù grandes
fleurs.
Le Laiteron de Lapo-
iiie.
Le Salsifis jaune.
La grande Dicride.
La Cripidedes toits.
L'Emérocalle fauve.
L'Epervière frutiqueu-
Le Souci pluvial, [se.
Le Mouron rouge.
Le Souci jdes champs.
La Ficoïde napolitaine.
L'Ornithogale.
Midi
L'ne heure. . .
Deux heures . .
Trois heures. .
Quatre heures.
Cinq heures . .
Six heures. . .
Sept heures . .
Huit heures . .
Neuf heures. .
Dix heures. . .
Onze heures. .
La F'icoïde glaciale.
LTEillet prolifère.
L'Epervière piloselle.
Le Pissenlit taraxa
coïde.
L'Alysse alystoïde.
La Bflle-de-iuiit.
Le Céranium triste.
Le Pavot ù tige nue.
Le Liseron droit.
Le Liseron linéaire.
L'Hipomée pourpre.
Le Silené Heur de
nuit.
r
Je me souviens que ce tableau me donna beaucoup de peine
à apprendre. Il en fut de même des jours et des mois. Jacobus
m'avait prévenue qu'en fait de jours chacun était libre de se
faire un calendrier de fantaisie. Voici le nôtre. Vous pouvez
vous en servir, ajouta-t-elle en lançant un coup d'oeil sardo-
nique à la Pensée.
SEMAINE DE FLORE
Lundi Baguenaudier.
Mardi Boule de neige.
Mercredi. . . . Epine-vinette.
Dimanche.
Jeudi. . .
, . Lilas.
Vendredi. . .
. Cyprès.
Samedi. . . .
. JoiKiuilIc
. . Cirotlée.
60
LES FLEURS ANIMÉES
Poiip les mois, rien de plus simple; la nature, en faisant
fleurir chaque plante à une époque fixe de l'année, s'est
chargée de rédiger cette partie du calendrier.
CALENDRIER DE FLORE
Janvier Ellébore noir.
Février .... Dapliné bois gentil.
Mars Soklanello des Alpes.
Avril Tulipe odorante.
Mai Spirée filipeiidule.
JiiN l'avot-coiiuelieot.
Juillet. . .
. . Chironie petite centau-
Août. . . .
. Scabieuse. [rée
Septembre. .
Cy clame d'Europe.
Octobre . .
. Millepertuis de la Chine
Novembre .
. Ximénésie encéléoïde.
Décembre .
. Lopésie à grappe.
Votre père était de retour de Paris, et mon tuteur me tenait
renfermée. Je brûlais cependant de connaître les résultats de
son voyage. Je séduisis un de mes gardiens, et j'écrivis la
lettre suivante à Jacobus :
(( Pleine d'aloès soccotrin et de balsamine, il me faut à tout
prix un balisier. Mon tuteur assure que vous m'avez livrée à
l'anémone; j'ai l'aubépine que c'est un infâme buglosse.
Comme j'ai souffert depuis notre jasmin de Virginie! Votre
présence me rendra le ményanthe. Nulle clématite ne trou-
blera plus notre orobanche majeure. Je vous attends dans les
ruines du vieux château, à salsifis jaune précis. »
Ce qui veut dire :
« Je suis pleine d'amertume et d'impatience. Il me faut à
LE POÈTE JACOBUS 61
tout prix un rendez-vous. Mon tuteur assure que vous m'avez
livrée à l'abandon ; j'ai l'espérance que c'est un infâme men-
songe. Comme j'ai souffert depuis notre séparation! Votre
présence me rendra le repos. Nul artifice ne troublera plus
notre union. Je vous attends dans les ruines du vieux château,
à deux heures précises. »
Je m'en souviendrai toute ma vie; c'était un cyprès d'el-
lébore noir, autrement dit un vendredi du mois de janvier.
Je sortis pour me rendre dans les ruines du vieux château,
où j'arrivai un peu avant que salsifis jaune, c'est-à-dire la
deuxième heure, eût sonné au beffroi. J'attendis une heure,
deux heures, trois heures, personne ne vint. J'appelai Jacobus,
l'écho seul répondit à mes cris. Voyant la nuit tomber, je
rentrai chez mon tuteur, me croyant abandonnée et résolue
d'en finir avec la vie.
J'accusais votre père d'infidélité, ô Jacobus! et la seule
coupable c'était moi, ou plutôt le langage des fleurs.
Comme je n'avais pas sous la main de poison assez subtil,
je remis au lendemain mon suicide. Heureuse inspiration ! car
le lendemain j'appris que les pâtres de la vallée avaient trouvé
à l'aube un homme gelé dans les ruines du vieux château.
Cet homme, c'était votre père.
Au lieu de lui dire : Je vous attends à épervière piloselle.
02 I^ES FLEURS ANIMÉES
(jui marque deux heures de l'après-midi, je lui avais donné
rendez -vous à salsifis jaune, qui marque deux heures du
matin.
Le langage des fleurs a manqué causer la mort de votre
père et de votre mère. Voilà oi^i l'étude des langues peut nous
entraîner. Ceci vous explique pourquoi votre père a eu toute
sa vie le bout du nez gelé, ce qui ne nous a pas empêchés
d'être heureux et de n'avoir qu'un enfant.
Jacobus fils se précipita en pleurant dans les bras de sa
mère.
— Maintenant que je lui ai fait voir que j'en savais plus
qu'elle, dit la bonne dame en regardant la Pensée d'un air
menaçant, laissez-moi prendre mon balai, que je mette cette
misérable à la porte.
Mais la Pensée n'attendit pas le retour de la vieille ; elle
s'était déjà esquivée, consternée d'apprendre qu'elle venait de
paonsée.
Au lieu de représenter la plus noble des facultés humaines,
la pauvre fleur ne symbolisait plus que la beauté vaine et
inutile. Il y avait là de quoi dégoûter de la terre une personne
moins délicate que la Pensée.
Jacobus eut une attaque de jaunisse en songeant à la mys-
tification dont il avait été un moment la victime. 11 cherche
LR POETE JACOBUS
63
toujours ri(k''c qui doit lu i'aii'c ininistiv ou premier valet de
chambre du Roi. La France, qui attend depuis si longtemps
un poème, sera obligée de se contenter encore de la Henriade.
Le lecteur trouvera, dans le courant de ce volume, les
éléments du langage dos fleurs, parlé aujourd'hui par les
hommes de fantaisie comme Jacobus.
-C-^ x/ \>^>w' x^ \^ -sy \^ x^ -^'Ny ^_^^^^_/■ %>" n
QaaâSi
r r r
LA FLEUR PREFEREE
N aime les fleurs, on en préfère une à
toutes les autres.
C'est la fleur du souvenir, la fleur
de l'amour, la fleur de la jeunesse;
c'est celle qu'on cueille aux premiers
jours du printemps de la vie.
On associe le nom et les traits d'une personne aimée à l'idée
d'une fleur qui vous la rappellera toujours.
Pour les uns, c'est la rose, le jasmin, le lilas, l'héliotrope,
la verveine; pour les autres, la pervenche, la violette ou la
9
pg [.ES FLEURS ANIMÉES
pensro. Pour tous, le souvenir d'une femme est inséparable
de celui d'une fleur.
Le parfum de la fleur préférée donne une espèce d'ivresse
qui laisse la tète et porte sur le cœur.
Sa vue vous arrache au présent; vous vivez dans le pass.é,
vous revoyez l'étroit sentier où vous passiez tous les deux en
frôlant les buissons charg-és de rosée, le ruisseau qui reflétait
son image; vous entendez sa voix, sa douce voix, qui vous
appelle.
D'autres fois encore, vous vous dites : C'était la fleur qu'ai-
mait ma mère, ou dont ma sœur se parait.
Et vous pensez à votre enfance, à votre mère qui vous
reg-arde d'en haut, à votre sœur, si chaste, si pure, si belle,
que Dieu la prit pour en faire un de ses anges.
Malheur à celui qui n'a pas senti ses yeux se mouiller de
larmes à la vue d'une certaine fleur ! Celui-là n'a été ni un
enfant ni un jeune homme; il n'a eu ni mère, ni sœur, ni
fiancée; il n'a jamais aimé.
On porte la fleur préférée à sa boutonnière ; on en suspend
un rameau au chevet de son lit. on en envoie un bouquet à
ses chers amis.
La fleur préférée porte bonheur.
GHASEL «7
Il faut avoir sa fleur sur la terre, et son étoile au ciel.
Méfiez-vous de ceux qui i-iront de cette superstition.
Ma fleur préférée, c'est le jasmin.
Pendant qu'il fleurit, il nie semble sentir quelque chose de
vif, de doux, de pénétrant au fond de mon cœur, une espèce
de bien-être qui disparait quand le jasmin commence à se
flétrir.
Il existe comme une union intime entre moi et le jasmin. 11
est vrai qu'il me rappelle tant de choses!... Mais ce n'est pas
mon histoire que je veux vous raconter, vous la savez, parce
que cette histoire est aussi la vôtre.
Fleur préférée, douce et charmante fleur dont on dit le nom
tout bas, comme celui d'une femme aimée, le cœur qui ne
subit plus ta mystérieuse influence est un cœur flétri à jamais.
11 bat encore, mais il ne palpite plus; il vit, mais il a ces^é
de sentir.
Garde longtemps pour moi ton parfum, garde-le toujours,
et qu'on grave ces mots sur ma tombe :
UN SEUL AMOUR , UNE SEULE FLEUR !
f /mp.r.fft fà l
TABAC
(uii'nif r rroiv>; lùliU'
-\^^^\y ^'-
■ ^\J-^ -^r^j-^
UNE MALICE
LA FÉE AUX FLEURS
> ;S"> 9 o ^ C'C ''C o-
ous avez sans doute entendu dire que
Christophe Colomb, débarquant à Cuba,
vers l'année 1492, trouva tous les sau-
vages sur le rivage, un arc à la main, la
pipe à la bouche.
Le naturaliste de l'expédition , chargé d'examiner la
substance dont ces sauvages aspiraient le parfum, découvrit
le tabac, qui ne portait pas encore ce nom ; il lui vient de la
ville de Tabngo, cm les cigarettes naissent toutes roulées sur
les plantes.
70 Li:S FLEURS AiMMÉES
Le labac dcM'iiit s'appclci' du nom du nalurali^lc en (jucs-
tion ; mais lui aussi trouva son Anicric ^'espuc■L' dans li' sieur
Nicot(Jean), ambassadeur de S. M. T. C. François II auprès
de Sébastien, roi de Portugal.
Les savants placent l'ambassade du sieur ?sicot (Jean) dans
l'annéi' 1560.
Le tabac aurait donc été découvert vers la fin du quinzième
siècle, et introduit en France un siècle après. Le moyen âge
a fumé.
Les nez du temps de Louis XIII goûtèrent les premiers les
inefîables douceurs du tabac à priser. La tabatière de Marion
Delorme fit sensation en son temps. J'aime à croire qu'on
l'a conservée au musée Du Sommerard.
M. de La Rochefoucauld excellait dans l'art do faire tourner
une tabatière entre ses doigts et de la glisser ensuite dans la
poche de son gilet, geste qu'imitèrent depuis avec tant de
bonheur les premiers rôles de la Comédie-Française. C'est
en prisant que M. de La Rochefoucauld écrivit ses Maximes.
Avec ces quelques détails, vous en savez assez pour vous
faire une réputation d'érudit dans le monde ; c'est pour cela
que nous vous les avons donnés, car. pour notre part, nous
ne les tenons nullement pour authentiques.
Nous assignons au tabac une origine entièrement différente.
UNE MAIJCE 7i
Que Jean Nicot ait fait honimag"e, à son retour de Portugal,
d'une livre de tabac à Catherine de Médicis, ce qui fil sur-
nommer cette plante herbe à la reine ;
Que le cardinal Sainte-Croix et le légat Tornabone aient
introduit le tabac en Italie, sous le double pseudonyme à" herbe
de Sainle-Croix et de Tornabone ;
Que le tabac ait été traité de poison, et porté ensuite aux
nues sous le nom de panacée antarctique, d'herbe sainte, d'herbe
à ions les maux;
Qu'on l'ait appelé buglosse, jusquiame du Pérou ;
Que, vers 1696, les consommateurs, qui avaient lu la
Botanique de M. de Tournefort, allassent dans les bureaux
de tabac demander pour deux sous trois deniers de nicotiane ;
Tout cela est fort possible.
Que le roi Jacques I" ait écrit, en 1619, un livre contre le
tabac, intitulé Misocapnos, auquel les jésuites du Portugal ré-
pondirent par un autre livre intitulé Anti- Misocapnos ;
Qu'en 1622, Néandri ait publié la Tabacologia; en 1628,
Raphaël Thorius, son poème Ihjmnus tabaci, et qu'en 1845,
Barthélémy ait fait paraître son Art de fumer ;
Que le pape Urbain VIII ait lancé les foudres de l'excom-
munication contre tous ceux qui feraient usage du tabac;
72 LKS FLEURS ANIMÉES
Oiic l.i l'ciiic Filis<il)('tli ait défendu de priser dans les églises,
et auloi'isé les bedeaux à confisquer les labatières récalci-
trantes ;
(Jue le scliali de Perse, Amurat IV et le grand-duc de Mos-
covie aient interdit l'habitude de fumer et de priser, sous
peine d'avoir le nez coupé;
Qu'aujourd'hui, enfin, le tabac rapporte à l'Etat, malgré le
Msucnpiios, l'excommunication d'Urbain VIII et les édits
d'Amurat, plus de cent millions par année;
Tout cela peut être de l'histoire ; mais la vérité est que la
Fée aux Fleurs ne pouvait se consoler du départ de ses com-
pagnes.
Dans sa douleur, elle cherchait à leur jouer quelque bon
tour de sa façon.
Les fleurs, se dit-elle, sont devenues femmes. Comme
telles, les hommages des hommes leur sont nécessaires. Elles
se dégoûteraient bien vite de la terre,, si je trouvais un moyen
de les leur enlever.
Elle songea alors à un Génie jeune, beau, brillant; Génie
à bonnes fortunes, s'il en fut jamais, qui avait renoncé tout
à coup au commerce des fées, et s'était retiré dans sa grotte
pour se livrer tout entier au plaisir de fumer.
Il avait la plus belle collection de pipes qu'il fût possible
UNE MALICE 73
de voir. Tantôt il fumait dans une perle, tantôt dans une rine-
raudc taillée, tantôt dans une noix d'oi' vierge. Il av:iit un ta-
lent particulier pour communiquer aux pipes celle teinte
chaude et foncée, cette espèce de cuisson dorée qui en rehausse
tant la valeur. Rien ne résistait à ses aspirations savantes et
mesurées. Pour nous servir du langage vulgaire, nous dirons
que le Génie était parvenu à culotter le diamant.
Qu'est-ce que la femme en Orient, dans les pays oh l'on
fume l'opium? Un jouet, rien de plus. Les hommes, perdus
dans les délices infinies de l'ivresse, ne songent pas aux
femmes, ou s'ils s'en occupent, c'est pour en faire le jouet de
leurs bizarres caprices. La Chinoise n'a plus de pieds, son
teint disparaît sous une couche de plâtre, on lui rase les sour-
cils; c'est un animal curieux, une image de paravent vivante
dont le maître s'amuse entre deux extases. L'opium n'est
point approprié au climat de l'Europe, se dit la Fée aux
Fleurs, remplaçons-le par le tabac.
En apprenant aux hommes à fumer, ils feront comme le
Génie, ils s'éloigneront des femmes. J'ai trouvé ma vengeance.
Et le tabac fut inventé.
Nous ne savons pas quels moyens elle employa pour ré-
véler les vertus de cette plante à la terre; si elle se servit de
l'intermédiaire des habitants de Cuba et de Jean Nicot. Ce
qu'il y a de certain, c'est qu'il n'existe pas une femme au-
jourd'hui qui n'ait à se plaindre du tabac.
10
74 LKS FLEURS AMMliKS
Lo mari drscrtc 1(> min du f(Mi ol al)an(lonno sa fomnie pour
aller riiincr au cercle ou à l'estaminet.
Les causeries de salon sont d^'laissées, tant les hommes ont
Iiàte de rejoindre cet ami qui les altend à la porte de l'hôtel,
le cig'are.
Si le moment des reproches arrive entre un amant et une
maîtresse, la malheureuse n'a plus la ressource des longues
récriminations, des accusations amères. Qu'elle parle pour-
tant, on l'écoutera avec patience et résignation : on vient d'al-
lumer un cig'are.
Voyez ce jeune homme qui se promène rêveusement sous
les arbres ; est-ce le portrait de sa bien-aimée qu'il tient
entre ses mains, et qu'il contemple si amoureusement? —
C'est son porte-cigares.
Il est vrai que peut-être elle le lui a brodé. C'est le seul
souvenir qu'on accepte aujourd'hui.
Le tabac est le dieu de l'humanité. Si jamais le rêve des
utopistes se réalise, si les nations de l'Europe finissent par ne
plus former qu'une seule famille, voici à coup sûr quelles se-
ront les armoiries adoptées par la société nouvelle : Une tige
de tabac étendant ses racines sur une mappemonde écartelée
de pipes, portant de cigares sur champ de blagues aunarguilé
embrasé.
Un moment la Fée aux Fleurs put croire à la réussite de son
UNE MALICE
75
entreprise : les femmes étaient complètement délaissées, leur
empire avait cessé d'exister. Ouelques maris parlaient même
déjà d'enfermer leurs femmes dans un sérail, de leur dislo-
quer les pieds, de leur percer le nez avec des os de poisson,
et de les peindre en bleu.
Mais les femmes ont conjuré l'orage, et leur abaissement
n'a pas été de longue durée ; elles ont bien vite trouvé un
moyen de reconquérir l'homme : elles se sont mises à fumer.
La Fée aux Fleurs, si elle veut parvenir à son but, doit
songer à faire mouvoir d'autres ficelles.
LIED
LA FLEUR DU PAYS
'^^^-^ iiAQUE pays a sa fleur. La Bretagne a le ge-
nêt ; l'Auvergne, la lavande; la Normandie,
^ la fleur étoilée du pommier; le lis se plaît
dans les vallons de la Touraine; les prés du
Languedoc sont émaillés des plus belles
'^■^ marguerites, et les ruisseaux du Berrr sont
bordés des muguets les plus frais.
Connaissez-vous la cassie? C'est la fleur de la Provence, la
fleur de mon pays.
Sa feuille est découpée comme une dentelle ; elle fleurit à
l'automne sur un buisson épineux. Quand les roses se sont
78 LES FLELRS ANIMEES
faiircs. quand lo chèvrefeuille n'a plus de fleurs, quand le
grenadier inodo)-e arbore ses aigrettes éclatantes, la cassie
répand son parfum pénétrant.
Sa tige est si courte qu'on n'en peut faire des bouquets; les
jeunes filles la tiennent entre leurs lèvres vermeilles, sur les-
quelles elle brille comme une petite boule d'or.
Envoyant la fleur du pays, l'exilé songe au retour, et, en
aspirant son parfum, il croit un moment sentir les brises de
la terre natale.
J'ai vu des lis fleurir sur la rive étrangère : chaque fois
que le vent courbait leur haute tige, il me semblait qu'ils in-
clinaient leur tète pour saluer un compatriote, un ami.
Pauvres lis! je les trouvais plus penchés, leur calice pâle
était mouillé de larmes; on eût dit qu'ils regrettaient la France
ainsi que moi.
Comme en entendant les cloches du lieu natal, ou le refrain
d'une mélodie qu'on vous chantait dans votre enfance, on
pleure à la vue de la fleur du pays !
Elle vous regarde, elle vous reconnaît, elle vous parle : Je
suis ta sœur, ramène-moi sur la colline, dans le vallon, au
milieu des prés, sur les bords du ruisseau oii je suis née.
Là, les vents sont plus doux, l'onde plus fraîche, les bois
LA FLEUR DU PAYS 7'J
plus murmuranls, le chant des oiseaux plus harmonieux. Je
languis loin de la patrie ; emmène-moi, emmène-moi !
Voilà ce que dit la Heur du pays.
Heureux ceux qui la trouvent sur leur passage, car c'est la
voix consolante du souvenir qui vous parle dans sa corolle
parfumée.
Le g"enêt d'or, la lavande à l'épi bleuâtre, le lis penché, les
blanches marguerites, les muguets frais et odorants croissent
dans bien des lieux ; mais il est une fleur qu'on ne trouve
qu'en Provence : c'est la cassie, la fleur de mon pays.
TTLIPE
'-/^ ^ \y K/~\y \y\j' \
LA SULTANE TULIPIA
LE REVE DE VAN CLIPP
ORTANT une riche carg-aison de denrées
coloniales, sucre, café, indigo, épices de
tous les g-enres, le navire de mein heer
Van Glipp filait ses douze nœuds à l'heure.
Tout présageait un heureux voyage.
Assis à ia proue, le digne armateur fumait tranquillement sa
pipe, en songeant au moment oii il re verrait sa petite maison
de Harlem, si propre et si reluisante, son jardin si coquette-
ment ratisse, et surtout ses chères tulipes.
Il
82 LES FLEURS ANIMÉES
Mein liccr Van Clipp avait versé des larmes bien amères,
quand il lui avait fallu quitter ses fleurs de prédilection. La
mort d'un frère, dont il était l'unique héritier, l'avait conduit
à Java. La succession liquidée, il revenait dans sa patrie avec
sa fille, l'incomparable Tulipia. Son père avait voulu que la
plus belle des filles portât le nom de la plus belle des fleurs.
Elle le justifiait, du reste, d'une façon complète; car si ses
couleurs fraîches et éclatantes, son port majestueux, excitaient
l'admiration, elle manquait de cette vivacité, de cette ardeur
d'esprit et de corps qui forme la g-râce la plus séduisante de
la jeunesse : la tulipe n'avait pas de parfum.
Tout en fumant sa pipe, Yan Clipp repassait dans son esprit
tous les plaisirs qui l'attendaient en Hollande. D'abord, les
embellissements à faire à sa serre, sa collection de tulipes à
augmenter; oh ! pour cela, aucun sacrifice ne devait lui coûter;
puis, mettant à profit ses loisirs, il terminait son grand ou-
vrage sur les tulipes, contenant l'histoire de cette fleur depuis
la création du monde jusqu'à nos jours.
La matière était féconde, et Van Clipp en avait déjà traité
une partie. Il apprenait d'abord comment on donne à la tulipe
toutes les nuances du prisme, depuis la couleur la plus tran-
chée jusqu'au reflet le plus indécis; comment on en obtient
de tachetées ; comment les unes naissent mouchetées, cou-
pées de zébrures, semées de flammes et de broderies; les au-
tres, fouettées de vingt nuances, jaspées, panachées, paran-
gonnées, couvertes de petits yeux.
LA SULTANE TLLIPIA 83
Passant ensuite à l'histoire, Van Clipp racontait les mesures
sévères adoptées par les états généraux pour interdire à tout
Hollandais, sous peine d'exil et de confiscation de ses biens,
le commerce des tulipes.
11 est vrai que le goût des tulipes avait été poussé jusqu'à la
folie. Tout l'argent du pays s'engloutissait dans des pots à
fleurs. Le Vice-Roi avait coûté trente-six sacs de blé, soixante-
douze sacs de riz, quatre bœufs gras, douze brebis, huit porcs,
deux muids de vin, quatre tonneaux de bière, deux tonnes
de beurre salé, cent livres de fromage et un grand vase d'ar-
gent. Dixognons de tulipes, vendus aux enchères publiques,
avaient produit quatre-vingt mille francs. Un amateur offrit
douze arpents de terre pour un seul petit ognon. Un paysan,
trouvant sur le secrétaire de son maître quelques ognons de
tulipes, les mit en salade, croyant qu'il s'agissait d'ognons or-
dinaires : cette salade valait cent mille francs.
Il parlait de l'influence de la tulipe sur tous les peuples
en général, et sur les Turcs en particulier, qui ont eu le
bon goût d'emprunter la forme de cette fleur pour leur
coiffure.
Un chapitre tout entier était consacré à la description de la
Fêle des Tulipes, qui se célèbre chaque année avec une grande
pompe, au commencement du printemps, dans le sérail du
Grand Seigneur. Le tout était écrit en latin, comme il con-
vient à un livre de cette importance et de cette gravité.
84 LES FLEURS ANIMÉES
Pendant que son père rêvait ainsi à la félicité future, la
belle Tulipia dormait dans son hamac.
Yan Clipp allait allumer sa seconde pipe, lorsqu'une vio-
lente détonation se fit entendre, et un boulet vint se loger
dans les sabords.
— Qu'est-ce que cela signifie? demanda Van Clipp.
— Cela signifie, répondit le capitaine, que nous sommes
attaqués par un corsaire barbaresque.
— Il faut nous défendre.
— Avec quoi ? avec cette longue vue ?
Un second coup de canon partit, et un second boulet coupa
en deux le mât de perroquet.
Le capitaine donna ordre d'amener le pavillon.
En une heure de temps. Van Clipp, sa fille, la belle Tulipia,
son sucre, son café, son indigo, ses épices, passèrent à bord
du corsaire. Un mois après, le digne Hollandais bêchait le
jardin d'un vieux Turc, qui, en guise de tulipes, lui faisait
cultiver des choux et des navets. Sa fille avait été réservée
pour le harem du sultan.
LA SULTANE TULIPIA 85
II
LE HAREM
Le sultan Shahabaam, dévisageant, pour la première fois,
la belle Tulipia de son regard d'aigle, s'écria tout de suite :
C'est une Gircassienne !
En conséquence, il la nomma sultane favorite.
Ce poste était brillant, mais glissant en diable avec un
prince aussi fantasque, aussi capricieux, aussi avide de plai-
sirs que le sultan Shahabaam.
Aussi, le crédit de Tulipia, qui d'abord fut sans borne,
baissa-t-il peu à peu. Shahabaam commença par lui préférer
un ours, puis des poissons rouges. Au bout de trois mois, il
n'était question au sérail que de la promotion prochaine d'une
actrice des Variétés, captive depuis peu, au grade de sultane
favorite.
Si Tulipia avait eu autant d'ambition que de beauté, elle
eût longtemps conservé sa puissance ; mais elle était noncha-
lante, son esprit manquait de mouvement ; elle ne savait ni
chanter, ni danser, ni faire des calembours, ni deviner des
rébus, ce qui était un grave défaut aux yeux d'un maître
aussi subtil que Shahabaam.
80 LES FLEURS ANIMÉES
Les appartements de la sultane favorite donnaient sur un
magnifique jardin. Les persiennes ouvertes laissaient parvenir
la fraîcheur de la brise, qui se jouait dans les stores aux
reflets éclatants. Tulipia, couchée sur son ottomane, versait
des larmes, et prononçait le discours suivant en phrases en-
trecoupées :
— Pourquoi faut-il que le sort m'ait donné pour maître un
sultan aussi spirituel que Shahabaam. Je suis belle, mais voilà
tout. La Tulipe n'a pas d'autres avantages que la figure.
J'avais déjà si bien choisi mon existence une première fois.
J'ai voulu vivre et je me suis faite Hollandaise. Il semblait
que le hasard eût pris à tâche de me favoriser encore en me
faisant tomber entre les mains d'un corsaire barbaresque.
N'avais-je point, en effet, toutes les qualités d'une odalisque,
dont tous les devoirs se résument dans ces deux mots :
Plaisir, beauté! Comme tout cela a mal tourné ! Quelqu'une
de vous connaît-elle la rivale que Shahabaam me préfère?
La Tulipe s'adressait à un groupe de femmes assises sur un
tapis à ses pieds.
Comme le lecteur clairvoyant n'aura pas manqué de le
deviner, ces femmes étaient autant de fleurs qui avaient
choisi le sérail pour y fixer leur résidence : les unes, comme
la Tubéreuse et la Capucine, par suite de leur nature ardente
et voluptueuse ; les autres par insouciance, comme l'Hortensia
et la Boule-de-Neige.
LA SULTANE TULIPIA 87
— Tu as affaire à forte partie, ma chère Tulipe, répondit
la Capucine : cette actrice des Variétés n'est autre que notre
sœur la Rose-Pompon, dont vous connaissez la spirituelle
gentillesse.
Je suis perdue ! s'écria douloureusement la Tulipe. Avec
tout autre que Shahabaam, je n'hésiterais pas à combattre la
Rose-Pompon ; mais avec lui, c'est impossible !
III
SULTAN SHAHABAAM
Le sultan Shahabaam, qui devait, quelques années plus
tard, étonner les Parisiens par la force de ses reparties et la
profondeur de son esprit, sortait à peine, à cette époque, de
lajpremière jeunesse. Aussi bon administrateur qu'habile po-
litique, sa maxime favorite était celle-ci : Fais ce qui te plaît,
advienne que pourra.
Après la passion d'assurer le bonheur de son peuple,
Shahabaam n'avait pas de distraction plus g-rande que celle
de faire des ronds en crachant du haut des créneaux de son
palais dans la mer. Il tenait ce goût de son aïeul Shaha-
baam I", dit le Grand.
Un jour il fit cette réflexion, qu'un objet plus lourd qu'un
88 LI-S FLEURS ANIMEES
peu de salive ferait, en tombant dans la mer, un rond plus
g-rand, et, par conséquent, plus agréable à l'œil. Il cliercha
quel objet il pouvait choisir pour cet usage, et, insensible-
ment, ses idées se reportèrent sur la sultane favorite.
— Décidément, se dit-il, cette Tulipia est béte comme une
oie ; oui et non, voilà tout ce qu'on en peut tirer. Une femme
sans esprit est comme une fleur sans parfum, ainsi que je l'ai
dit dans la dernière séance du conseil d'État. Il me faut
une autre sultane favorite. D'ailleurs, je soupçonne celle-ci
d'entretenir des relations avec un jeune Grec. Je puis me
tromper, mais il me plaît de croire que je ne me trompe
pas : cela suffit.
Shahabaam manda le chef des eunuques, et lui dit quel-
ques mots à l'oreille.
IV
UN ROND DANS LA MER
Le môme jour il y eut faite au sérail, pour célébrer l 'avè-
nement de Rose-Pompon, la nouvelle sultane favorite. Dan-
ses, jeux de bague, tir à l'arbalète, loterie de macarons,
ombres chinoises, rien ne fut épargné pour rendre la fête
digne de celui qui la donnait et de celle qui en était l'objet.
Avant le coucher du soleil, Shahabaam, suivi de toute la
LA SULTAM'] TLLIPIA
89
cour, monta sur la tour la plus haute du palais. Quatre escla-
ves l'attendaient, tenant un sac de cuir dans lequel semblait
se -mouvoir une forme humaine. Les esclaves balancèrent
pendant quelques minutes leur fardeau, et, sur un signe du
maître, ils le lancèrent par-dessus les créneaux.
Shahabaam se pencha en dehors de la plate-forme, suivit
du regard la chute du sac dans les flots, et, quand l'eau se
•fut refermée, il se retira en s'écriant : Oh î le magnifique
rond !
Ce magnifique rond, c'était le corps de l'incomparable
Tulipia qui l'avait produit en tombant dans la mer.
On se raconta pendant quelques jours l'histoire de la fin
tragique de la pauvre sultane, puis on n'en parla plus; per-
sonne ne la regi-etta : la beauté sans intelligence laisse peu
de traces dans le souvenir.
12
// /
rosh:
'■Véres F.lifr
FRAGMENTS PRIS AU HASARD
L'ALBUM DE LA ROSE
-° -S !!S:-'^-g>-o<
EST par une (belle matinée de mai que je
fis ma première apparition sur la terre.
L'air était plein de parfums et de doux
murmures d'amour ; les feuilles venaient
d'éclore, l'alouette chantait dans un rayon
de soleil, la bergeronnette trottait le long- des buissons.
92 LES n.ElRS ANniÉES
Je jetai Ic'^ yeux autour de moi ; un frelon doré se roulait
sur le sein dune rose entr'ou verte à l'aurore.
Pauvre sa'ur ! me dis-je, elle n'a pas osé, comme moi.
briser son enveloppe et s'élancer vers une nouvelle vie ; elle
est condamnée à subir les embrassements d'un insecte vul-
gaire ; ce soir, ses feuilles souillées et flétries couvriront le
sol autour d'elle.
Heureuse d'être femme, je poursuivis mon chemin.
— Où allez-vous donc si matin, la jeune fille aux fraîches
couleurs? me dit un jeune paysan. Etes-vous la déesse de
Mai qui vient parcourir ses domaines ?
— Holà ! mon joli bouton de rose, me cria un beau cava-
lier, que faites-vous si tard sur la route? ?se voyez-vous pas
que le soleil s'est levé ? Ses rayons vont brûler votre teint
vermeil ; montez en croupe et venez avec moi : le galop de
mon cheval est rapide, et le sentier qui mène à mon château
est bordé d'arbres verts et d'aubépines en fleur.
Je suivis le beau cavalier.
Temps heureux de ma jeunesse, sous quelles riantes cou-
leurs vous vous présentez à mon souvenir !
J'étais entourée d'hommages et de flatteries : mes moindres
désirs étaient à l'instant satisftiits. On me disait sur tous les
ALBUM DE LA ROSE 93
tons que j'étais belle; vingt poètes se disputaient l'honneur
de m'adresser des sonnets. Je n'avais aucun vo'u à former,
et pourtant je désirais quelque chose.
A tout prendre, je n'étais qu'une reine champêtre, régnant
sur de simples villageois et sur quelques vieux littérateurs
retirés à la campagne. Il me fallait le bruit de la ville, les
hommages de la cour.
Une nuit, je quittai le château pour suivre furtivement le
gouverneur de la province, nommé à une des grandes charg-es
de l'État.
Dire quelle sensation produisit mon arrivée dans la capitale,
est chose impossible. Jamais rien de plus parfait ne s'est oflert
à nos regards, disaient les courtisans. Le roi demanda à me
voir et devint éperdument amoureux de moi
Bénie soit l'heure ofi j'ai quitté le jardin de la fée, me di-
sais-je souvent; la rose sur sa tig-e reçoit le tribut d'admira-
tion universelle, et moi, seule rose vivante, je lui dispute le
sceptre de la beauté. Comme fleur et comme femme, mon
amour-propre goûtait les douceurs d'un double triomphe.
Le roi s'épuisait pour moi en attentions délicates ; il m'avait
surnommée sa rose précieuse, et institua dans le goût des jeux
9i LES FLEURS ANIMEES
Olympiques, sous le nom de Jeux de la Rose, un concours en
mon honneur pour déterminer quelle était l'origine de cette
fleur. Le vainqueur devait recevoir une couronne de mes
mains et un baiser de mes lèvres.
La valeur de la récompense à mériter mit le feu à toutes les
imaginations de l'empire. Plus de six cents poètes se présen-
tèrent au concours.
Un premier poète s'avança et se mit à chanter l'epibarras
de la terre au moment où Vénus sortit de l'écume des flots.
Comment orner le front d'une aussi belle créature ! La terre
fit naître la rose, et le problème fut résolu.
Un second poète raconta comment la rose s'échappa du sein
de l'Aurore jouant avec le jeune Tithon.
Ce n'est point la terre, ce n'est point l'aurore, c'est une
déesse qui nous a donné la rose, s'écria un troisième poète.
Voici son origine, et il chanta les strophes suivantes en s'ac-
compagnant de la lyre à trois cordes :
I
De toutes les jeunes filles de Corintlie, la plus belle est Rodante. Junon n'a
pas une démarche plus noble, et son teint est plus blanc que le plumage même
des colombes de Vénus.
II
Mais Rodante est insensible à l'amour, elle s'est consacrée à Diane.
ALBUM UE LA ROSE 9o
m
Cependant les plus beaux et les plus riches jeunes gens de Corintlie n'ont
point renoncé à l'espoir de toucher son cœur; ils suspendent des guirlandes de
fleurs à sa porte, et font des sacrifices à Cupidon pour qu'il la rende moins cruelle.
IV
Un jour Criton, fils de Cléobule, et l'ardent Clésiphon rencontrent Rodante et
la poursuivent jusque dans le temple de Diane, où elle s'est réfugiée. Rodante ap-
pelle le peuple à son secours; il arrive, et la voyant si belle, si noble, si pudique,
la foule s'écrie : C'est Diane elle-même, c'est la chaste déesse ! adorons-la et pla-
çons-la sur le piédestal.
Rodante pria Diane d'empêcher cette profanation. La déesse, touchée de ses
larmes, la changea en rose'.
VI
Depuis ce jour, les Corinthiens vouèrent aux roses un culte particulier, et
prirent pour symbole de leur ville une jeune fille au front couronné de roses.
Il dit, et un murmure d'approbation succéda à son chant.
D'autres poètes se présentèrent ensuite.
L'un parla du désespoir de Vénus à la mort d'Adonis. Elle
couvre de ses larmes le corps du beau chasseur; elle veut le
rappeler à la vie. Efforts inutiles : l'arrêt de Jupiter est irré-
vocable. Du moins, s'écrie la déesse, que son sang- n'ait point
1. ïlosé, en grec, rodon.
96 LES FLELKS AMMKES
coulé inutilement, et que de la terre rougie sortent des touffes
de roses comme pour eiiibaiiincr le cadavre d'Adonis.
L'autre nous dit les ruses de Zépliyre amoureux de Flore.
Rien ne pouvait toucher le C(eur de la déesse, ni les parfums
semés sur ses pas, ni les l'raîclies brises se jouant autour de
son front, ni les vers harmonieux chantés dans le feuillage :
Flore n'aimait que ses fleurs. Zéphyre se chang'e en une fleur
si belle que Flore s'approche pour l'admirer. Attirée par son
parfum, elle se penche enivrée, éperdue, entraînée par un
charme secret; elle dépose un baiser sur sa corolle. C'est ainsi
que se consomma l'union de Zéphyre et de Flore.
Cette fleur, c'était la rose.
La plupart des poètes se rallièrent à ces opinions, sauf
quelques légères variantes. Il y en avait, par exemple, qui
prétendaient que la rose était née, en même temps que Vénus,
de l'écume des flots, et qu'elle avait conservé sa couleur
blanche jusqu'au jour oi^i Bacchus laissa tomber une goutte
de sa liqueur divine sur la rose qui ornait le sein d'Aphrodite.
D'autres soutenaient qu'au banquet des dieux, l'Amour
ayant renversé, d'un coup d'aile, la coupe pleine de nectar
que le maître des dieux allait porter à ses lèvres, quelques
gouttes tombèrent sur la couronne de roses blanches de Vénus.
Depuis, les roses conservèrent la couleur et le parfum du
nectar.
ALBUM DE LA ROSE 97
Aucune de ces versions ne satisfit le roi. Il ordonna néan-
moins que de riches présents fussent faits aux poètes, et le
coDCours fut renvoyé à l'année suivante.
C'est pendant cette année que croulèrent le paganisme et
l'empire romain. Le règne des courtisanes et des roses sem-
blait fini pour jamais.
J'ai remarqué que mon existence comme femme a constam-
ment dépendu de mon existence comme fleur ; j'ai été heureuse
ou malheureuse, fêtée ou délaissée, selon que les hommes ont
plus ou moins aimé la rose
Les derniers siècles de Rome n'aimèrent qu'un seul g-enre
de femmes, les courtisanes ; ils ne connurent qu'une fleur,
la rose.
Marc-Antoine, à son lit de mort, voulut qu'on le couvrît de
roses.
Pour retrouver sa première forme, l'âne d'Apulée n'eut qu'à
manger des roses.
Les anciens jetaient des roses sur les tombeaux et venaient
chaque année offrir des mets de roses, romk^ escœ, aux mânes
de leurs parents et de leurs amis.
13
9S LES FLEIRS AMMELS
('/est le fiont couronné de roses que les convives échan-
geaient entre eux la coupe des festins.
Les peintres égayaient le front mélancolique d'Hécate d'une
couronne de roses. ^
On plaçait sur la ta])k' un vase dont rouverturo était cachée
par des roses. Ces roses étaient l'emblème gracieux de l'ai-
mable discrétion qui doit suivre les gais propos échappés à la
gaieté delà table. Malheur au profane qui eût découvert le pot
aux roses.
C'était le temps où ?séron partageait le trùne avec Poppée,
et lui faisait rendre les honneurs divins.
Je m'appelais alors Lesbie : javais une villa à Pœstum. où
les poètes venaient me réciter leurs odes.
Le christianisme rendit un culte à la rose, mais la fleur de
Vénus devint la rose mystique, la sœur du lis: elle fit péni-
tence de ses péchés.
Les mains des jeunes filles effeuillèrent dans les proces-
sions des roses devant la croix.
Les autels des églises champêtres furent parés de roses.
ALBUM DK LA ROSE 99
La main qui donne la bénédiction à la ville et au monde,
urbi et orhi, s'étend aussi chaque année sur les roses, pendant
ce jour appelé dominica in rosa.
L'étendard que Charlemagne reçut du pape était parsemé
de roses.
Les anges descendaient du ciel pour offrir des roses à une
sainte, ainsi que le témoigne la vie de sainte Dorothée.
Des guirlandes de roses pendaient à la harpe de sainte
Cécile.
Dieu changea en roses le pain accusateur qui devait con-
duire à la mort la sainte duchesse de Bavière.
Pendant ce temps-là, il ne restait aux pauvres femmes de
ma sorte qu'à imiter l'exemple de Madeleine. Je me réfugiai
donc dans une g'rotte, oii je vécus, pendant plusieurs années,
de prières et de racines. (Ici manquent viwjl et un feuillets.)
J'apprends, par un exilé de Constantinople qui est venu se
faire ermite non loin de ma grotte, qu'il existe en Orient un
prophète du nom de Mahomet, qui promet à ses sectateurs
un paradis oi^i folâtrent des houris sous des bosquets de roses
sans cesse renaissantes.
100 LES FLEURS ANIMÉES
.le pars pour l'Orient
Un poète persan me dédie un poème de trois cent mille
vers sur la rose. Ma santé, dérangée par les fatigues de cette
lecture, m'oblige à changer de climat.
Nous sommes en plein moyen âge.
J'arrive en France.
Il faut convenir que Paris est une ville assez maussade. On
s'y égorge à tous les coins de rues, et l'on y meurt de la
peste. On n'a guère le temps de songer aux femmes et aux
fleurs.
Enfin Malherbe vint, et, le premier en France, il donna à
la rose une vogue immense, grâce aux stances adressées à
l'infortuné Dupérier.
Elle était de ce monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin.
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.
Le poète Ronsard a, lui aussi, parlé de la rose dans une
pièce de vers que bien des gens préfèrent à celle de Malherbe.
Que l'ombre de Boileau lui pardonne!
ALBUM DE LA ROSE iOt
Mignonne, allons voir si la rose
Qui ce matin avait déclose
Sa robe de pourpre au soleil —
N'a point pcrJu, cette vesprée,
Los plis de sa robe pourprée
Et son teint au vôtre pareil.
Las ! voyez comme en peu d'espace,
Mignonne, elle a dessus la place
Ses fraîclies beautés laissé choir.
Oh! vraiment, marâtre nature,
•Puisqu'une toile fleur ne dure
Que du matin jusquos au soir;
Donc, si vous m'en croyez, mignonne.
Tandis que votre âge lleuronne
En sa plus verte nouveauté.
Cueillez, cueillez votre jeunesse :
Comme à celte fleur, la vieillesse
Fera ternir votre beauté.
Je n'en finirais pas, si je Youlais citer tous les poètes qui,
depuis Malherbe et Ronsard, ont célébré la rose.
Delille s'est écrié un jour :
Mais qui peut refuser son hommage à la rose,
La rose dont Vénus compose ses bosquets,
Le printemps sa guirlande et l'amour ses bouquets?
En terminant, je ne puis m'empêcherde mentionner ce vers
si délicat et si ingénieux, qu'on a pu un instant appeler le
vers du siècle :
Une femme est comme une rose.
102 LES FLEURS ANIMEES
J'ai appris depuis que l'auteur se nommait M. Dupaty, et
qu'il élait membre de l'Acadéniie française.
Dès que les roses redevinrent à la mode, je sentis s'amé-
liorer ma position. Depuis Fi-ançoisr'" jusqu'à Louis XIV, je...
(Pages maculées.)
Dans l'année 1754, je recevais beaucoup chez moi un finan-
cier, lequel financier aimait par-dessus toutes choses la con-
versation des beaux esprits.
La plupart des gens de lettres étaient donc admis à ma table
et dans mes salons ; ils reconnaissaient mon bon accueil en
m'adressant un exemplaire de leurs ouvrages. L'un d'eux me
dédia un petit poème en trois chants, intitulé l'Art de cultiver
les roses. J'extrais des notes les particularités suivantes qui
flattent mon amour-propre de fleur :
Le dieu Yichnou cherchant une femme, la- trouva dans le
calice d'une rose.
Saint François d'Assise, afin de mortifier sa chair, se roula
un jour sur des épines. Aussitôt, à chaque endroit oii le sang
du saint avait coulé, surgirent des roses blanches et rouges.
Pendant le moyen âge, une loi formelle permettait aux
nobles seulement de cultiver les roses.
albi:m D1-: la uose io3
Le chevalier de Guise s'évanouissait à la vue d'une rose, et
le chancelier Bacon entrait en fureur en apercevant la même
fleur, même en peinture.
Marie de Mrdicis était sujette à la môme infirmité.
Au douzième siècle, le pape institua l'ordre de la Rose d'or.
A chaque avènement, le pape l'envoyait au nouveau souverain
en sig'ue de reconnaissance oiTicielle.
Le Grand Mogol vog-uait un jour avec Noiirmahal, son es-
clave favorite, sur un bassin que la capricieuse odalisque avait
fait remplir de roses. La rame fendait des vagues de feuilles,
et à chaque mouvement elle faisait fuir derrière elle un sillon
d'or mouvant qui surnageait comme une huile brillante. Nour-
mahal mit la main dans l'eau et la retira toute parfumée. C'é-
tait l'essence que le soleil avait dég'agée de la fleur, l'eau de
rose était née de la fantaisie d'une femme.
Saint Médard, évêque de Noyon, inventa, en 532, les ro-
sières. Sa'sœur fut couronnée la première à Salency, berceau
de l'institution
Mon Dieu! dis-je un jour au savant auteur de l'Art de cul-
tiver les roses^ poème en trois chants, pourriez-vous m'ap-
prendre pourquoi on a choisi la rose pour récompense de la
104 LES FLEURS ANIMÉES
vertu? []n tel lionncur me semblerait bien plutôt mérité par
la violette, par exemple, ou par le lis.
— Belle Ég-lé, me répondit 1l' poète, c'est qu'on a compris
que la vertu elle-même avait besoin de parure, et voilà
pourquoi on a choisi la rose, la fleur de la beauté !
( Le manuscrit de la Rose s'arrête au seizième siècle. Cependant le lecteur ne sera
pas complètement privé de la suite de ces mémoires intéressant?. Tout porte à croire
que la Rose émio^ra pendant la Révolution. Elle rentra en Fiance sous le Directoire;
Barras la fit rayer de la liste des émigrés. Nous avons trouvé dans les papiers de la
Rose des notes et des documents d'une authenticité suffisante pour nous permettre de
résumer les diverses péripéties de son existence, depuis l'an vu de la République
française jusqu'à nos jours.)
LES DERNIERS JOURS DE LA ROSE
- 1797-1846 -
De retour de l'émij^ration, la Rose prit le nom de M"" de
Sainte-Rosanne.
C'est sous ce nom qu'elle fit les beaux jours du Directoire.
Nulle ne portait avec plus d'élégance la robe ouverte à la
Diane chasseresse; les cheveux, bouclés par derrière, lui
allaient à merveille.
Elle menait grand train, tenait table ouverte, recevait les
poètes, les généraux, les ministres ; Bonaparte lui fut pré-
senté, et des contemporains nous ont assuré que le futur
ALBUM DE I.A HOSIi) JOo
empereur ne produisit qu'une médiocre sensation dans le
salon de M"" de Sainte-Rosanne.
Jamais, même au temps de l'empire romain, tant regretté
par elle dans les fragments que nous venons de soumettre au
lecteur, la rose ne fut plus heureuse.
On n'aimait que les teints de rose, les joues de rose, les
lèvres de rose, les narines de rose, pourvu toutefois que ces
teints, ces joues, ces lèvres, ces narines fussent mélangés
d'un peu de lis.
Les poètes ne connaissaient qu'un seul objet de compa-
raison, la rose. La tige, le bouton, les épines, on tirait parti
de tout.
M^Me Sainte-Rosanne portait habituellement la tète haute;
un tendre incarnat (vieux style) animait ses joues ; sa bouche
était de carmin ; elle marchait avec la majesté d'une femme
qui a chaussé le cothurne ailleurs que sur les planches. Aussi
lui disait-on sur tous les modes, dans tous les styles, en vers
et en prose, qu'elle ressemblait à une rose.
Elle recevait tous ces hommages avec la majestueuse
froideur d'une reine. Sa vanité en était plus touchée que son
cœur. M"" de Sainte-Rosanne jouissait d'une grande réputa-
tion d'orgueil et d'insensibilité. Un poète, poussé à bout par
ses dédains, décocha contre elle une épigramme sanglante
qui finissait ainsi :
14
i(,(i ij:s tLt:i hs animé iîs
Elle est belle, mai» sans odeur,
Comme la rose du Bengale.
La maliunitr piil)]iquo s'empara avidement de cette allu-
sion ; les rivales de M"" de Sainte-Rosanne apprirent IT'pi-
gramme par cœur et la colportèrent dans tous les salons.
L'influence de M"*' de Sainte-Rosanne, au lieu de diminuer,,
ne fit que s'aug-menter encore pendant toute la durée de
rf]mpire. Napoléon lui tenait bien rancune de l'accueil indif-
térent qu'elle lui avait lait sous la République, mais cette
rancune n'allait pas jusqu'à la disgrâce de celle qui en était
l'objet.
M"* de Sainte-Rosanne, par un habile calcul politique,
rompit avec la Restauration dès l'année 1822. Elle se montra
beaucoup dans les salons libéraux, et invita plusieurs fois
ostensiblement Déranger à dîner. Les rédacteurs du Constitu-
tionnel étaient tous ses amis, et elle fut une des premières
abonnées de ce journal.
M"" de Sainte-Rosanne a consig-né, dans une note que nous
repro'duisons, l'impression que firent sur elle les premiers
symptômes de la réaction romantique.
(' J'ai lu ce matin un livre de poésies d'un de ces auteurs
qui veulent changer la face de la littérature et prendre d'assaut
le Parnasse. La première pièce renferme le portrait d'une
jeune fille, la Laure ou la Béatrix du poète. Son teint, dit-il,
est pâle comme l'eau du lac à l'aube matinale, son œil est
ALBUM DE LA ROSE 107
bleu comme la lavande, ses clieveux blonds coulent de chaque
côté de ses tempes comme deux ruisseaux d'huile odorante;
sur son front, terne et mat, la fatalité a écrit ce mot de l'ang-e
d'Albert Durer : MelancoUa. Vraiment, j'étouffe de rire. Quel
style, bon Dieu ! quelles métaphores ! Et ce sont ces pygmées
qui veulent détrôner des géants ! A quoi bon aller chercher
si loin des termes de comparaison pour peindre une femme,
quand on a la rose sous la main ? Ah ! messieurs les roman-
tiques, vous n'irez pas loin, je vous le prédis. »
Une autre note, que nous trouvons écrite deux ou trois
années après, prouve que M""" de Sainte-Rosanne se vit dans
la nécessité de changer d'avis. Voici cette note :
« Décidément, les Welches T'emportent, le mauvais goût
déborde. Un poète a osé écrire, en parlant de celle qu'il aime :
Elle est jaune comme une orange.
<( Le port de reine, l'éclat des couleurs, la santé et la fraî-
cheur ne sont plus du monde. Il faut être pulmonaire, phtlii-
sique au troisième degré, pour attirer les regards de mes-
sieurs de la jeune littérature. Les teints de rose et de lis ne
sont plus portés, dit-on, que par les cuisinières. MM. Jay et
Jouy viendront me voir ce soir; que de jolis mots nous allons
faire contre ces pauvres romantiques ! »
Le ton dégagé de ces réflexions dissimule mal le secret
dépit dont M"" de Sainte-Rosanne est atteinte. Le fait est
qu'il est dur pour une coquette de se voir délaissée par tout
,08 l^L^S FLEURS ANIMÉES
le monde, excepté par trois ou quatre académiciens qui lui
répètent tous les soirs, depuis un quart d(^ siècle, en lui bai-
sant la main : Vous êtes fraîche comme la rose.
M"" de Sainte-Uosanne ne se l'avoue peut-être pas, mais
elle donnerait beaucoup pour être pfile, excessivement pâle ;
c'est-à-dire qu'à cette époque de sa vie elle prit du vinaigre
pour.se faire maig'rir. C'est le poète qui lança contre elle une
épig'ramme sous le Directoire qui a répandu ce bruit. La
source en est trop suspecte, pour que nous l'accueillions sans
examen dans ce précis historique.
La situation littéraire alla s'aggravant d'année en année; la
rose fut décidément rayée du vocabulaire littéraire. Il n'y eut
plus de fleur générique pour désig-ner la beauté ; chaque
poète, chaque romancier eut la sienne. L'un prit la scabieuse,
l'autre l'ancolie ; celui-ci la clématite, celui-là le rhododen-
dron, etc.
Une lig'ne, datée de 1839, témoigne dans sa concision de
l'irritation qui consume M"" de Sainte-Rosanne :
Aujourd'hui on n'aime qu'une seule chose, c'est l'ongle rose.
Personne n'ig-nore que, vers 1839, une modification assez
notable eut lieu dans les préférences littéraires. La femme
pâle, étiolée et verte commença à perdre de ses partisans.
M'"'' de Sainte-Rosanne crut un moment qu'on allait revenir à
la femme mousseuse de l'Empire. Son erreur ne fut pas de
ALBUM DE LA ROSE
109
longue durée. On inventa la femme vive, espiègle, fugace,
insaisissable, mordorée, prismatique, spirituelle, ennuyeuse,
adorable; la femme à reflet, la femme-serpent.
M"" de Sainte-Rosanne sentit que son règne était fini sur
la terre, et elle envoya sa soumission à la Fée aux Fleurs.
Au moins, dit-elle, je retrouverai Ki-bas les madrigaux de
mon vieil adorateur le Zéphyre.
Mais si la Fée aux Fleurs a des trésors d'indulgence pour
le repentir, elle est armée d'une rigueur inflexible contre
l'amour-propre blessé.
Pour la punir de sa vanité, la Fée aux Fleurs a condamné la
rose à vivre et à mourir vieille femme. Elle ne lui pardon-
nera que lorsque sonnera l'heure de sa mort naturelle.
NOCTURNE
LES FLEURS DE NUIT
E VOUS aime, flcMirs de nuit ; je vous préfère
à toutes vos sœurs qui brillent pendant le
-^ jûur.
^. ^-^^ Quand le soleil vient de disparaître à
^ ."^ l'horizon, lorsque les ombres descendent le
long' des rameaux, semblables à de longs cils qui s'abaissent,
alors la fleur de nuit s'entr'ouvre, et les premiers rayons de
l'étoile du soir viennent se jouer sur sa corolle.
Les fleurs et les étoiles sont sœurs : que se disent-elles?
112 LIÎS FLI-L'US ANIMÉES
Elles so racontont k's longs ennuis de la journée ; elles
échangent leurs rayons et leurs pari'unis, elles mêlent leur
àme à la grande âme de la nature.
Un sylphe évaporé vient les troubler dans leurs entretiens,
mais la fleur de nuit ne l'écoute pas ; la fleur de nuit n'est pas
coquette.
Elle n'aime que ceux qui sdufl'rent.
Comme le bruit du vent, comme le murmure de l'eau, le
parfum de la fleur de nuit console.
Elle écoute la plainte du berger, elle sourit aux rêveries
de la jeune fille, elle prête l'oreille aux chants du poète.
Sa molle senteur prête un charme secret à votre premier
rendez-vous, elle vous enveloppe comme d'un voile d'inno-
cence et de pureté.
Aucun insecte ne se pose sur les fleurs de nuit : la phalène
bourdonne autour d'elles ; elle effleure leur calice, mais elle
craindrait de s'y arrêter.
Parfois seulement, une fée se blottit au fond de leurs
corolles, pour éviter les poursuites de quelque lutin.
Chaque soir, la blanche Titania, pour parcourir son do-
maine nocturne, sort de son palais, qui est une belle-de-nuit.
Pendant que les bois frissonnent, que l'onde murmure,
LES FLEURS DE NUIT 113
que les amoureux se parlent, que les poètes chantent, que
des bruits vagues, des soupirs étouffés remplissent la plaine,
la fleur de nuit s'ouvre plus largement.
Frissons, soupirs, murmures, échos, chants de poète,
haleines amoureuses, tout cela se môle dans les airs et
retombe avec la rosée sur la nature.
Avec sa part de cette pluie, il se forme, au fond de la fleui
des nuits, une perle humide et brillante ; elle s'agite, elle
tremble, le moindre souffle d'air la briserait, et le zéphyre
matinal va se lever.
Alors la fleur des nuits se referme, pour conserver la perle
précieuse qui s'est formée pendant la nuit.
Ainsi le poète renferme précieusement dans son cœur le
trésor des rêveries qu'il a amassé dans la solitude.
Voilà pourquoi j'aime les fleurs de nuit, pourquoi je les
préfère à leurs sœurs qui brillent pendant le jour.
15
'^ax^i imf' r t-i! /> t^itr. S. f/tris
NARCISSE
es Edileurs
NARCISSA
oici l'histoire que racontent les pécheurs,
le soir, lorsqu'ils raccommodent leurs
filets, assis en rond sur la grève.
Narcissa la blonde était la plus belle
des jeunes filles du pays; pas une seule
sur toute la côte, depuis Catane jusqu'à Syracuse, qui pût se
vanter d'avoir l'œil aussi doux, la taille aussi souple, le pied
aussi fin.
Méfiez-vous de Narcissa la blonde !
Il y en a qui sont belles et qui ne le savent pas; ce sont
celles-là qu'il faut aimer.
ne LES FLEURS ANIMEES
Il y en a qui sont belles et qui le savent ; ce sont celles-lù
qu'il faut fuir.
Narcissa la blonde savait qu'elle était belle, et Luigi l'ai-
mait.
Ceux qui ont connu Luigi, fils du vieux Luig-i Naldi le
soldat, disent que c'était un brave compagnon, hardi à la
mer, bon à ses camarades, craignant Dieu et honorant les
saints; mais il aimait Narcissa la blonde.
Partout il la suivait, toujours il pensait à elle. Qui n'a
pas vu Luigi pleurer en pressant sur son cœur une fleur
tombée du sein de Narcissa, ne sait pas ce que l'amour peut
faire d'un homme.
Oui, Luigi pleurait comme un enfant.
Lui, l'intrépide matelot dont la voix dominait la tempête,
tremblait devant un mot de Narcissa.
11 avait une maison bâtie en pierre, une barque solide,
des filets neufs ; il ofl'rit tout à Narcissa, qui ne possédait rien
qu'un rouet et un miroir.
Un rouet toujours immobile, un miroir dans lequel elle se
regardait sans cesse.
Il faut vous dire que Narcissa ne rêvait que plaisirs, robes
éclatantes; pourtant elle ne dit pas non à Luigi.
J
NARCISSA H7
L'amour du beau Luigi, de Luigi le brave, flattait l'amour-
propre de Narcissa, mais elle ne l'aimait pas.
Ce qu'elle aimait, c'était son jeune et beau visage, sa taille
flexible, sa bouche souriante, ses yeux doux ; c'était elle et
non pas les autres.
Quand elle allait à la ville, elle disait à Luigi à son retour :
J'ai vu les filles des bourgeois; elles sont moins belles que
moi, et pourtant elles ont des casaques en velours et de beaux
rubans à leur tète, et une croix d'or à leur cou.
Alors Luigi lui achetait une casaque en velours, de beaux
rubans, et une croix d'or pour pendre à son cou,
— Es-tu heureuse, lui disait-il, maintenant que tu es belle?
Elle lui répondait : — Je suis heureuse parce que je suis
belle.
— Quand m'épouseras-tu?
— Laisse passer la saison des vendanges : je veux danser
encore une fois en liberté avec mes compagnes.
La saison des vendanges est, comme vous le savez bien, le
temps des fêtes et des jeux, le temps des doux propos: la gaieté
semble couler avec la liqueur nouvelle.
Puis venaient d'autres prétextes : l'hiver, la pêche du thon ;
^^^ LES FI.EUIIS ANIMÉES
l'éti', la moisson ; bref, répoquo du mariage se trouvait sans
cesse reculée.
Cependant Luigi, pour payer les robes, les rubans, les bijoux
de Narcissa, avait vendu la maison de son père, sa barque, ses
filets. Il ne lui restait plus rien.
Si au moins l'amour de Narcissa l'avait dédommagé ! Mais
elle passait son temps, devant son miroir, à peigner sa long-uc
chevelure et à sourire à sa beauté. C'est à peine si son amant
pouvait obtenir un mot ou un regard.
Luigi voyait bien que Narcissa la blonde ne l'aimait pas,
mais il était ensorcelé.
Il y a des femmes douées d'un charme fatal.
Leurs yeux, au lieu de cicatriser les blessures qu'ils font,
semblent les envenimer davantage. Le démon vous pousse à
les aimer; c'est lui qui vous attire ! Quel autre que le démon
pourrait habiter le cœur de Narcissa ?
Luigi lui dit encore une fois : — Quand m'épouseras-tu?
— Je n'épouserai, répondit-elle, que celui qui me donnera
de beaux pendants d'oreilles, des chemises en fine toile, des
boucles en diamants pour mes souliers et de belles bagues
pour mettre à mes doigts.
NARCISSA 119
Luig-i prit sa carabine, la carabine qui avait servi h son
père, le vieux soldat, et il partit pour la montagne.
Narcissa la blonde eut de beaux pendants d'oreilles, des
chemises en fmc toile, des boucles en diamants, de belles
bagues et bien d'autres choses encore.
Toujours belle,, toujours parée, toujours heureuse, elle cou-
rait les bals et les fêtes, sans songer au pauvre malheureux qui
hasardait sa vie et le salut de son âme pour satisfaire les
vains désirs de son cœur.
Cependant les exploits du brigand Luigi ont retenti jusqu'à
Palerme : le vice-roi envoie des soldats pour s'emparer de lui.
Narcissa, la belle Narcissa, se met à la fcnôtre pour les voir
passer; elle sourit au jeune brigadier qui la salue avec son
sabre.
Le brigadier va combattre son amant.
Hourra! hourra! Les soldats reviennent vainqueurs, Luig-i
est tombé percé de trois balles dans la montag-ne.
Qui court la première au-devant des cavaliers? C'est Narcissa
la blonde, plus belle et mieux parée que jamais.
Le brigadier a vaillamment conduit sa troupe; aussi, en
attendant qu'il soit fait officier, revient-il chargé d'un riche
butin.
120 LES FLEURS ANIMÉES
Narcissa le regarde de ses yeux les plus doux, de ses yeux
que le démon a armés d'une puissance invincible.
Mais le loyal soldat ne se sent pas troublé.
— Qui es-tu, la belle? lui demandc-t-il, et que veux-tu?
— Je suis Narcissa la blonde, et je veux t'épouser.
— Arrière ! femme sans cœur ; le dernier mot que le bandit
a prononcé est le nom de Narcissa la blonde, et c'est moi qui
ai tué Luigi.
Depuis cetemps^là, ni jeunes gens, ni vieillards, ni femmes,
ni filles, ne voulurent parler à Narcissa.
Elle fut obligée de quitter le village et d'aller se cacher dans
la grotte du monte Negro, à côté de laquelle coule une source
profonde qu'un saint ermite fit autrefois jaillir du roc par la
puissance de ses prières.
Au lieu de pleurer ses erreurs et de faire pénitence , elle
passait les longues heures de la journée à regarder son image
que lui renvoyait le miroir de l'onde.
Un jour, un moine, renommé par sa piété et ses bonnes
œuvres , gravit la pente du monte Negro pour exorciser
Narcissa : pour agir ainsi qu'elle le faisait, ne fallait-il pas
qu'elle fût possédée ?
1
NARCISSA 121
Le saint homme trouva la grotte vide.
Un enfant, qui gardait les chèvres près de là, raconta que
la veille il avait vu Narcissa, après être longtemps restée sur
le bord, se lever et se précipiter dans le gouffre.
Le moine descendit et célébra une messe pour le repos de
l'âme de Narcissa.
On laissa dire qu'elle s'était noyée pour se soustraire à ses
remords ; mais chacun sait que l'ondine avait pris son visage
pour l'attirer dans l'abîme et la livrer à Satan.
Ainsi périssent toutes les femmes sans cœur.
Voilà l'histoire que racontent les pêcheurs, le soir, lorsqu'ils
raccommodent leurs filets, assis en rond sur la grève *.
1. Nous donnons cette légende pour ce qu'elle \aut^ et sans avoir la prétention de
refaire l'histoire de Narcisse. Les Grecs avaient représenté l'éguïsme sous les traits
d'un homme, les pêcheurs siciliens en ont fait une femme. Le lecteur choisira entre
les deux versions celle qui convient le mieux à ses sympathies.
Lehesoin de vérité qui doit dominer chez un écrivain, traitant de matières aussi
graves que celles contenues dans cet ouvrage, nous fait un devoir de déclarer que les
pécheurs, dont nous avons emprunté le récit, se sont trompés en ce qui touche les
motifs de la disparition subite de Narcissa.
La fleur appelée Narcisse s'était incarnée dans la jeune Sicilienne. Frappée des in-
convénients qui pouvaient résulter pour les hommes du séjour parmi eux d'une femme
d'un caractère si dangereux, la Fée aux Fleurs avait rappelé de force le Narcisse
auprès d'elle.
(Note de l'auteur.)
16
AUBADE
LA PREMIÈRE FLEUR
E matin est venu : levez-vous, jeunes
filles; allez cueillir la fleur de mai, la
première fleur.
Cachez-la dans votre sein, et conser-
vez-la précieusement : elle porte bonheur
pour le reste de l'année.
Celle que je cueillerai, Madeleine, je te la donnerai, et tu
la mettras dans tes cheveux.
,.2i l-ES FLEURS ANIMEES
La première fleur, ce n'est ni la primevère, ni la pervenche,
ni riiyaciiithe, ni la violette, ni le muguet.
Ce n'est pas celle qui fleurit la première, selon l'ordre des
saisons; c'est celle qui s'offre la première à votre vue, celle
que vous présente le hasard.
L'année passée, ce fut la violette qui m'annonça le retour
du printemps; cette année, c'est la rose. Qui me dira quelle
fleur me signalera le printemps prochain ?
Qu'importe !
Qui que tu sois, première fleur, tout le monde t'aime et
t'accueille avec joie. Qui a jamais pu te regarder sans sentir
ses yeux humides de larmes ?
Il semble, en te voyant, que la jeunesse de notre cœur va
recommencer avec la jeunesse de l'année, que notre âme va
s'épanouir comme la corolle des fleurs, que nos sentiments
vont reverdir comme leurs feuilles !
Première fleur que l'on trouve sur la route un jour de mai,
tu es l'espérance, tu es l'illusion, tu nous fais croire à la possi-
bilité de revenir sur le passé.
Quand on rencontre, à certains jours, à certaines heures,
l'objet d'un culte ancien, le cœur retourne en arrière, franchit
en un moment d'immenses intervalles, et s'imagine avoir
LA PREMIÈRE FLEUR 125
renoué la chaîne des temps. On croit recommencer une nou-
velle carrière ; mais bientôt le cœur, épuisé de fatig-ue, revient
à son point de départ et reste immobile.
Ainsi, la vue de la première fleur ressuscite en nous un
monde de pensées ensevelies. Elles s'éveillent, elles secouent
leurs blanches ailes, elles s'envolent joyeuses : on dirait
qu'elles vont nous entraîner loin, bien loin, vers le pays
de notre jeunesse.
Hélas ! la première fleur du printemps s'est à peine flétrie,
que déjà nos illusions ralentissent leur vol : elles retombent
sur la terre; leurs ailes fragiles se sont brisées.
Sois bénie cependant, première fleur, soit bénie pour cette
heure d'enivrement fugitif que tu nous donnes. Croire une
minute qu'on a vingt ans, qu'on aime, qu'on est heureux,
n'est-ce pas vivre des années ?
Le matin est venu : levez-vous, jeunes filles; allez cueillir
la fleur de mai, la première fleur.
Cachez-la dans votre sein, et conservez-la précieusement :
elle porte bonheur pour le reste de l'année.
Voici celle que j'ai cueillie, Madeleine; respire son parfum,
et mets-la dans tes cheveux.
f^
:-^l
r
VIOLETTE
Gamier frètes Editeurs
GRAVE CONFLIT
A PROPOS DE LA VIOLETTE
ENTRE LA FEE AUX FLEURS
UNE ACADÉMIE QUI DÉSIRE GARDER L'ANONYME
"^-^^'"^''r.w'-'' il^^-** ®-Q© ''C] '•"')!!' ''''')'""*^~
UNE LECTURE DANS LiiiS BOIS
A Fée aux Fleurs avait établi son domi-
cile sur la terre, autant pour fuir un lieu
qui lui rappelait des souvenirs désagréa-
bles, que pour être plus à portée de sur-
veiller de près les actions de mesdames
les Fleurs.
Chaque jour lui apportait un nouveau chagrin, un nouveau
sujet de mécontentement.
,.jg LES FLEURS ANLMÉES
La Rns(> ('"lait son enfant de prédilection, sa fille chérie. La
vie qu'elle lui avait vu mener remplissait l'àme de la Fée
d'une amère douleur !
Elle n'avait pas, non plus, à se féliciter du sort du Lis, de
la Tulipe, du Bluet, du Coquelicot, de la Pensée, et d'une
foule d'autres fleurs dont on trouvera les aventures dans le
courant de cet ouvrage.
Si sa vengeance paraissait certaine, son cœur de mère était
déchiré.
Parmi les fleurs, les unes étaient malheureuses parce
qu'elles restaient fidèles à leur caractère; les autres, au con-
traire, parce qu'elles voulaient en changer.
C'est ainsi que la Violette courait à sa perte. Le jour même,
la Fée l'avait rencontrée dans un somptueux équipage, étin-
celante d'or, de soie et de pierreries.
La Violette avait renoncé à l'obscurité.
Pour secouer la tristesse que cette vue lui avait causée, la
Fée aux Fleurs sortit de la ville et prit le chemin de la cam-
pagne, vêtue à la façon d'une femme de conseiller, et menant
après elle un petit domestique joufflu qui portait son parasol
et son coqueluchon.
A l'entrée d'un petit bois, elle congédia son domestique, et
GRAVE CONFLIT 129
pénétra sous les arbres, pour y goûter en paix la fraîcheur et
le plaisir d'une lecture solitaire.
Le livre qu'elle tenait à la main était une histoire complète
des fleurs.
Cette lecture plaisait beaucoup à la Fée, qui y trouvait
ample matière à moquerie touchant les bourdes que les
hommes débitaient gravement, à propos des fleurs et de leur
origine.
Elle en était, pour le moment, à l'histoire de la Violette.
La Violette, disait l'auteur du livre en question , est fille
d'Atlas. Cette jeune nymphe, poursuivie par Apollon, allait
devenir la proie de ce don Juan, lorsque les dieux, touchés de
son sort, la métamorphosèrent en violette.
C'est le moyen ordinaire employé par les dieux pour
déjouer les projets galants d'Apollon. L'imagination féconde
de Jupiter devrait bien , de temps en temps , inventer un
nouveau procédé.
La Fée laissa tomber le livre et s'assit sur le gazon pour
rire plus à son aise. Le fait est que, debout, elle était obligée
de se tenir les côtes.
Ces auteurs, dit-elle, sont vraiment des gens cocasses. Où
diable ont-ils pris que la Violette est fille d'Atlas et nymphe
I. 17
130 LES FLEURS ANIMÉES
(le son mrlier? tandis que son père s'appelait tout simplement
Jérôme , et qu'elle exerçait la profession de couturière au
bourg-, sous le nom de Marcelle.
Je ne puis décemment pas laisser s'accréditer plus long-
temps de semblables erreurs, continua la Fée; il est temps de
rétablir les faits , et elle rentra dans sa maison pour travailler
au mémoire suivant qu'elle adressa à l'Académie.
II
MÉMOIRE TOUCHANT L'ORIGINE DE LA VIOLETTE
Messieurs les AcADÉMIClE^'s,
S'il est une science qui mérite de fixer l'attention des
hommes et des savants, c'est, à coup sûr, celle qui se rattache
à l'origine des fleurs.
Cette science est aujourd'hui obscurcie par les ténèbres de
l'ignorance ; une foule de notions fausses sont répandues : si
on ne s'empressait de prendre ces précautions, le mal serait
bientôt sans remède.
Il est du devoir d'un corps aussi respectable, aussi illustre,
aussi éclairé que celui auquel j'ai l'honneur de m'adresser,
de populariser, de répandre, de sanctionner les grandes véri-
GRAVE CONFLIT 131
tés historiques, politiques, pbilosopliiques et autres. C'est
donc avec confiance que je m'adresse à l'Académie, persuadée
d'avance qu'elle accordera à mes rectifications toute l'atten-
tion dont elles sont dignes à tous les égards.
Qu'il me soit permis, avant d'entrer en matière, de sou-
mettre à la docte assemblée quelques réflexions générales qui
me paraissent indispensables pour
III
INTERRUPTION
Nous croyons devoir prendre la liberté de supprimer ces
réflexions générales; comme la forme adoptée par la Fée
pourrait produire à la longue une impression fort peu ré-
créative sur le lecteur, nous remplaçons la partie du mémoire
qui donne l'historique exact de la Violette par un récit simple
et animé. Notre intention avait d'abord été d'employer à cet
effet le langage des dieux, autrement dit la poésie , mais
n'ayant pas notre dictionnaire de rimes sous la main, nous
nous contenterons d'une honnête prose.
132 LES FLEURS ANIMÉES
IV
MARCELLE
C'était jour de fête. Toutes les jeunes filles du bourg- sor-
taient de leur demeure en beaux déshabillés.
Les unes allaient se promener dans la campagne, les autres
accouraient aux sons du tambourin, donnant le gai signal de
la danse.
Toutes songeaient à rire, à folâtrer, à s'amuser et à paraître
belles.
Une seule restait enfermée chez elle : c'était Marcelle, la
jolie fille à Jérôme le jardinier.
— Viens avec nous, Marcelle, lui criaient ses compagnes
en passant : l'air est embaumé de la douce senteur de l'arbre
aux prunelles, le ciel est bleu; viens avec nous à la danse de
mai.
Marcelle secouait la tète doucement, et si quelque jeune
garçon voulait lui jeter un bouquet, elle fermait ses volets et
se mettait à travailler de plus belle.
Comme tout est propre et reluisant dans la chambre de
GRAVE CONFLIT 133
Marcelle ! on dirait qu'elle a communiqué sa grâce virginale
à tous les objets qui l'entourent. Voilà son lit avec sa courte-
pointe à franges blanches, l'armoire de noyer, la chaise de
paille, le rouet de sa mère, l'étroit miroir fixé contre le mur,
le bénitier , et l'image de la Vierge qui veille sur elle quand
elle s'endort.
Si Marcelle travaille un jour de fête, ce n'est pas par ava-
rice, au moins, ni par coquetterie : son aiguille se meut pour
le pauvre. Aussi, comme elle va et vient avec rapidité, comme
elle est agile et vive ! Demain la vieille Jacqueline aura un
casaquinbien ample, bien chaud, pour préserver ses membres
usés et affaiblis des atteintes de la bise.
En faisant aller son aiguille, Marcelle chante sa chanson
favorite :
Je voudrais être petite fleur.
Si j'étais petite fleur, je choisirais un endroit écarté dans la mousse,
Un endroit écarté au bord de l'eau,
Et cachée dans l'herbe, je passerais ma vie à regarder le ciel.
Cette chanson a encore bien d'autres couplets, mais
c'étaient ceux-là que préférait Marcelle.
Vers le soir, elle descendit dans son jardin, un jardin plein
de beaux arbres, de belles fleurs, d'eaux murmurantes et de
hautes touffes d'herbe.
,31 LKS FLEURS AM.MKES
Criait le pèro Jri-ùiiio. lo vieux jardinier du clialeau, qui
cultivait ce jardin, sa seule distraction et celle de sa fille ;
aussi fallait-il voir comme les fleurs se mariaient harmonieu-
sement aux arbustes, quelles gracieuses formes prenaient les
rameaux, et comme le gazon se courbait mollement sous les
pas !
La Fée aux Fleurs aimait beaucoup le père Jérôme; elle
venait souvent dans son jardin et elle le regardait travailler,
bêcher la terre, tailler ses arbres, émonder ses fleurs ; pre-
nant plaisir à essuyer de temps en temps, du bout de son aile,
la sueur tombant du front du vieillard.
Ce jour-là, elle était venue visiter le jardin du père Jérôme.
Lorsque sa fille descendit dans le jardin, la Fée avait l'œil
fixé sur le calice d'une reine-marguerite.
II lui prit fantaisie de regarder au fond du cœur de Mar-
celle : calice pour calice, le cœur de la jeune fille était aussi
pur.
L'écho apportait cependant au milieu de la solitude le son
du tambourin, les cris joyeux des jeunes filles, toutes les har-
monies, tous les parfums, tous les désirs d'une belle fin de
journée de printemps.
Marcelle s'était assise sur l'herbe, et elle ne. songeait qu'au
bonheur qu'éprouverait, le lendemain, la vieille Jacqueline.
GRAVE CONFLIT i'.ili
En voyant tant d'innocence et de candeur, la Fée aux
Fleurs se sentit attendrie.
Pauvre fille du peuple ! dit-elle ; pure comme la neig-e des
glaciers, bonne comme la nature, ta seule institutrice; belle
comme l'innocence, parfumée de chasteté et de modestie, qui
te préservera des tentatives des riches et des méchants? qui te
sauvera des pièges oii sont tombées tant de tes compagnes ?
Sans se douter du monologue dont elle était le sujet,
Marcelle, les yeux fixés au ciel, murmurait son refrain habi-
tuel :
Je voudrais être petite fleur.
Si j'étais petite fleur, je choisirais un endroit écarté dans la mousse,
Un endroit écarté au bord de l'eau,
Et cachée dans l'herbe, je passerais ma vie à regarder le ciel.
La Fée aux Fleurs voulut exaucer cette prière : elle étendit
sa bag'uette sur Marcelle.
Aussitôt elle disparut sous un voile de feuilles, et, à la
place oi^i elle était, apparut une fleur dont les feuilles étaient
couvertes des perles de la rosée ; on eût dit des larmes dans
un œil bleu.
C'était Marcelle qui disait adieu à son père.
La Violette, c'est la fille du peuple, c'est avec son dé-
,36 LES FLEURS ANIMEES
vouement, sa candeur, sa pureté, sa modestie, que la Fée aux
Fleurs a composé le parfum de la violette.
V
RÉPONSE DE L'ACADÉMIE AU MÉMOIRE SUSMENTIONNE
— EXTRAIT DU REGISTRE DES DÉLIBÉRATIONS —
Ce... du mois de... année... l'Académie de... réunie dans
le local ordinaire de ses séances, a écouté les conclusions
du rapport de l'illustre poète Jacobus au sujet de l'origine de
la Violette.
Ces conclusions portent :
r Qu'on ne doit ajouter qu'une foi médiocre aux rensei-
gnements fournis à la science par des êtres dont l'existence
est aussi peu prouvée que celle des fées ;
2° Qu'on ne peut donner sur toutes choses que des détails
apocrj^hes, quand on est apocryphe soi-même ;
3" Que les témoignages des siècles s'accordent à démon-
trer que les fleurs ont toutes une origine essentiellement my-
thologique.
En conséquence,
GRAVE CONTMT 137
L'Académie déclare que la Violette lui semble plus que
jamais fille d'Atlas.
Elle affirme, en outre, sur son ûme et sur sa conscience,
devant Dieu et devant les hommes, que la fille d'Atlas était
nymphe de naissance, et que les dieux, pour la soustraire aux
poursuites d'Apollon, la changèrent en violette.
VI
APARTE
Il est certain que le poète Jacobus commet une grossière
erreur, et que la version de la Fée aux Fleurs est la seule
bonne, la seule véritable.
Ceci n'est qu'un monument de plus de l'ineptie des corps
savants en général, et des académies en particulier.
VII
LA VIOLETTE DEVENUE FEMME
Pour nous et pour les esprits avancés, il reste donc bien
constaté que la Fée aux Fleurs a seule raison.
18
\3!< LES FLErnS ANIMEES
Les personnes qui ont suivi, avec toute lallention que com-
porte une besogne aussi grave et aussi importante, le fil de ce
D'cit. n'ont point ()u])Iié qu'il a été question au commence-
ment de l'apparition de la Violette dans un somptueux équi-
page, dans tout l'éclat de la toilette et du luxe.
Qu'a-t-elle fait de sa modestie première? Comment la fdle
du peuple est-elle devenue grande dame?
0 Marcelle ! devais-tu nous tromper ainsi en reparaissant
sur la terre sous ton ancienne forme !
De tous les changements dont la Fée aux Fleurs a été le
témoin, c'est le tien qui lui a été le plus sensible.
]\e nous hâtons pas cependant de condamner Marcelle.
Il lui est arrivé la même chose qu'à tant d'autres de ses
compagnes qui manquent d'expérience.
On est jeune, on est belle, on est femme, on entend deux
voix qui chantent dans votre cœur.
L'une vous dit : Reste dans le pré à côté de la touffe d'herbe,
sur le bord du ruisseau oii le ciel te fit naître : le bonheur est
dans l'obscurité.
L'autre murmure à votre oreille : La beauté et la jeunesse
sont deux présents du ciel; malheur à l'avare qui les enfouit.
GRAVE CONFLIT 139
Le ruisseau ne retient aucune image, la touffe d'herlie ne garde
aucun parfum, le bonheur est parmi les hommes.
Longtemps l'âme flotte indécise, elle écoute les deux con-
certs : bientôt l'une des deux voix s'efface, l'autre continue à
se faire entendre : c'est celle qui vante le bruit, l'éclat, les
plaisirs du monde; il faut bien finir par l'écouter.
Alors on se lance dans le tourbillon des fêtes, des spectacles;
on est d'autant plus adulée, plus recherchée, que le fond du
caractère forme un piquant contraste avec la vie que l'on
mène.
Un moment on peut se croire heureuse.
Mais bientôt survient le désenchantement, et avec lui le
dégoût, la fatigue, le dédain.
Au milieu de toutes les joies extérieures, on éprouve le
regret de l'ancienne existence, et le remords de celle qui est
devenue votre partage.
Ne vous est-il jamais arrivé de voir, dans l'entraînement
du bal, s'étendre subitement sur un front jeune et brillant un
voile de tristesse, et de beaux yeux se détourner dans l'ombre
pour pleurer?
Voulez-vous savoir ce qui cause cette tristesse, ce qui iait
couler ces larmes?
140 I^ES FLEURS ANIMEES
C'est le regret de l'innocence perdue, c'est le souvenir de la
douce obscurité d'autrefois.
VIII
UNE LARME DE FÉE
Les lumières qui éclairaient le château qu'habite Marcelle
se sont étîeintes depuis longtemps ; les étoiles vont bientôt
pâlir, le rossignol du bord de l'eau se hâte d'achever sa mélo-
dieuse cavatine : c'est l'heure oi^i la Fée aux Fleurs s'apprête
à fermer les yeux des Belles-de-Nuit.
Elle s'avance d'un pied léger, pour ne pas troubler le
sommeil qui commence à les gagner. Tout à coup elle s'arrête.
Un bruit inaccoutumé se fait entendre : des plaintes, des
sanglots, puis l'écho affaibli d'une chanson mélancolique.
La Fée prête l'oreille; elle se dirige vers l'endroit d'oi^i part
le bruit. Est-ce le vent qui gémit dans un massif de trembles,
ou la source qui pleure en quittant les flancs protecteurs du
rocher ?
Aucun vent ne ride la cime des arbres, la mousse empêche
d'entendre le bruit de la source.
C'est une femme qui pleure, la Fée l'a reconnue.
GRAVE CONFLIT 141
C'est Marcelle qui a quitté son lit de soie et de duvet pour
descendre dans la plaine.
Le sommeil a fui ses paupières, ou ne lui fait voir que des
songes pleins de tristesse ; elle souffre, ses yeux sont inondés
de larmes.
Elle songe au temps oii elle était violette, où elle se réveillait
toute frissonnante sous les frais baisers de la rosée.
Elle chante comme autrefois :
Je voudrais être petite fleur.
Il y a des voix qui touchent, des accents qui ne mentent
pas.
En écoutant Marcelle, la Fée, qui volait au-dessus de sa
tête, se sentit attendrie; en la voyant si belle et si malheu-
reuse, elle pleura.
Une de ses larmes tomba sur le front brûlant de Marcelle.
Aussitôt sa métamorphose s'opéra.
La Fée avait exaucé une seconde fois la prière contenue
dans sa chanson.
Le lendemain, on fit chercher Marcelle de tous les côtés;
personne ne put donner de ses nouvelles.
142
LliS FLEURS AiMiMÉES
Seulement, à l;i place où elle avait coutume de s'asseoir
chaque nuit, on trouva une mag'nifique violette cachée sous le
gazon.
Sa heauté ne sautait point aux yeux, mais elle se trahissait
par son parfum.
Pour rendre à Marcelle sa^ forme première, il avait suffi
d'une chose :
Le repentir.
GANZONE
-c^»o-
LA FLEUR D'OUBLI
^^âfSwP^^'l L faut fuir la fleur d'oubli, il ne faut pas se
laisser prendre à son parfum décevant.
J" Elle est belle et souriante, elle vous
regarde avec des yeux doux; elle semble
%^^^~^'— vous appeler et vous dire : « Viens, je suis
ton ami, je te consolerai. »
Connaissez-vous Ulric le chasseur? Il a cueilli la fleur d'oubli.
D'abord, un calme profond a succédé à ses tourments; il a
pu regarder sans trouble celle qui le faisait tant soufl'rir.
144 Lt:S FLEURS ANIMÉES
Ulric s'est lassé de son indifierencc, et il a voulu aimer
encore ; mais il avait cueilli la fleur d'oubli.
On n'aime plus jamais quand on a oublié une fois.
Ulric erre dans les bois; il se promène dans la plaine, il
g-ravit la montagne, il demande à l'oiseau du bocag-e, à la fleur
du sillon, à la source de la montagne, pourquoi lui seul ne peut
plus aimer. L'oiseau, la fleur, la source lui répondent : « Tu
as cueilli la fleur d'oubli. »
Le chasseur regrette le temps où il était malheureux : du
moins, alors, il sentait battre son cœur.
— Ah ! s'écrie-t-il, il est donc des maux dont on ne guérit
que pour souff'rir davantage !
Il faut fuir la fleur d'oubli; il ne faut pas se laisser prendre
à son parfum décevant.
— Dis-moi, mon doux ami, dis-moi son nom, afin que je
puisse la reconnaître.
On lui a donné le nom de lunaire; mais les hommes ne
savent pas son nom véritable, elle n'en a pas pour eux, elle
s'appelle la fleur d'oubli.
— Où donc croit-elle? Dans les blés jaunis par l'été, dans
les fentes de la vieille tourelle, au milieu des grands prés,
LA FLEUR D'OUBLI
14^
SOUS les tonnelles, ou bien tout là-bas, là-bas, au mystérieux
pays des Génies?
— Non pas, non pas, ô jeune belle! Au fond du cœur
se cache le germe qui contient la fleur éternelle , la fleur
d'oubli.
^^jiêh^^'^ /îf
19
'â'i/;.// wm. r Ol:/^ i^r^, ,< /},^y
Cb Ceo-:fto7
NENUPHAR
SCEUB HéHUPHAH
-^r\j\/\rj\S\f\nr —
E diable, un jour, traversant la ville de
Bruges, passa devant le couvent des Ur-
sulines. Les religieuses , réunies dans la
chapelle, chantaient les louanges du Sei-
gneur.
Le diable a toujours été dilettante. — Parbleu! se dit-il,
voilà les plus jolies voix que j'aie entendues de ma vie :
entrons un moment et écoutons la fin du concert. Et il entra.
Tout en écoutant la musique, le diable, qui est fort curieux,
comme chacun sait, voulut savoir si les religieuses étaient
aussi jolies femmes que bonnes musiciennes; il se mit à les
U8 LES FLEURS ANIMÉES
regarder, et, en fin connaisseur qu'il est, ses yeux s'anvtè-
rent sur une ursuline placée juste à l'entrée du chœur, près
du maître-autel.
Jamais figure plus belle , plus innocente , plus calme , ne
s'olTrit aux regards d'un peintre ou d'un diable. Ses grands
yeux doux , son air de profonde tranquillité , excitèrent
l 'amour-propre du diable. — Voilà, pensa-t-il, une char-
mante créature heureuse de réciter ses patenôtres, ne voyant
rien au delà des murs de son couvent, l'exemple et le modèle
de sa communauté. II serait plaisant de lui ouvrir enfin les
yeux, et de faire de la sainte un petit démon.
Aussitôt dit, aussitôt fait. Yoilà le diable qui se métamor-
phose en galant cavalier, et qui, en frisant sa moustache, se
met à regarder l'ursuline.
II est difficile, pour ne pas dire impossible, de sentir l'œil
du diable se fixer sur le sien, sans éprouver comme une espèce
de commotion nerveuse. Personne n'échappe à cette influence;
la nonne la subit. Elle tourna ses yeux du côté du beau cava-
lier, par une espèce de mouvement machinal, puis elle les
laissa retomber languissamment sur son missel. Pendant tout
le reste de l'office, le diable en fut pour ses frais.
Cependant il ne se tint pas pour battu.
A l'heure oîi les religieuses descendent au jardin pour res-
pirer l'air tiède et pur d'une belle fin de journée printanière.
SŒUR NÉNUPHAR 149
le diable se glissa sous les arbres ; il cbercha son ursuline et
la trouva assise sur un banc, à l'ombre d'un berceau de lilas
odorant. Elle paraissait en proie à une de ces rêveries vagues,
filles dangereuses des soirs embaumés.
— L'occasion est favorable, se dit le diable, agissons.
11 tira de sa poche le cœur d'une jeune fille morte d'amour,
et, le faisant brûler en guise de pastille du sérail, il en par-
fuma l'atmosphère.
Aussitôt évoqués par ce charme magique, les désirs vinrent
voltiger autour de la religieuse ; la brise glissa dans ses che-
veux comme une caresse, les grappes du lilas s'inclinèrent
amoureusement sur sa tête; les fleurs, l'onde, les oiseaux,
tout prit une voix pour lui parler d'amour.
L'ursuline se leva et porta la main à son front. — Le charme
opère, pensa le diable; avant une heure elle est à moi. — La
nonne était retombée comme affaissée sur le banc de gazon.
— Ouf! fit-elle après un moment de repos : il fait trop
chaud ici, passons au réfectoire. — Dans toute la magie de
Satan, elle n'avait éprouvé que la sensation de quelques de-
grés de plus de chaleur. Le diable était furieux.
Il ne voulut pas en avoir le démenti.
Le soir, il s'introduisit dans la cellule de la religieuse sous
la couverture jaune d'un roman à la mode ; il se déguisa en
130 LES FLEURS ANIMÉES
in-octavo et s'rleiulit tout urand ouvert sur le prie-Dieu. 1!
avait choisi la page la plus éehevelée de l'ouvrage, une scène
d'amour pantelante, rutilante, ébouriffante. De tout temps ces
grands morceaux de rhétorique ont troublé toutes les imagi-
nations et fait l'affaire de messire Satanas.
La jeune fille prit le livre, lut la page marquée, ouvrit les
bras d'un air nonchalant, bâilla et s'endormit sur sa cou-
chette.
Pour le coup, le diable était outré.
Il ne restait plus qu'à essayer des songes. Il les convoqua
tous, il leur donna ses instructions, et il voulut lui-même les
voir à l'œuvre. Il se pencha sur le lit de la jeune fille : les
songes vinrent chacun à leur tour se poser sur son cœur; rien
n'indiqua qu'elle en fût le moins du monde troublée. Son
sommeil était paisible, son teint égal, son pouls régulier
comme de coutume. Il parait même que vers le milieu de la
nuit elle se mit à ronfler.
— Evidemment, se dit le diable, voilà une nonne qui n'est
pas faite comme les autres. J'aurais mis en révolution tout un
couvent, rien qu'avec un seul des moyens que j'ai employés
contre elle. Il faut qu'elle ait un charme secret qui la protège.
On dirait qu'un air plus froid circule autour d'elle, qu'une
mystérieuse influence détend les nerfs, alourdit l'esprit, fati-
gue le corps. C'est singulier, j'éprouve comme une espèce
SOEUR NÉNUPHAR 151
(l'envie de dormir, poursuivit le diable en se frottant les yeux;
qu'est-ce que cela signifie? Est-ce que je subirais l'influence
du roman que j'ai été obligé de lire?
En disant ces mots, le diable s'endormit.
Il ne se réveilla qu'à l'heure de matines, au moment oii la
relig-ieuse quittait sa cellule pour se rendre à la chapelle. Le
diable eut besoin de se secouer longtemps pour se réveiller;
il ne reprit ses esprits qu'à dix-sept kilomètres de Brug-es.
Le diable, tout malin qu'il est, ne s'était point douté de
l'adversaire qu'il attaquait.
Une fois sur la terre, ne pouvant aimer ni être aimée, inca-
pable de s'associer aux peines et aux joies de l'humanité,
morne et décolorée, la froide fleur du rs'énuphar n'avait trouvé
d'autre refuge qu'un couvent. La vie monotone et languis-
sante des religieuses était celle qui lui convenait. On lui
compta comme vertu l'absence de toutes les vertus. Sœur
Nénuphar mourut en état de sainteté ; les ursulines de
Brug-es poursuivent sa canonisation.
PRIERE
LES FLEURS DU BAL
-° I!S'' J-'' IS' ^^''=' '-'SI 'S'.'. Cil °~
ous sommes les fleurs du bal, les pau-
vres victimes des fêtes joyeuses.
Nous arrivons timides et modestes,
parées de nos charmes seulement, et il
nous faut lutter contre ces fleurs de la
terre qu'on appelle les diamants.
Filles du feu, l'opale, l'améthyste, la turquoise, la topaze,
scintillent ;i l'éclat des lumières.
. 20
154 LES FLEKRS ANIMÉES
Nous autres, filles de l'air et do la rosée, nous n'ouvrons
les yeux que pour reg-arder la lune et les «Hoiles. L'atmos-
plière du bal nous dessèche et nous brûle; en un quart
d'heure nous nous flétrissons.
Jeune fille, pourquoi nous mets-tu dans tes beaux che-
veux? Regarde sur ta toilette, n'y a-t-il pas des fleurs faites de
la main des hommes? des fleurs qui ne redoutent ni la cha-
leur, ni la poussière, ni les rayons des lustres, ni le frottement
de la Ibule?
Ne nous conduis pas au bal, jeune fille; laisse tremper nos
pieds flexibles dans ces vases de cristal, nous parfumerons ta
demeure, et quand tu reviendras, pâle, fatiguée, rêveuse, tu
nous verras souriantes, et nous mêlerons de doux songes à ton
sommeil.
Ne nous conduis pas au bal, jeune fille.
Mais, hélas! elle ne nous entend pas; nous entourons ses
cheveux d'une fraîche guirlande, nous nous épanouissons sur
son sein Allons, il faut partir; nous sommes les fleurs du
bal, les pauvres victimes des fêtes joyeuses.
Nos feuilles seront arrachées une à une et on les foulera
aux pieds ; avant la fin du bal nous ne tiendrons plus à ces
cheveux, cette ceinture nous laissera tomber. Demain, un
grossier valet nous ramassera et nous jettera dans la rue.
LES FLEURS DU BAL
f5;j
Encore une fois, jeune fille, laisse-nous ici; nous sommes
si bien dans ta chambre virginale!
Tu pars... Prends garde, jeune fille! Fleur vivante du
monde, parure animée du bal, un jour peut-être le monde te
foulera aux pieds comme nous, et te laissera dans la rue.
A\Y[^TE
LAin^lEl\
Garnie r frères
'■\y\^-<^\^r^u^\^\
LE MYRTE & LE LAURIER
LS vivaient tous les deux à la campag-ne,
le marquis et le colonel. Vieux tous les
Y^-i, deux, goutteux, et, ce qu'il y a de pire,
_^ quinteux tous les deux, ils se faisaient de
mutuelles visites; le soir, ils se réunis-
'â- -- ■" saient pour jouer au reversis et se rappeler
ensemble leur vie passée.
Le jour, appuyés tous les deux sur leurs cannes à pomme
d'or, ils faisaient une promenade dans la campag-ne, lorsque
lag-outte, le rhumatisme, le catarrhe et le temps le permet-
taient. Le marquis aimait à se diriger du côté d'un certain
château situé à quelques portées de fusil du sien. Il apparte-
nait à la présidente de Z...
I.^;S LES FI.EURS ANIMÉES
Le marquis prrtfndait que la présidente se mettait derrière
sa jalousie pour le voir passer; ce qui faisait beaucoup rire le
colonel, attendu que le marquis avait près de soixante-dix
ans, et que la belle présidente touchait à la soixantaine.
— Ces vieux troupiers, murmurait le marquis, ça n'a ja-
mais rien compris à l'amour.
— Ces vieux séducteurs, mâchonnait le colonel, ne veulent
pas se persuader qu'il y a une fm ù tout.
Et sur ce thème, ils brodaient une foule de railleries pi-
quantes qu'ils se décochaient mutuellement. Ces petites escar-
mouches animaient la promenade, et donnaient du mordant
à la partie de reversis.
Ce marquis, c'était le Myrte; ce colonel, c'était le Laurier.
L'un avait constamment vécu à la cour, l'autre n'avait presque
pas quitté les camps. Ils s'étaient retrouvés après une longue
absence, et quoiqu'on dise que le myrte et le laurier sont
frères, le marquis et le colonel passaient leur temps à se que-
reller.
Ce soir-là, les deux compagnons étaient encore de plus
mauvaise humeur que de coutume. Le colonel venait de jeter
la dame de cœur sur la table, et le marquis restait sans ré-
pondre à son attaque.
Il y a des distractions qui exaspèrent un joueur.
LE MYRTE ET LE LAURIER 159
— Eh bien ! s'écria le colonel, jouercz-vous ?
— Pique ! répliqua le marquis.
— Vous renoncez au cœur?
— Pardon, je n'avais pas vu mon jeu ; et il ramassa la carte
qu'il venait de laisser tomber.
— Parbleu, marquis, à quoi songez-vous donc? poursuivit
le colonel en ricanant. Est-ce que les beaux yeux de la prési-
dente vous feraient perdre la raison ?
Sans paraître faire attention au ton narquois du Laurier, le
Myrte s'écria :
Je l'aime du plus tendre amour.
Elle m'évite, la cruelle :
Qu'elle soit laissée à son tour,
Et qu'un rival me venge d'elle!
— Bravo! fit le colonel. Le marquis continua :
Que ses pleurs coulent vainement,
Qu'elle tombe aux pieds d'un amanf,
Et qu'il soit sourd à sa prière;
Qu'elle éprouve enfin le tourment
D'aimer et de cesser de plaire!
Après qu'il eut achevé, le colonel regarda le marquis d'un
air de compassion.
I<i(( I,ES FLEURS ANIMÉES
— Pauvre garçon! lit-il, coiiiiiic s'il su parlait à lui-mùme;
il se croit encore à l'ancienne cour, au temps on l'on vivait de
madrigaux et de bouquets à Chloris, où l'on faisait des stances
sur la mort du griflbn de la petite baronne, et où l'on soupi-
rait une élégie sur la perruque envolée de madame la surin-
tendante. Jolie manière de faire l'amour !
En écoutant cette apostrophe, le marquis ne put se con-
tenir.
— Il vous sied bien de parler d'amour, s'écria-t-il, à vous
qui n'avez fait la cour qu'à des bourg-eoises des petites villes
où vous avez été en garnison î Vous vous moquez des petits
soins et des petits vers, parce que vous n'avez jamais pu com-
prendre leur charme, reître, draban, pandour que vous êtes!
Le colonel s'échautfa.
— Une belle doit se prendre d'assaut comme une citadelle.
— Il n'y a que les attentions délicates qui séduisent la
beauté.
— Un front couronné de lauriers n'a qu'à se montrer pour
subjuguer les plus rebelles.
— C'est avec une ceinture de myrte qu'on enlace les
amours.
Si un troisième interlocuteur se fût trouvé là, il aurait pu
LE MYRTE ET LE LAURIER 101
mettre d'accord les parties belligérantes, en leur faisant voir
que le myrte et le laurier se marient admirablement, qu'ils ne
vont guère l'un sans l'autre, qu'il est aussi rare de voir un
brave insensible aux charmes de la beauté, qu'un sectateur
de Vénus ennemi de Bellone, mais le colonel et le marquis
se trouvaient seuls; de plus, le baromètre était depuis huit
jours au variable, les rhumatismes rendaient les deux adver-
saires encore plus intraitables. Le colonel proposa un duel
au marquis.
— Sortons! répondit-il aussitôt.
Mais ni l'un ni l'autre ne purent bouger de leurs fauteuils.
Pauvre Myrte ! Pauvre Laurier !
Ils sont là tous les deux à se disputer sur leur prééminence,
et pendant ce temps-là le monde les oublie, le monde se
moque de leur système. Le monde n'en est plus depuis bien
longtemps au myrte et au laurier.
La galanterie et la bravoure sont deux qualités passées do
mode : le ridicule en a fait justice.
Pour qui se montrerait-on galant? Pour des femmes qui
fument, qui boivent du grog, qui montent à cheval, qui font
de l'escrime et des romans !
A quoi sert la bravoure? Il n'y a plus de guerres aujour-
1. 21
162 LES FLEURS ANIMÉES
d'hui; on ne se bat plus en duel; un héros n'est plus qu'un
être souverainement ridicule.
Le règne du myrte et du laurier est passé.
Le marquis et le colonel ne s'en doutaient pas; ils s'étaient
retirés du monde assez à temps pour cela : ils devaient em-
porter leurs illusions dans la tombe.
Leur vie, du reste, avait été des plus heureuses.
Aussitôt arrivé sur la terre, le Myrte s'était incarné dans la
personne d'un marquis.
On le vit à la cour, leste, pimpant, spirituel, g-alant, le pre-
mier des hommes dans l'art difficile de l'acrostiche et dubout-
rimé.
Il apprit à broder au métier, à parfiler et à faire les décou-
pures.
Il passait sa journée à écrire des billets doux et à rimer des
épîtres amoureuses.
Il eut des succès à n'en plus fmir.
Le Laurier, comme de raison , choisit une carrière tout n
fait opposée.
En passant sur le Pont-Neuf, il suivit un raccoleur qui
l'engagea au service du roi de France.
LE MYRTE ET LE LAURIER 163
Il fit campagne avec le prince de Soubisc, et prit Port-
Mahon au son dos violons du maréchal de Richelieu.
Il se retira avec le brevet de colonel.
Pendant toule la durée de sa carrière militaire, il mena
l'amour tambour battant, mèche allumée, ce qui ne l'empêcha
pas d'avoir autant de succès que son camarade le Myrte.
Aussi ne pouvait-il souffrir les airs de supériorité que ce
dernier se donnait de temps en temps, et qui faisaient naître
entre eux des sujets de querelles sans cesse renaissants.
La discussion que nous venons de raconter avait été beau-
coup trop loin pour qu'il fût possible qu'elle en restât là. Une
fois assis ou plutôt cloués sur leurs fauteuils, ils se regardè-
rent comme deux chiens de faïence, d'autres diraient comme
deux lions. Enfin, le marquis toussa et reprit ensuite:
- — Ah ! c'était là le bon temps ! Il voulut continuer, mais
un violent accès de toux lui coupa la parole.
Le colonel profita de ce moment de répit pour bourrer son
nez de tabac, tout en faisant voir, par de nombreux signes de
tête, qu'il approuvait l'exclamation finale de son interlocuteur.
— Mon cher ami, fit-il après un moment de silence en s'a-
dressant au marquis, savez-vous une chose ?
— Quoi donc?
IG4 LKS FLEURS ANIMÉES
— C'est que nous ferions bien de song-er dès à présent à la
retraite. La guerre et la g-alanterie ont l'ait leur temps; la jeu-
nesse méprise les feux de Vénus aussi bien que les jeux de
Mars; on vous traite de papillon et moi d'invalide. Il faut sa-
voir se retirer à propos. L'art des retraites est peut-être le
plus difficile de tous. Notre passage sur la terre n'aura pas été
sans charme, si nous savons nous préserver de l'ennui des
derniers moments; retournons chez notre excellente amie la
Fée aux Fleurs.
— Mais vous n'y song-ez pas !
— Au contraire, je ne songe qu'à cela.
— Et la présidente?
Le colonel ne put s'empêcher de rire à gorge déployée.
— Palsambleu ! s'écria le marquis.
— Tout beau, ne vous fâchez pas, répondit le colonel en
continuant à rire.
— Vous me rendrez raison, s'écria le marquis en montrant
son blason.
— Quand vous voudrez, riposta fièrement le colonel à l'at-
taque de son compagnon.
— Insolent!
LK MYRTE ET LE LAUHIEH 165
— Fat !
Nous avons oublié de vous dire que le blason du marquis
consistait en une branche de myrte tenue par un Amour et
écartelée d'une écharpe de soie. Les armoiries du colonel,
car il avait aussi ses armoiries, consistaient en un bouclier
ombragé de laurier, passé dans une main à gantelet de fer.
Ils juraient assez volontiers, l'un par son blason, l'autre par
ses armoiries.
Le Myrte et le Laurier allaient se prendre aux cheveux;
mais, cette fois, ce fut un violent accès de toux qui les retint
cloués sur leurs sièges. Un catarrhe épargna à l'humanité une
nouvelle et terrible tragédie.
Ce fut le Myrte qui recouvra le premier la parole.
— Je vous trouve singulier, fit-il, d'avoir l'air de mettre en
doute mes succès, moi, la fleur des marquis de mon temps !
— 11 yous sied bien, riposta le Laurier, de me menacer,
moi, le foudre de guerre de mon époque!
— Foudre éteint !
— Fleur fanée !
Plus irrités que jamais, ils firent une dernière et suprême
tentative pour se joindre. Cet effort violent les emporta. Sans
Klf)
LES TLI-URS ANIMÉES
doute, un vaisseau se brisa dans leur poitrine; ils expirèrent
à la fois. Le Myrte, à ses derniers moments, garda ses préten-
tions d'homme à bonnes fortunes; le Laurier mourut comme
il avait vécu, le poing- sur la hanche.
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CHEVREFEUILLE
GArnier frères. Editeurs
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CHEYRETTE LA CHEVRIÈRE
LE PRINCE CHARMANT
E prince Charmant se promenant un jour
dans la campagne avec son précepteur,
rencontra une jeune chevrière.
Elle avait les yeux noirs, les cheveux
noirs, la démarche vive, la physionomie
piquante, et par-dessus tout, un petit air piquant et timide à
la fois qui lui donnait un certain air de ressemblance avec
le joli animal dont elle portait le nom.
^'-
168 I^ES FLEURS ANIMÉES
Elle s'appelait Chevrette et gardait les chèvres dans les
environs.
— Olitbur ! dit le prince à son précepteur.
— Plaît-il, Altesse? répondit celui-ci.
— Tu vois bien cette jeune fille?
— Parfaitement.
— Comment la trouves-tu?
— Je la trouve comme vous voudrez.
— Je la trouve adorable.
— Adorable.
— J'ai, de plus, formé un projet que je trouve excellent.
— Excellent.
— Je veux la prendre pour femme.
Olifour ne put s'empêcher de se récrier :
— Mais que penseront vos aïeux, que diront votre père et
votre mère, et vos sujets, et la terre, et le ciel, et les dieux,
et les hommes? D'ailleurs, votre mère refusera son consen-
tement.
CHEVRETTE LA CHEVRIÉRE 169
— C'est ce que nous verrons.
— Vous n'êtes pas majeur.
— Qu'importe !
— Vous ne réussirez pas.
— Tu vas voir.
II
UNE MERE EPLOREE
La reine s'arrachait les cheveux et versait un torrent de
larmes.
Le prince Charmant venait de lui faire part de ses intentions
au sujet de Chevrette.
Sa mère s'était roulée à ses pieds, l'avait supplié de renoncer
à un dessein qui ne pouvait manquer de causer sa mort. Le
prince Charmant avait résisté à toutes les instances.
— Quelle fermeté ! pensait Olifour, qui assistait à cette
scène ; c'est pourtant moi qui l'ai élevé!
La reine alla jusqu'à menacer son fils de sa malédiction.
Alors le prince Charmant se roula par terre à son tour, dé-
1. 22
no LES FLEURS ANIMÉES
chira ses poils follets, mit son cafetan en lambeaux, et déclara
que puisqu'on lui refusait celle qu'il aimait, il prenait la ré-
solution immuable de mourir de consomption avant "six mois.
— Non, mon fils, non, tu ne mourras pas! s'écria la reine
éperdue ; conserve-toi à notre amour et à l'admiration de tes
peuples. Allez, Olifour, allez chercher Chevrette; je veux que
mon fils l'épouse à l'instant.
— Quel machiavélisme ! pensa de nouveau Olifour ; comme
sa ruse a réussi ! Quel élève j'ai fait là!
Il alla chercher Chevrette.
III
CHEVRETTE A LA COUR
Chevrette aurait autant aimé ne pas épouser le prince Char-
mant et rester çhevrière; mais ses parents étaient pauvres,
avides de trésors, il fallut se résigner.
Une fois à la cour, elle ne put s'empêcher de reconnaître
que le prince Charmant était un sot, et son précepteur Olifour
un imbécile.
Quant au roi et à la reine, c'étaient de bonnes gens qui n'y
voyaient pas plus loin que le bout du nez de leur fils.
CHEVRETTE LA CHEVRIERE iH
Chevrette s'ennuyait donc beaucoup. Elle aurait voulu sau-
ter, courir, gambader dans la campagne. L'étiquette la ren-
dait malheureuse. Elle commettait à chaque instant les erreurs
de cérémonial les plus grossières. C'est ainsi qu'à la réception
de l'ambassadeur de l'empereur Parapaphignolle, elle lui em-
brassa le côté g-auche de la moustache au lieu du coté droit.
L'empereur de Parapaphignolle, exaspéré de cet outrage fait
h son envoyé, ne parlait de rien moins que de mettre à feu et
h sang' les États du prince Charmant. On eut beaucoup de
peine à lui faire entendre raison et à arranger la chose.
Ce n'est pas que Chevrette manquât de leçons : son mari
lui faisait chaque jour un cours d'étiquette qui durait trois
heures; mais Chevrette, après cela, descendait au jardin, et
oubliait les leçons du prince Charmant en jouant avec une
petite chèvre qui la suivait au moindre signe, sur la simple
présentation d'une tige de fleurs.
Voyant tant d'indocilité et une ig-norance qui pouvait com-
promettre l'avenir de la monarchie, le conseil des ministres
décida que Chevrette serait confiée à Olifour, qui se charge-
rait de compléter son éducation.
Le conseil des ministres déclara nettement à Olifour que si
dans trois mois la princesse, interrogée dans un examen pu-
blic, ne parvenait pas à résoudre toutes les difficultés du céré-
monial et de l'étiquette, on lui trancherait la tête, à lui Olifour.
172
LES FLEURS ANIMÉES
IV
CE QUI SAUVA OLIFOUR
Ce fut la fuite de Chevrette, qui disparut le soir même oii
on lui signifia la décision des ministres.
V
CE QUI LE PERDIT
Ce fut la joie imprudente qu'il montra en apprenant la fuite
de la princesse.
Le prince Charmant en fut instruit par des envieux que
depuis longtemps le savoir d'Olifour offusquait, et sur le rap-
port de ces gens, il lui fit trancher la tête.
VI
LA PROPOSITION D'UN BON PERE
Cependant le roi ne comprenait rien au désespoir de son fils.
Pour remplacer Chevrette, il lui oft'rit de lui faire épouser
toutes les chevrières de son royaume.
CHEVRETTE LA CHEVRIÈRE \r\
Le prince Charmant refusa, et déclara qu'il ne lui restait
plus qu'à mourir de consomption, ainsi qu'il en avait formé le
projet, si l'on ne parvenait à découvrir la retraite de Chevrette.
Tous les efforts tentés dans ce but étaient superflus.
La reine alla consulter la fée qui avait présidé à la naissance
de son fils, espérant bien qu'elle ne voudrait pas laisser mou-
rir de consomption un prince qu'elle avait accablé des dons
les plus précieux du corps et de l'esprit.
La fée écouta la reine et voulut la consoler. Elle lui fit part
de ce qui s'était passé dans le royaume des Fleurs et lui apprit
que Chevrette n'était autre chose que le Chèvrefeuille , qui
s'était incarné dans le corps d'une jeune et jolie chevrière.
— Vous concevez que la fleur du chèvrefeuille est trop sau-
vage, trop simple, trop capricieuse même, pour vivre à la cour.
Laissez-la aux champs avec ses chèvres, et dites à votre fils
que je lui ménage une jolie petite princesse dont il me dira
des nouvelles.
La reine raconta à son fils la conversation qu'elle venait
d'avoir avec la fée. La petite princesse le fit réfléchir, et il
promit à sa mère de ne pas mourir de consomption.
— Voilà une singulière histoire néanmoins, pensa-t-il, et
c'est grand dommage que j'aie fait trancher la tôte à Olifour :
nous en aurions bien ri tous les deux !
174 LL'S FLb:UKS ANIMÉES
VII
FIN
En quittant la cour, Chevrette se demanda ce qu'elle allait
faire .
— Parbleu! se dit-elle, je g-arderai encore les chèvres.
Mais oh. trouver un troupeau? Elle se dirigea du côté de la
chaumière de ses parents.
La chaumière appartenait à de nouveaux propriétaires.
Depuis le mariage de leur fille, le père et la mère de
Chevrette avaient trouvé indigne d'eux le métier de paysans.
Ils s'étaient rendus à la ville voisine, oii ils habitaient un
riche palais.
YoiKi Chevrette bien embarrassée.
— Si je retourne à la ville, pensa-t-elle, le prince Charmant
me fera saisir par ses gardes, et je serai obligée de retourner
à la cour, oh. l'ennui me tuera.
Si je reste cachée à la campagne, comment ferai-je pour
vivre ?
CHEVRETTE LA CHEVRIÉRE 175
Elle était au milieu de ces perplexités lorsqu'un 'joyeux
bêlement se fit entendre derrière elle.
C'était sa chèvre, sa chèvre fiivorite qu'elle avait emmenée
avec elle à |la cour, et qui, la voyant partie, s'était échappée
du palais pour la suivre.
Elle oublia un moment la fâcheuse situation dans laquelle
elle se trouvait pour recevoir les caresses de sa chèvre. Le
fidèle animal sautait, gambadait autour de sa maîtresse, et
venait de temps en temps frotter son joli museau contre le sein
de la chevrière.
— Tu m'aimes bien, lui disait-elle, ma pauvre chèvre, tu
es heureuse de me revoir; hélas ! je n'ai rien à te donner, pas
même un brin de luzerne ni un petit toit pour te mettre le
soir à l'abri du loup.
Comme elle prononçait ces paroles, elle entendit quelqu'un
qui s'écriait : — Oh ciel !
Celui qui parlait ainsi était un jeune chevrier nommé
Jasmin. Il errait dans les bois, triste et désolé, parce qu'il
avait perdu Chevrette qu'il aimait.
Mais Chevrette ne le savait pas.
En le voyant elle se sentit rassurée ; elle l'appela : — Jas-
min ! Jasmin !
176
LKS FLEURS AMMÉl'S
11 s'approcha et elle lui raconta son malheur. Jasmin, à
son tour, lui parla en pleurant de tout ce qu'il avait soufTert
pendant son absence.
Chevrette essuya ses larmes, et lui dit de se consoler : si
elle avait su son amour, jamais elle n'eût consenti à épouser
le prince Charmant.
Le chevrier suivit le conseil de la chevrière. Il essuya ses
larmes et se consola. Chevrette lui permit de la suivre au
fond de la forêt; ils vécurent heureux, chevrier et chevrière,
Jasmin et Chèvrefeuille, mais après s'être mariés.
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Sii.-^zj.t //f!r r l'ri &. ùsur.S./k
CAMELLIA
Garni er frères Editeurs
LES REGRETS DU CAMÉLIA
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IMPERIA
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^B^âl'''^A " L n'était bruit dans Venise que des attraits
de la comtesse Impéria.
'^
Sa beauté fière et majestueuse frappait
tout le monde d'admiration ; son teint d'un
blanc velouté, nuancé d'une légère teinte
rose, était un objet d'envie pour toutes les dames de Venise.
L'élite de la noblesse l'entourait d'une cour brillante et nom-
breuse. Lo glorieux époux de la mer, le doge lui-même, avail
dit, le jour de son couronnement, que s'il avait été libre de
, 23
178 L^S FLEURS AiNIMÉES
son choix, ce n'est pas l'Adriatique qui aurait reçu son an-
neau de fiançailles.
Les gondoliers de Venise admiraient sa beauté, et le soir
sur la grève, lorsque l'improvisateur, récitant les strophes de
la Jérusalem délkrre, parlait au peuple d'Armide, de Clorinde
et d'Herminie, il s'écriait, dans un transport d'enthousiasme,
qu'elles étaient belles comme la comtesse Impéria.
Elle recevait tous les hommages indistinctement ; tout sei-
gneur était admis auprès d'elle, sans qu'elle eût l'air d'écouter
celui-ci d'une oreille plus favorable que celui-là. Tant de
vertu unie à tant de beauté faisait de la comtesse une excep-
tion, et la rendait célèbre dans toute l'Italie.
Ce devait être un grand triomphe que de dompter ce cœur
rebelle ; aussi l'émulation de la jeunesse vénitienne était-elle
vivement excitée ; l'époux de la belle Impéria aurait tant et
de si redoutables rivaux à vaincre !
On commençait à croire, à Venise, que la comtesse renon-
çait définitivement au mariage, lorsqu'on apprit qu'elle avait
fait un choix.
LES REGRETS DU CAMÉLIA 170
II
STENIO
C'était un des plus jeunes, un des plus nobles, un des plus
riches, un des plus aimables cavaliers de Venise.
Son bonheur parut si mérité, qu'il fit taire la jalousie.
Pour connaître les sentiments dont Stenio était animé, il
nous suffira de jeter les yeux sur la lettre suivante qu'il
écrivit, la veille de son mariage, à son ami d'enfance Paolo :
« Cher ami ,
« Elle a consenti à me donner sa main. Comprends-tu ma
joie, Paolo? elle m'aime !
« Il y a des moments oii je doute encore de mon bonheur.
Je me dis quelquefois : Non, cela n'est pas possible; cette
noble et fière créature ne peut aimer un mortel. Et cependant
pourquoi m'aurait-elle choisi? Quel motif l'aurait forcée
m'aliéner cette liberté à laquelle elle tenait tant, si ce n'est
l'amour?
« Tu me connais, Paolo, tu sais que ma seule ambition a
toujours été de posséder le cœur d'une femme, d'y régner
180 LES FLEURS ANIMÉES
sans conlrainto, sans partage, d'échanger mon unie avec la
sienne, de vivre des élans d'une mutuelle sympathie. Ce rêve
sur la terre, je le réaliserai ; Dieu n'a pas voulu que la beauté
fût un don stérile : à celles qu'il a choisies pour faire naître
les flammes de la passion, il a donné un cœur pour les com-
prendre.
« Remercie le ciel, Paolo, il a exaucé les vœux de ton
ami.
« Stenio. »
III
REPONSE DE PAOLO
Prends garde à toi, tu es poète ! »
IV
APRÎÎS LE MARIAGE
Nous ne dirons rien des noces de Stenio et d'Impéria ;
Venise en a conservé le souvenir. Qu'il nous suffise d'appren-
dre qu'elles furent dignes des deux époux.
Stenio emmena sa femme à la campagne.
LES HEGRETS DU CAMÉLIA 181
11 voulait passer ces premiers mois de la lune de miel, si
charmants et si doux, sous les arbres, au chant des oiseaux,
au murmure des brises, au parfum des fleurs, au milieu de la
solitude.
— N'est-ce pas que nous sommes heureux? avait-il dit à
sa femme.
Comme celle-ci avait répondu par un soupir, Stenio se
sentit le plus heureux des hommes. Le soir même, il partit
avec Impéria pour sa villa.
V
VILLEGIATURE
Il se trouva, au bout de quinze jours, que la belle Impéria
trouva la campagne monotone.
Après quelques tours de ''promenade sous les grands mar-
ronniers, elle se trouvait tout de suite fatiguée.
Si Stenio lui proposait de s'asseoir sur un banc de gazon,
elle prétendait que le gazon était humide, et qu'un bon fau-
teuil était préférable.
Le soir, lorsque la lune jetait ses reflets mélancoliques sur
la terrasse du vieux château, elle répondait à Stenio, qui l'en-
182 LES i"li:i;hs a.mméi:s
g-ageail à venir entendre îivec, lui les harmonies de la nuit,
qu'elle était fort sujette aux rhumes.
Un jour, elle se plaignit des rossignols dont le chant l'em-
pêchait de dormir.
Décidément, la campagne n'allait pas bien à Impéria. Son
mari résolut de^retourner à la ville.
VI
LA SCENE SE PASSE A VENISE
Après tout, se dit Stenio, on peut être aussi bien seul dans
un palais que dans une chaumière. J'ai fait remettre à neuf
l'antique demeure de mes pères. C'est un nid de soie, de ve-
lours et d'or dans lequel ma colombe se trouvera bien. Nous
vivrons l'un pour l'autre, loin du bruit, loin du monde, loin
des fêtes; elle découvrira à moi seul les trésors de son cœur.
Le jour de son arrivée, Impéria visita le palais, parcourut
les uns après les autres tous les appartements, et parut con-
tente du goût et de la magnificence qui avaient présidé à l'ar-
rangement. Elle en témoigna en termes non équivoques sa
satisfaction à son mari.
— Enfin, s'écria-t-il au comble de la joie, elle me] com -
LES REGRETS DU CAMELIA 183
prend! Stenio, ainsi que le lecteur a dû s'en apercevoir, était
de ceux qui revent une existence de sylphe ou de génie, une
vie dont tous les instants s'écoulent au milieu de la musique,
de la poésie et de l'échange le plus éthéré des sentiments les
plus beaux. Selon lui, sa ténime devait avoir les mêmes idées.
Malheureusement il se trompait.
*
Lorsque, assis aux genoux de la belle Impéria, il voulait
prendre la guitare pour lui chanter une mélodie d'amour, elle
portait sa main à son front en s'écriant : — Affreuse mi-
graine
Lorsqu'il essayait de lui lire quelques pages d'un de ses
poètes favoris, elle se jetait en bâillant sur son canapé, en
maudissant la chaleur et en se plaignant du siroco.
Toutes les fois qu'il tentait de faire du sentiment avec elle,
Impéria lui coupait la parole."
— N'est-ce pas, lui disait-il, ù mon unique amour! qu'il
est doux de...
Jamais il n'avait pu aller plus loin ; Impéria, dès le début
de la phrase , se lamentait sur ses maux d'estomac, ou sur le
danger qu'il y a à prendre des granits à la fraise après son
dîner.
Stenio prenait son mal en patience et comptait sur des
temps meilleurs : ses illusions lui restaient.
184 f ES FLEURS ANIMÉES
Un jour, Impéria l'aborda avec un doux sourire et en l'ap-
pelant : Cher seigneur !
Pour le coup, pensa Stenio, nous y voici; nous allons
enfin échanger nos deux âmes.
— N'est-ce pas, ô mon unique amour! se hâta-t-il de ré-
pondre, qu'il est doux de...
— De donner des fêtes, de recevoir ses amis, reprit Impé-
ria. de vivre dans le monde. Est-ce que vous ne songez pas à
réunir prochainement, dans un grand bal, toute la société de
Venise? Il me semble que, puisque nous voilà mariés, nous
devons tenir notre rang.
Ce fut un coup de tonnerre pour Stenio. Quelques jours
après, il écrivit h son ami.
•VII
DEUXIEME LETTRE A PAOLO
(( Je suis le plus malheureux des hommes ! Impéria ne me
comprend pas.
(( Il fallait voir comme sa figure rayonnait lorsqu'elle s'est
présentée à moi parée pour le bal. Elle n'aime que l'éclat, les
LES REGRETS DU CAMÉLIA IRo
triomphes du monde, le luxe et la toilette. C'est une femme
sans cœur.
« En la voyant si belle, si heureuse, j'ai voulu me venger.
« Madame, lui ai-je dit, vous ressemblez à cette fleur qu'on
nomme le camélia, et qu'un jésuite nous a récemment appor-
tée de Chine; elle est charmante à l'œil, mais elle ne dit rien
à l'odorat. Vous êtes belle, madame; mais vous n'avez pas ce
parfum de la beauté qui s'appelle l'amour !
'( Après lui avoir lance ces paroles foudroyantes, je l'ai re-
gardée; elle souriait.
'( Vous ne vous trompez pas, m'a-t-elle répondu ensuite, je
suis le Camélia, et elle est entrée fièrement dans la salle
du bal.
(( Il me semble cependant qu'avant d'entrer, elle m'a re-
gardé d'un air triste. Que signifie ce regard?
f( Ah! mon ami, plains-moi, et laisse-moi te répéter que je
suis le plus malheureux des hommes. »
VIII
DEUXIÈME RÉPONSE DE PAOLO
Je te l'avais bien dit. »
I. 24
181. LES FLEUllS ANIMÉES
IX
LE CAMELIA
Un jour, une gondole noire s'arrêta devant le palais de la
belle Impéria. Des rameurs frappèrent à la porte et déposè-
rent un cadavre sur le seuil.
C'était celui de Stenio.
On l'avait trouvé étendu sur la grève du Lido, frappé d'un
coup de poignard au cœur; auprès de lui, un billet écrit de sa
main contenait ces simples mots : « Que Dieu fasse miséri-
corde à mon âme, elle ne m'aimait pas! »
A la vue de ce cadavre. Impéria sentit des larmes baig-ner
sa paupière ; elle regarda longtemps les cheveux souillés, les
yeux éteints, la poitrine ensanglantée de son jeune époux, et
déposant un baiser sur son front pâle :
— Maudit soit le jour, dit-elle, oii j'ai voulu vivre sur la
terre ! Si la fée m'avait dit : Tu auras un cœur insensible, une
àme froide; tu assisteras, impassible, au spectacle des maux
(jne tu feras naître, tu brilleras d'une beauté fatale qui ne re-
flétera aucun sentiment de tendresse, je n'aurais pas demandé
à changer de sort. Fleur, on peut vivre sans parfum; femme,
on ne saurait exister sans amour I
LES REGRETS DU CAMEIJA
187
0 Fée ! ajouta-t-elle, rends-moi à ma première forme, fais
que je redevienne Camélia : il y a bien assez de femmes sans
cœur sur la terre !
La Fée aux Fleurs ne tarda pas à réaliser ce souhait. Rede-
venue fleur, Impéria se ressouvint de Stenio : on vil fleurir
comme par enchantement un magnifique camélia sur la tombe
du jeune homme.
On parla longtemps du suicide de Stenio et de la disparition
de sa veuve, qui eut lieu quelque temps après.
Personne ne comprit rien à cette mort, et lorsqu'on en par-
lait à Paolo, il répondait :
(( Je le lui avais bien dit, c'était un poète ! »
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fcU'dXiri /m/K r (rU l^ ùrarS f'ar:^-
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L'-<ii-n!cr ireres, LUI leurs
paaaîQ
L'IMMORTELLE
V£c-^
A Lavande dit à l'Immortelle :
— Nous avons vécu ensemble, sur lu
même colline; le printemps va finir, et
je sens ma feuille se sécher; demain je
"W^-îl^z' "- ne serai plus, et toi tu vivras, tu enten-
dras les chants joyeux de l'alouette; comme elle, tu pourras
saluer le soleil quand il viendra sécher tes pieds trempés de
rosée. Il est si doux de vivre, pourquoi suis-je condamnée
à mourir !
i90 ij:s fli:urs animées
L'Immortelle répondit :
— Tout cliange, tout se renouvelle dans la nature; moi
seule, je ne cbang-e pas.
Le printemps ne me donne pas une jeunesse nouvelle; ma
feuille a tous les feux de l'été, toutes les glaces de l'hiver, et
garde sa pâleur éternelle.
Jamais je n'entends autour de moi le doux murmure des
abeilles ; jamais le papillon ne m'effleure de son aile; la brise
passe sur ma tète sans s'arrêter; les jeunes filles s'éloignent
de moi : qui voudrait cueillir la fleur des tombeaux, la froide
et sévère immortelle?
Balance encore une fois tes longs épis en signe d'allégresse,
Lavande aux yeux bleus ; lève tes regards vers le ciel pour le
remercier : tu es heureuse, tu vas mourir!
Tandis que moi, pauvre condamnée, je subirai les ennuis
des pâles journées et des longues nuits d'hiver, je sentirai
frissonner mes épaules sous la neige, j'entendrai dans les
ténèbres la plainte monotone des morts !
Tu vas donc mourir, Lavande ; ton àme va s'envoler vers
le ciel avec ton parfum.
L'IMMOr.TKlJ.t:
l'Jl
Je te confie ma prière, ma sœur : dis à celui qui nous a
créées toutes deux que l'immortalité est un présent funeste,
qu'il me rappelle auprès de lui, source de tout bonheur, de
toute vie.
: A
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MARGUERITINE
L'ORACLE DES PRÉS
■^î^S^^"4i NNA s'est réveillée à l'aube, et elle a pris
le chemin de la prairie.
L'oiseau commence à peine son doux
ramage, les fleurs inclinent encore leur
tête trempée de rosée.
Anna étend ses reg'ards de tous côtés et elle les arrête sur
une Marguerite.
C'était bien la plus jolie Marguerite du pré; fraîche épa-
25
194 LKS FLEUUS AiMMEKS
nouic sur sa tige mignonne, elle regardait doucement le
ciel.
Voilà, se dit Anna, celle qu'il taut consulter.
— Belle Marguerite, ajouta-t-elle, en se penchant vers la
blanche devineresse, vous allez m'apprendre mon secret.
M'aime-t-il ?
Et elle arracha la première feuille.
Aussitôt elle entendit la Marguerite qui poussait un petit
cri plaintif et lui disait :
— Comme toi j'ai été jeune et jolie, petite Anna; comme
toi j'ai vécu et j'ai aimé.
Ludwig- ne s'adressa pas à une fleur pour savoir si je
l'aimais.
11 me le demanda lui-même, tous les jours m 'arrachant
une syllabe de ce mot amour, me forçant peu à peu à le lui
dire. Comme tu enlèves mes feuilles une à une, il m'enleva
un à un tous ces doux sentiments qui sont la protection de
l'innocence.
Mon pauvre cœur resta seul et nu, comme va rester ma
corolle, et je souffrais, je regrettais mes blanches feuilles,
mes doux sentiments.
Ne fais point de mal à la Marg-uerite, petite Anna, car la
L'ORACLE DES Plll'S
195
Marguerite est ta sœur ; laisse-la vivre de la vie que Dieu lui a
donnée. En récompense, je te dirai mon secret.
Les hommes traitent les femmes comme les marguerites ; ils
veulent aussi avoir une réponse à la double question : M'aime-
t-elle ? ne m'aime-t-elle pas ? Jeune fille, ne réponds jamais.
Les hommes te rejetteraient après t'avoir effeuillée.
On ne sait pas si Anna, la petite Anna, a bien profité du
secret de la Marguerite.
ALTRA CANZONE
LA FLEUR DU SOUVENIR
I> '.S'" !S>'^o^ "C ''C. 'C o-
E sa chevelure tomba une fleur; lui voulut
►ow- l\S\ ^^ ramasser, mais elle l'arrêta.
— Laisse, lui dit-elle, laisse la fleur
i?"'^^;^'^' ' que le vent emporte, et prends celle-ci.
En me tirant de son sein, elle me mit dans la main de son
ami.
— Fleur délicate et chérie, dit-il à son tour en me sou-
198 ■ LES ILKURS AMMLtS
riant , je veux te garder sans cesse, fleur aimée, fleur du
souvenir
11 m'emporta chez lui. il me mit dans un vase de pur
cristal ; il me regardait sans cesse, et en me regardant, c'était
elle qu'il voyait.
— Fleur de ma bien-aimée. disait-il souvent, que ton par-
fum est doux, comme il enivre le cœur !
Elle t'a touchée, elle a laissé glisser sur toi son haleine; je
te reconnaîtrais entre mille.
Cependant mes couleurs se flétrissaient, ma tige s'inclinait
languissante, il me prit un jour d'un air triste.
— Pauvre fleur, me dit-il, tu vas mourir, je le vois; viens,
je veux te faire une tombe dans un lieu secret et privilégié,
c'est comme si je t'ensevelissais à côté de mon âme.
11 me glissa parmi les lettres de sa bien-aimée.
J'étais bien pour reposer dans cette atmosphère suave.
Souvent il visitait ma tombe, et, fantôme reconnaissant, je
retrouvais mes anciens parfums, je lui apparaissais dans tout
l'éclat de ma jeunesse, et son amour lui semblait plus jeune
aussi. ^
Peu à peu je l'ai vu moins souvent.
LA FLEUR DU SOUVENIR
1 !)fl
L'autre jour, il est venu, il a pris les lettres sans les lire,
et les a brûlées.
Il m'a vue et m'a longtemps regardée : — Pourquoi es-tu
là? semblait-il me demander.
Il m'a saisie, et s'approchant de sa fenêtre, je sentis que je
glissais entre ses doigts distraits.
L'ingrat ne me reconnaissait plus, moi, la fleur tirée du
sein de sa bien-aimée, la fleur du souvenir!
Le vent a dispersé dans le vide mes pauvres feuilles dessé-
chées.
BELLE-r3E-NUIT
Gamier frères Editeurs
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LES CONTRASTES
LES AFFINITÉS
CANCANS DE PORTIER
Coquelet, rentier retiré, ne passait
jamais le matin devant la loge de son
portier sans lui faire part des événe-
ments mémorables de sa nuit : s'il
>ç^ avait entendu trotter une souris, si le
ruban de son bonnet de coton s'était
dénoué, s'il avait rêvé chat, M. Jabulot était bien sûr d'en
être informé le premier.
26
*1 %î ■■>'^^-v'^^
202 LES FLEURS ANIMÉES
Nous sommes forcé de convenir que le portier de l'hon-
ikHc rentier se nommait Jabulot. Et pourquoi pas? lui-nirme
s'appelait bien Coquelet.
D'un autre coté, si un locataire était rentré plus tard ou
sorti plus tôt que de coutume, si le troisième étag"e s'était
brouillé avec l'entre-sol, si le rez-de-chaussée levait le nez
vers la mansarde, M. Jabulot se faisait un devoir d'en instruire
M. Coquelet avant la laitière, la fruitière, l'écaillère et toutes
les autres commères.
Chose inouïe ! le locataire aimait son portier. Fait incroya-
ble ! le portier avait de la sympathie pour son locataire.
Ce jour-là, M. Coquelet prit une pose tragique pour s'arrê-
ter devant la loge du portier.
— Père Jabulot, lai dit-il d'une voix g-rave, avertissez le
propriétaire que je lui donne congé.
Le père Jabulot laissa tombei' le balai qu'il tenait à la main
et regarda M. Coquelet la bouche béante.
— Mettez l'écriteau dès aujourd'hui, poursuivit-il d'un ton
lent et pour donner plus de poids à ses paroles; ma résolution
est immuable.
— Déménag-er ! répondit le portier après un moment de
silence donné à la stupéfaction que lui causait une semblable
LliS CONTRASTES ET LES AFFLNITÉS 203
détermination, quitter un appartement que vous occupez de-
puis vingt-cinq ans !
— Six mois, onze jours, cinq heures et vingt-cinq minutes.
Et M. Coquelet poussa un soupir.
— Un appartement composé de deux petites pièces si fraî-
ches l'été, si chaudes l'hiver!
— Hélas !
— Un parquet que je frotte à le rendre luisant comme un
il.»
miroir
— Heu ! heu ! heu ! Coquelet sanglotait. Il le faut, mon
pauvre Jabulot, il le faut !
— Il le faut ! Le gouvernement a donc fait banqueroute !
Vous êtes ruiné, mon cher M. Coquelet! Ah! grands dieux!
grands dieux !
Jabulot à son tour essuya une larme.
— Rassurez-vous, père Jabulot, rassurez-vous; ce n'est
pas cela.
— Mais alors, s'écria le portier en se redressant, vous au-
riez quelque reproche à me faire ! Parlez, monsieur, parlez :
on peut être fautif à tout âge, mais à tout âge aussi on peut
se corriger.
204 LES FLEURS AMMÉES
— Je me plais à vous rendre cet liommage, .labiilot, que
vous n'êtes pour rien dans la pénible décision que je me vois
forcé de prendre.
— Mais pourquoi ! mais pourquoi ! mais pourquoi !
— Vous ne le devinez pas, Jabulot?
— Nullement. Une maison si propre, si bien tenue, que
j'habite depuis plus de quarante ans. Ah! tenez, monsieur
Coquelet, je ne suis pas comme vous, moi : on m'offrirait les
plus beaux cordons de Paris, que je ne voudrais pas abandon-
ner le mien. Là oii je m'attache une fois, je meurs. Faites-
moi le plaisir de me dire ce qui vous manque. Vous avez un
propriétaire qui ne veut pas de chien chez lui, des locataires
qui appartiennent aux classes les plus disting-uées de la
société : un huissier, un professeur d'écriture, un fabricant
d'étuis à chapeau; des voisins...
— C'est ici que je vous arrête, Jabulot, car, puisqu'il faut
vous l'avouer, ce sont mes voisins qui m'obligent à me sé-
parer de vous.
— Dites plutùt vos voisines, car vous n'avez sur votre carré
que ce jeune homme et cette petite ouvrière qui habitent les
mansardes à coté de votre appartement. L'un, M. Frantz...
— Oh ! ce n'est pas celui-là.
— Je le crois bien, un ange, un petit saint, qui passe toute
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 205
sa journée à travailler, qui ne voit jamais personne, qui ne
sort jamais que pour aller porter son ouvrage. L'autre,
M"" Pierrette...
— La scélérate !
— C'est donc contre elle que vous en avez ? Elle vous a
repoussé un peu rudement l'autre jour, c'est vrai; mais dame!
il paraît que vous vous étiez permis...
— Apprenez, monsieur Jabulot, que je ne me permets ja-
mais rien. Qu'il vous suffise de savoir que cette demoiselle
Pierrette n'est point la voisine qui convient à un citoyen pai-
sible et rangé, qui se couche à huit heures du soir, et qui
n'entend point être réveillé à minuit; d'un homme honnête
et chaste, qui n'aime pas à écouter par force tout ce qu'il plaît
à de jeunes écervelés de chanter sur l'air du tra la la. Que
jyjiie pieppgtte et ses dignes amis se livrent tant qu'ils vou-
dront à leurs folles orgies, je fuis, je quitte ces lieux au-
trefois calmes et vertueux, je donne congé devant Dieu et
devant les hommes.
Un bruit de fiacre se fit entendre devant la porte de la mai-
son, et M. Coquelet finissait à peine sa tirade, qu'une petite
femme, la tête surmontée d'un bonnet de pierrot, les épaules
et le reste du corps enveloppés d'un vaste tartan, passa
comme un sylphe devant la loge ; elle glissa entre les deux
vieillards, et s'élança vers l'escalier, légère, vive, sautillante,
200 LES FLEURS ANIMÉES
on criant : — Bonjour, monsieur Coquelet ! bien des choses
de ma part à monsieur votre serin.
M. Coquelet avait la faiblesse des serins.
II
VOISIN ET VOISINE
Sur le carré do Coquelet, ainsi que l'avait dit Jabulot, il
y avait deux mansardes.
L'une occupée par un jeune homme, l'autre par une jeune
fille. L'appartement de Coquelet les séparait.
Contre toutes les règles de l'art, nous allons commencer par
nous occuper du jeune homme.
Il a dix-huit ans à peine : sur sa figure innocente se démêle
aisément, au milieu de la candeur qui en est le caractère prin-
cipal, un air de poétique exaltation qui le fait ressembler à
un de ces séraphins qui ressortent sur un fond d'or dans les
tableaux des peintres du moyen âge.
Un séraphin dans une maison, dont le portier s'appelle
Jabulot, et qui a M. Coquelet pour locataire ! Vous ne me
croyez pas ! Vous avez tort : il ne faut pas abuser du scepti-
cisme; il peut y avoir des séraphins partout.
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 207
Frantz en est un assurément ; il est descendu sur la terre
pour remplir quelque mission que nous ne savons pas. Sans
cela, serait-il aussi sage, aussi rangé, aussi assidu à son tra-
vail ? A son âge on aime les plaisirs, les distractions. Lui ne
quitte pas sa table de toute la journée, et quand le soir est
venu, son seul plaisir, sa seule distraction, consistent à s'ac-
couder rêveusement sur le rebord de sa fenêtre, et à regarder
le ciel parsemé d'étoiles brillantes.
Vous me demanderez sans doute quel est le travail de
Frantz. Rassurez-vous, il ne fait ni des romans, ni des son-
nets, ni des drames, ni des vaudevilles.
Que fait-il donc ?
Pour contenter tout de suite votre curiosité, je vous avoue-
rai qu'il copie de la musique.
Voilà pour l'ange; passons maintenant au démon. Il s'ap-
pelle M'"^ Pierrette.
Elle a seize ans, un sourire perpétuel sur les lèvres, un
éclair à domicile dans ses yeux.
Ses lèvres sont roses et ses yeux noirs.
Je ne vous parle ni de sa taille, ni de ses pieds, ni de ses
mains, ni de ses cheveux. Je vous renvoie à tous les portraits
de grisettes qui ont paru depuis mil huit cent trente jusqu'en
mil huit cent quarante-six inclusivement.
208 LES FLEURS ANIMÉES
Car M'" Pierrette n'est pas autre chose qu'une g-risettc. Il
est vrai qu'elle prend le titre d'artiste en couture.
II faut vous dire que M. Coquelet n'a pas toujours été d'aussi
mauvaise humeur contre M'" Pierrette que nous l'avons vu ce
matin.
La veille, il s'était présenté chez l'artiste en robes, autre-
ment dit : la couturière.
Midi venait de sonner.
M. Coquelet frappa discrètement à la porte de M'" Pierrette.
Pan ! fit-il une première fois; pan ! pan ! cqntinua-t-il. Voyant
ensuite qu'on ne lui répondait pas et trouvant le clef sur la
serrure, il entra.
C'était bien hardi ce que faisait M. Coquelet, mais le but
môme de sa démarche doit l'excuser à nos yeux.
La jeune fille dormait sur un fauteuil vermoulu; à son côté
pendait tout l'attirail d'une défroque de bergère. Une chan-
delle, dont il ne restait que le bout, brûlait encore dans le
goulot de bouteille qui lui servait de chandelier.
— 0 jeunesse, jeunesse inconsidérée! dit M. Coquelet en
se parlant à lui-même. Avant de pousser cette exclamation,
le rentier, prévoyant que son discours pourrait dépasser les
bornes ordinaires, prit soin d'éteindre la chandelle.
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 209
M. Coquelet, entre autres vertus, possédait au suprême
degré celle de l'économie.
Comme il allait reprendre. le fil interrompu de son discours,
la jeune fille se réveilla.
— Tiens! dit-elle en apercevant M. Coquelet, debout, les
bras croisés ; c'est vous ?
— Moi-même, mademoiselle.
— Quelle heure est-il ?
M"* Pierrette se frottait les yeux en parlant ainsi .
M. Coquelet s'approcha de la fenêtre et tira le rideau.
— Regardez, dit-il d'un ton magistral.
La rue était pleine de bruit et de mouvement, un beau
soleil de la fm du mois de février inondait la chambre de ses
rayons joyeux.
— Voulez- vous bien fermer les rideaux ! s'écria M'" Pier-
rette d'un air d'impatience; pourquoi m'avoir ainsi réveillée?
— Je veux vous parler.
— Et moi je veux dormir.
Elle se retourna sur son fauteuil, et pencha sa jolie tête sur
le dossier, comme pour mettre ses paroles à exécution.
■11
■210 LKS FLEURS ANIMÉES
Cette ibis, M. Coqueiet ne tint nul compte du désir de
M"" Pierrette ; il prit devant elle une posture résolue, et lui
dit d'un ton l'orme et indigné à ki fois :
— Jusques à quand, malheureuse femme, vous laisserez-
vous aller à tous les caprices de votre lég"èreté ? Jusques à
quand votre inconduite fera-t-elle le sujet des conversations
de tout le quartier? Quoi ! ni la mine renfrog-née du portier,
ni les plaintes, ni les clameurs des locataires contre vous
n'ont pu vous avertir !
»
— Aurez-vous bientôt fini votre sermon? demanda Pierrette
en baillant : je vous préviens que je tombe de sommeil.
— C'est cela, reprit Coquelet : quand on a fait de la nuit
le jour, il faut bien changer le jour en nuit. Mais ne voyez-
vous pas qu'à ce train de vie vous allez perdre votre jeunesse,
ruiner votre santé ?
— Qu'est-ce que cela vous fait ?
— Vous me demandez ce que cela me fait, ing-rate ? Eh
bien, apprenez...
— Quoi donc ?
Avant de répondre. Coquelet se campa fièrement devant
son interlocutrice.
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 2U
— Oiicl âge me donncricz-vous ?
— Soixante-deux ans.
— Je n'en ai que cinquante-huit; je possède une jolie
place.
— Après?
— Je peux demander ma retraite.
— Et puis ?
— Me retirer avec trois bonnes mille livres de rente.
— Ensuite ?
— Les partager avec une femme, et faire son bonheur.
— Vraiment !
— Voulez-vous être cette femme? consentez-vous à devenir
madame Coquelet?
Le vieux rentier songea un instant à se mettre à genoux ;
mais, comme il n'était pas sûr que Pierrette consentît à le
relever, il aima mieux entendre la réponse sur ses jambes.
Cette réponse fut un éclat de rire. Après quoi, la jeune fille
mit M. Coquelet à la porte.
C/est depuis ce jour que celui-ci s'était aperçu que M'" Pier-
212 LES FLEURS ANIMÉES
rotte rentrait tard, qu'elle faisait du bruit, qu'elle Tempè-
cliait de dormir.
II donnait congé par vengeance.
III
ou L'ON VOIT QU'IL EST QUELQUEFOIS PRUDENT
DE S'ENFUIR QUAND ON VOUS APPELLE
Après le départ de Coquelet, M'" Pierrette voulut continuer
son somme ; mais cela lui fut impossible.
Elle essaya de travailler, mais cela lui fut bien plus impos-
sible encore.
— Maudit Coquelet î s'écria-t-elle en tapant du pied; c'est
pourtant lui qui me vaut cette insomnie. Je dormais si bien
quand il est entré ! Mais que faire, bon Dieu ! que faire?
Me proposer d'être sa femme, à moi Pierrette! Mais il ne
s'est donc jamais regardé dans sa glace, le vieux loup ! Il a
bien fait de s'en aller, car si je le tenais, je lui ferais bien
expier sa sottise.
Et pourquoi n'essayerais-je pas ? Il ne doit pas être bien
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 213
loin. A ces mots, elle sortit de sa chambre et se mit à crier de
toutes ses forces : — Monsieur Coquelet ! Monsieur Coquelet !
Il n'était pas au bas de l'escalier; il leva la tête.
— Qui m'appelle ?
— C'est moi, Pierrette.
Le cœur de Coquelet se dilata.
— Elle me rappelle, pensa-t-il ; elle comprend tout ce que
ma proposition a de flatteur et d'ag-réable pour elle. Vite, vite,
remontons.
Il gravit les marches de l'escalier quatre à quatre.
Il était tout essoufflé, quand il se trouva en présence de
Pierrette ; il lui sourit néanmoins.
— Vous m'avez appelé, ma toute belle ? lui demanda-t-il
d'un ton doucereux.
— Oui, répondit Pierrette en prenant une contenance em-
barrassée.
— Que me voulez-vous ?
Redoublement d'embarras du côté de Pierrette. — Pauvre
petite ! se dit Coquelet, elle n'ose m'avouer qu'elle veut deve-
nir ma femme. Il faut l'encourager.
214 LES FLEURS A.NniÉLS
— Parlez, mon enfant, parlez sans crainte. Au point 0:1
nous en sommes, vous le pouvez.
— Je voulais vous dire que. . .
— Voyons.
— Vrai, vous désirez que je parle ?
— Je vous en supplie, cruelle, ne retardez pas l'instant de
mon bonheur,
— Eh bien ! s'écria Pierrette en changeant tout à coup de
ton. je voulais vous dire que vous ùtes un monstre de m'avoir
réveillée si matin, et qu'il faut que je me venge !
En même temps elle s'approcha de Coquelet, et le pinça de
façon à lui faire pousser une clameur féroce.
Pierrette s'enfuit en riant, et courut se barricader dans sa
chambre.
Coquelet sortit pour déposer sa plainte chez le procureur
du roi.
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 215
IV
TIREZ LA CHEVILLETTE, LA BOBINETTE CHERRA
Frantz entendit tout ce tapage, et sortit de sa mansarde. 11
avait entendu la voix de Pierrette et celle de M. Coquelet qui
semblaient se quereller.
Il voulut connaître les motifs de cette querelle.
M. Coquelet, furieux, transporté, éperdu, refusa de lui ré-
pondre. M"^ Pierrette venait de s'enfuir.
Comment faire?
Il y avait bien un moyen : taper à la porte de iM'" Pierrette,
mais Frantz était si timide !
A la fm, il se décida. Il était rouge, il était pâle, tant le
cœur lui battait.
Il frappa discrètement, h peine si M"^ Pierrette put l'en-
tendre. Nous ne savons comment cela se fit, mais il n'eut pas-
besoin de recommencer comme M. Coquelet : une voix douce
lui dit tout de suite : — Entrez.
Et il entra.
2i6
LES FLEURS ANIMÉES
Maintenant que nous avons disposé les divers personnages
de ce drame d'intérieur, donné une idée de leur caractère,
de leur position, de leurs mœurs, le lecleur doit être exces-
sivement curieux de connaître les grands événements qui
.vont suivre. C'est pourquoi nous allons passer à une autre
histoire.
AUTRE MARGUERITINE
LE TRÈFLE
0^^-^ UEiLLE le trèfle à quatre feuilles, m'a dit la
vieille Marthe, c'est un talisman qui porte
M^ bonheur.
Et moi je me suis levée ce matin pour
venir chercher le trèfle à quatre feuilles.
Je parcours en tous sens la prairie, et je ne trouve pas
mon talisman. Rend-il riche? fait-il aimer? préserve-t-il des
maladies?
28
218 LES FLEURS ANIMÉES
Mon Dieu, que ce cliuinp de trèfle est joli ! comme ces
lestons découpés s'inclinent gracieusement sous la brise !
L'alouette a fait son nid au milieu des toufTes de trèfle, les
petites bêtes du bon Dieu se balancent sur ses feuilles, le
papillon voltigent autour de ses fleurs.
La perdrix et la caille y mènent promener leur jeune cou-
vée : ils courent, ils jouent, ils se poursuivent au milieu de
l'herbe épaisse.
Petits oiseaux, petites bêtes, papillons, le trèfle hospitalier
accueille et protég-e les faibles et les timides. Il n'est pas jus-
qu'au lièvre paresseux et sybarite qui ne vienne s'endormir
pendant la chaleur sous ces touffes fraîches et moelleuses.
Je comprends maintenant pourquoi la vieille Marthe m'a
dit de cueillir le trèfle à quatre feuilles.
Etre humble et charitable, aimer les pauvres et les oppri-
més, cela ne porte-t-il pas bonheur ?
Montre-toi donc à moi, trèfle à quatre feuilles, mon cher
talisman. Il y a bien longtemps que je te cherche. Loués soient
Dieu et ma patronne! le voilà, je l'ai trouvé.
O"
Garni,',- n— e:. Editeur
1
UNE LEÇON
PHILOSOPHIE BOTANIQUE
— o "1> ','";;j' "'^:> a o ■^ --'«I "C". '■""" '^
MAXIME PROFONDE
ouTE fleur est susceptible de culture ,
disait le savant docteur Gocomber à son
élève le petit marquis de Florizelles, un
jour qu'ils se promenaient ensemble
dans les champs, à l'eff'et d'admirer le
sublime spectacle de la nature.
On croyait beaucoup à la nature, au dix-huitième siècle.
220 LES FLEURS ANIMÉES
— Voyez, ajoutait Cocomber, cet œillet que j'ai cueilli ce
matin dans le parterre du château, il a commencé par être une
petite fleur simple, sans conséquence, indigne d'attirer l'atten-
tion d'un savant docteur comme moi; maintenant je le mets
à ma boutonnière, je m'en pare, mon nez peut le respirer sans
se compromettre. Savez-vous pourquoi ?
— Vraiment non, répondit Florizelles.
— Parce qu'un jardinier habile a pris cette fleur, l'a culti-
vée avec soin, et en a foit une fleur de bonne compagnie,
brillante, agréable, oflrant vingt aspects, ayant vingt physio-
nomies diflerentes, et tout cela grâce à l'éducation. Que mon-
sieur le marquis jette un coup d'œil sur ce chardon.
— C'est fait, répondit le marquis.
— Comment trouvez-vous cette plante?
— Horrible.
— Eh bien, je suis sûr qu'on parviendrait, avec du temps
et de la patience, à lui faire porter des fleurs plus belles et
plus parfumées que la rose. Retenez donc bien cette maxime,
ajouta le g^ouverneur : Toute fleur est susceptible de culture.
Comme on entendit sonner la cloche du dîner, le docteur
Cocomber trouva qu'il avait fait suffisamment admirer le spec-
tacle de la nature à son élève, et ils prirent le chemin du
château.
UiNE LEÇON DE PHILOSOPHIE BOTANIQUE 221
II
USAGE QUE FAIT DE CETTE MAXIME LE PETIT MARQUIS
DE FLORIZELLES
Depuis longtemps Florizelles s'était aperçu que Toinette, la
nièce du jardinier, était plus jolie, malgré sa jupe de bure, sa
coiffe de percale et ses sabots, que les demoiselles du voisi-
nage qui venaient visiter sa noble mère.
Il suivait Toinette aux champs, il l'attendait pour lui parler
lorsqu'elle rentrait chez son oncle, au détour de la grande
allée.
Un jour, il lui avait même dit : — Toinette, je t'aime.
— Et moi itou !
Voilà ce qu'avait répondu Toinette. Comme ils avaient été
pour ainsi dire élevés ensemble, que la mère de Toinette avait
nourri Florizelles, qu'ils avaient joué tous les deux sur les
genoux de la bonne femme, qu'ils ne s'étaient pas perdus de
vue un seul instant depuis leur enfance, ils ne potivaient pas
faire beaucoup de façons l'un et l'autre à se dire qu'ils s'ai-
maient.
•222 LES ILEURS ANIMÉES
Le docteur Cocomber était trop savant pour s'apercevoir de
cet amour, et lorsqu'il s'en fut aperçu il n'y prit pas garde.
— Après tout, se dit-il. il n'y a pas grand mal à cela : à
leur âge ça ne peut aller bien loin, et puis, quand même ?
De tout temps les Toinette ont été faites pour les marquis de
Florizelles.
S'il voulait faire quelque folie, il me suffirait de lui débiter
une ou deux de mes grandes maximes pour l'en empêcher.
Il s'endormait là-dessus, heureux que son élève allât faire
l'école buissonnière, et lui permît de se livrer tranquillement
à sa sieste habituelle.
Sur ces entrefaites, la mère de Florizelles mourut, et il
déclara à son gouverneur qu'étant majeur et libre de son bien,
il voulait aller vivre à Paris et emmener Toinette.
Emmener Toinette ! Cocomber ne pouvait en croire ses
oreilles.
— Mais, monsieur le marquis, disait le docteur, vous trou-
verez assez de jolies femmes à Paris.
— Je préfère Toinette.
— Une paysanne !
— Plus jolie qu'une reine.
UNE LEÇON DE PHILOSOPHIE BOTANIQtJE 223
— Une fille qui ne sait rien !
— Je ferai son éducation.
Cocomber haussa les épaules.
— Rappelez-vous, reprit le marquis, ce que vous me di-
siez l'autre jour :
Toute fleur est susceptible de culture.
III
TOINETTE
Florizelles ne se trompa pas à l'égard de Toinette. Au bout
de trois mois de séjour à Paris, elle s'était complètement
formée.
Elle chantait à ravir les airs du Devin de village.
Elle faisait d'amirables portraits d'épagneuls au pastel.
Elle écrivait de charmants petits billets.
Elle avait des airs de tète et des mouvements de corps
d'une langueur adorable.
224 Mi:S FLEURS ANIMÉES
Quand le marquis donnait une fête, on faisait cercle pour
voir Toinette danser le menuet ou la furstemberg-.
Il fallait la voir avec ses mouches, ses petites mules mignon-
nes, ou ses petites galoches relevées, ses paniers, sa poudre
et son éventail ! Watteau voulut à toute force faire son por-
trait.
Florizelles passait pour un heureux drôle.
IV
FLORIZELLES
Florizelles s'ennuyait.
Non pas que Toinette manquât d'esprit avec toute sa beauté ;
au contraire, elle en avait autant, pour ainsi dire, que de
grâce.
Sa conversation était animée, vive, étincelante : on admi-
rait l'à-propos de ses reparties, l'heureux tour de ses expres-
sions.
La fleur avait amplement répondu aux soins de l'horticul-
teur, et cependant l'horticulteur n'était pas satisfait.
Il regrettait la simple fleur des champs qu'il avait cueillie.
UNE LEÇON DE PHILOSOPHIE BOTANIQUE 225
V
DES INCONVENIENTS DE L'EDUCATION
La beauté conduit à la coquetterie. L'éducation mène à
l'orgueil.
L'orgueil est frère du dédain.
Une femme qui sait qu'elle est belle, qu'elle a de l'esprit,
n'apprend ces choses-là que par l'éducation.
Une fois qu'elle les sait, il est impossible qu'elle ne se
mette pas tout de suite à s'admirer elle-même, et à dédaigner
les autres.
Rien ne fait plus souffrir qu'une femme dédaigneuse.
Or, le dédain, c'était le défaut de Toinette.
VI
ou Ele docteur cocomber fait encore plus vivement
SENTIR LA VÉRITÉ DE CE QUE NOUS VENONS DE DIRE
Florizelles se promenait dans son jardin comme au com-
mencement de cette histoire.
I. 29
226 LES FLEURS ANIMÉES
11 causait avec son ancien gouverneur qu'il avait invité ù
dîner.
Tous les deux parlaient de Toinette.
Vers la fin de l'entretien, le docteur Cocomber cueillit un
œillet.
— YoiKi. dit-il au marquis, la fleur qui m'a fait émettre la
maxime qui vous a perdu. De toutes les fleurs, c'est celle qui
est la plus susceptible de culture. Savez-vous ce qu'en a fait
la sag-esse des nations ?
Le symbole du dédain.
VII
AUTRE VERSION
Il en est qui se contentent de faire de l'œillet la fleur des
poètes, à cause de la fécondité et de la variété de ses produits :
ceux-là ne s'aperçoivent pas qu'ils ne* font que changer le
nom, la chose reste la môme. Mépriser les autres, rester en
perpétuelle admiration de soi-même, se croire d'une race
supérieure aux autres mortels, n'est-ce pas là en général le
défaut des poètes ? Ce défaut ne s'appelle-t-il pas aussi le
dédain ?
UNE LEÇON DE PHILOSOPHIE BOTANIQUE 227
Donc, nous nous en tiendrons à notre premier symbole.
Florizelles ne se consola jamais de son abandon, malgré la
beauté des maximes que Gocomber inventa pour le ramener
à la sagesse. — La paysanne ignorante serait restée constante,
pensait-il ; la femme du monde m'a trahi; c'est ma faute.
Oh ! si c'était à recommencer !...
Il répéta cette phrase jusqu'à quarante ans, époque à la-
quelle il se maria.
VIII
POUR NE PAS FINIR SUR UN SYMBOLE
Nous dirons que Toinette quitta le marquis Florizelles pour
un duc, et le duc pour un prince.
Elle se croyait au-dessus de tout le monde.
Ces perpétuels changements ne nuisirent ni à son bonheur
ni à sa santé. Toinette vécut jusqu'à l'âge de quatre-vingt-
dix ans.
Il est bon de remarquer ici que presque toutes les femmes
remarquables du dix-huitième siècle sont mortes fort vieilles
et sans aucune espèce d'infirmité.
228
LES FLEURS ANIMÉES
IX
AU LECTEUR
Tu as déjà compris, ami lecteur, que c'est la vie de l'OEillet
lui-même que je viens de te raconter sous le pseudonyme de
Toinette.
~_'-\^-„-^-%,-_--_-_'v-^-'^"_"
AUTRE GHÂZEL
L'A L O E S
E jeune Ahmed -bcn- Hassan , étudiant
d'Alep, se promenait dans la campagne.
Comme la chaleur du jour devenait
trop forte, il s'assit sous un buisson
d'églantines.
On était au milieu de la lune de mai ; les fleurs fraîchement
épanouies répandaient une douce odeur. Ahmed-ben-Hassan
savourait avec un égal plaisir le parfum du buisson et son
ombre.
230 LES FLEUaS ANIMÉES
Comme il avait im cœur reconnaissant et une imagination
aimable, la fantaisie lui prit d'adresser un ghazel à l'É-
g-lantine.
a L'Égiantine naît au bord des chemins; on n'a qu'à éten-
dre la main pour la cueillir.
<( L'Égiantine plaît à tout le monde pour sa beauté naïve ;
elle est le charme du cœur et des yeux.
« L'Ég-lantine n'a pas besoin de culture, elle plaît d'autant
plus qu'elle reste dans sa simplicité.
« Ainsi l'homme de génie naît dans le peuple, chacun le
comprend et l'aime ; il est d'autant plus fort qu'il n'emprunte
rien à l'éducation, et reste lui-même. »
Après avoir composé ce ghazel, le poète le récita à haute
voix, quoiqu'il n'y eût là personne pour l'entendre.
A peine avait-il achevé, qu'une voix douce et arg-entine
retentit à son oreille. Il se retourna et vit une Égiantine qui
lui parlait.
« Ahmed-ben-Hassan, lui dit-elle après force compliments,
regarde là-bas, au pied du rocher, l'Aloès aux branches épi-
neuses.
« Ses racines ont mis près d'un siècle à percer la pierre
L'ALOES
231
dure ; il a supporté le soleil ardent, le simoun plus ardent
que le soleil, chétif, rabougri, avec un serpent à ses pieds.
« Ce serpent, c'était la misère.
« Bientôt une fleur magnifique s'épanouira au sommet de
cette tige épineuse, et toutes les autres fleurs pâliront devant
elle.
« Le serpent s'enfuira.
« Et quand la fleur sera flétrie, quand la tige tombera sur
le sol, précieusement recueillie, elle formera un parfum qui
durera toujours.
« Ce n'est pas l'Églantine, Ahmed-ben-Hassan, c'est
l'Aloès qui est la fleur du génie. »
LES CONTRASTES
LES AFFINITÉS
— SUITE ET FIN —
-o '"y '."!''" "S'* '^ o 8 ■C'Cr. ''''"^'
V
ON N'EST JAMAIS TRAHI QUE PAR SOI-MEME
ous en étions restés à ce point culmi-
nant de notre histoire oii Frantz pénètre
dans la chambre de M'"^ Pierrette.
Nous l'avons montré ému, rouge, pal-
pitant ; ce n'était point cependant la
première fois que pareille chose lui arrivait.
30
234 LES FLEURS ANIMÉES
Souvent, lorsque M"" Pierrelte, au retour de ses excursions
nocturnes, voyait briller la lampe solitaire de Frantz, elle
entrait chez lui pour allumer sa chandelle qui venait de
s'éteindre.
De son côté, lorsqu'il entendait par hasard le jeune fille
répétant les refrains d'une chansonnette, Frantz quittait son
ouvrage et se rendait chez elle.
Nous devons dire à sa louange que c'était le seul motif qui
pût lui faire abandonner son travail.
jyjiie pi(>rrette n'était pas insensible à ces visites, et elle
reconnaissait Frantz rien qu'à sa manière de frapper à sa
porte.
Elle eut soin de faire disparaître sa défroque de bal avant
l'arrivée du jeune homme.
Sa présence ne calma pas tout de suite la colère dans
laquelle venait de la mettre l'oflVe du Coquelet. Frantz la
trouva dans l'ébranlement nerveux que causent toujours les
émotions fortes chez les femmes.
11 lui en demanda la cause.
— C'est ce monstre de Coquelet, répondit-elle; savez-vous
ce qu'il me proposait tout à l'heure?
— Quoi donc?
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 235
— De l'épouser !
A ces mots, Frantz pâlit; il reprit presque en balbutiant :
— Et vous lui avez répondu ?
— Ma réponse a été un bleu dont il se souviendra long-
temps. Moi, devenir sa femme! Jamais !
M'" Pierrette prononça ce mot avec une attitude tout à fait
cornélienne. Frantz se sentit soulag-é comme d'un grand
poids ; ses joues reprirent leur couleur naturelle ; il saisit la
main de Pierrette.
— Oh ! merci, lui dit-il, merci !
Voilà une exclamation que notre héros aurait bien voulu
retirer ; mais, ma foi, il n'était plus temps ; Frantz s'était
trahi lui-même.
*Ceci nous évitera une foule de préparations, de précautions,
de circonlocutions, pour vous apprendre que Frantz aimait
M'"^ Pierrette.
Je parie que vous vous en doutiez î
i36 LES FLEURS ANIMÉES
VI
LES MENSONGES DE MADEMOISELLE PIERRETTE
Comment se fait-il, nous dira le lecteur, qu'un jeune
homme posé, rangé, sag-e, laborieux, innocent, candide,
une espèce de Grandisson comme M. Frantz, puisse éprou-
ver de la sympathie pour une jeune fille dissipée, frivole,
légère, peut-être même coquette, comme Pierrette?
A cela nous pourrions répondre par deux axiomes que, vu
la gravité de la circonstance, nous ne traduirons pas en fran-
çais.
Similia similibus, contraria contrariis.
Le vieux rentier est attiré par le vieux concierge, Coquelet
par Jabulot : Similia similibus.
Le sage Frantz a un penchant pour la folle Pierrette :
Contraria contrariis.
Cette réponse serait péremptoire; mais nous en avons une
en réserve qui vaut peut-être mieux.
Frantz ne sait pas à qui il a affaire.
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 237
Si M"^ Pierrette rentre si tard le soir, et quelquefois pas
du tout, c'est que l'ouvrage presse et qu'on la retient à
l'atelier.
Si elle chante, c'est pour donner le change à de noirs cha-
grins qui l'obsèdent.
Si elle passe ses après-midi à dormir, c'est que son faible
corps, vaincu par le travail obstiné de la nuit, ne peut résister
à la fatig'ue.
Voilà ce que Pierrette a dit à Frantz, et il est reconnu
qu'on croit tout de la femme qu'on aime.
VII
UNE CHOSE CONVENUE
11 est bien convenu, une fois pour toutes, que Frantz a
avoué son amour à Pierrette le jour où il est entré dans sa
chambre, après le départ de M. Coquelet.
Il est également établi que M'" Pierrette a reçu cette dé-
claration avec infiniment plus de plaisir que celle du vieux
rentier.
On est prié de se figurer le bonheur de Frantz : aucune
plume humaine n'en saurait donner une idée.
238 LES FLEURS ANIMÉES
VIII
REVENONS A M. COQUELET
Le procureur du roi refusa de recevoir sa plainte, ce qu'on
nomme vulgairement un pince-sans-rire n'étant pas un délit
prévu par le Code pénal.
Voilà donc Coquelet d'autant plus furieux qu'il est obligé
de renoncer à sa vengeance.
En allant au parquet, il voyait Pierrette assise sur les bancs
de la police correctionnelle ; le ministère public concluait à
six mois de prison et mille francs de dommages-intérêts.
Alors Coquelet se levait, promenait un regard assuré sur
les juges et sur l'auditoire ; tout le monde faisait silence, et
il déclarait que si la coupable consentait à l'épouser, il reti-
rait sa plainte sur-le-champ.
Pierrette se jetait à ses genoux et les embrassait en fondant
en larmes ; le ministère public lui adressait un speech de féli-
citation sur sa générosité, et l'auditoire le couvrait d'applau-
dissements, malgré les avertissements du président, qui récla-
mait en vain le silence, toutes les marques d'approbation ou
d'improbation étant sévèrement défendues par la loi.
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 230
Quelle dilférence au retour!
La réalité, et la réalité poignante, à la place de tant d'illu-
sions !
Coquelet se voyait forcé de déménager, d'abandonner un
logement oii il avait passé des jours si heureux et si tran-
quilles, oii ses serins étaient si bien acclimatés.
Il supputait les dépenses forcées et extraordinaires qu'oc-
casionne toujours un déménagement.
Tout moyen de contraindre Pierrette à devenir sa femme
était perdu.
On est supplié de se figurer le désespoir de Coquelet. Rien
ne saurait lui être comparé.
IX
DISONS QUELQUES MOTS DE JABULOT
Je me trompe.
Le désespoir de Jabulot pourrait parfaitement approcher
du désespoir de Coquelet.
Apprenez que la maison dont M. Jabulot est depuis qua-
rante ans portier, cette maison qu'il regarde comme sienne,
240 LES FLEURS AMMÉES
à laquelle il s'est identifié, dont il est l'âme, cette maison a
changé de maître.
Le nouveau propriétaire a une de ses créatures à pour-
voir ; il lui a jeté en pâture le cordon de Jabulot.
L'infortuné a reçu, aujourd'hui même, l'ordre de partir
dans les ving-t-quatre heures; passé ce temps, on le fera
reconduire, de brigade en brigade, jusqu'aux frontières de
sa loge.
Dans tout autre moment, Coquelet eût partagé la douleur
de Jabulot. il aurait mêlé ses larmes aux siennes; mais le
malheur rend égoïste.
Il répondit d'un ton sec au portier, qui lui racontait sa
mésaventure : — Que Voulez-vous que j'y fasse!
X
LA VENGEANCE D'UN RENTIER
Frantz épiait le retour de M. Coquelet.
Parce que le rentier, en passant, lui disait quelquefois :
Il ne faut pas tant travailler, vous vous rendrez malade; »
LES CONTRASTES ET LES AFFINITÉS 241
Parce qu'en lui parlant il l'appelait toujours : « Mon jeune
ami ; »
Parce que de temps en temps il lui donnait quelques con-
seils au nom de sa vieille expérience,
Frantz regardait Coquelet comme un second père : les
natures sensibles sont toujours dupes de leur sensibilité.
Il attendait donc le retour de son second père pour lui faire
part de son bonheur, le charger d'aller de sa part demander
à ses parents la main de M'" Pierrette, et le prier de vou-
loir bien bénir leur union.
Coquelet était à peine rentré chez lui que Frantz se présenta
et se jeta dans ses bras.
— Ovous! s'écria-t-il, qui avez guidé ma jeunesse, soyez
le premier instruit de mon bonheur. Elle m'aime î
— Qui, elle?
— Pierrette.
— Pierrette !
— Elle-même, la douce, la bonne, la sage, la vertueuse,
l'incomparable Pierrette ! J'ai peine à croire à ma félicité.
Un sourire sardonique effleura les lèvres de Coquelet.
— Elle vous a dit, reprit-il ensuite, qu'elle vous aimait?
I. 31
242 LES FLEURS ANIMÉES
— Do sa propre bouche.
— Et vous la croyez ?
— Douter de Pierrette, quel blasphème ! oh ! non, jamais!
Coquelet prit un air majestueux.
— Écoutez, mon jeune ami, et croyez les conseils de ma
vieille expérience. Pierrette n'est pas ce que vous croyez;
elle vous trompe, l'infâme !
— C'est vous qui me trompez ; cessez ce jeu cruel, je vous
en supplie.
— Il faut que je vous ouvre les yeux, mon jeune ami, tout
m'en fait un devoir; prêtez-moi une oreille attentive.
Alors il se mit à lui en dire, à lui en dire sur Pierrette. Sa
conduite, ses mœurs, la cause de ses sorties nocturnes, le
vieillard se fit un plaisir do tout lui découvrir. Frantz était
atterré sous le poids de ces révélations.
— Des preuves, disait-il d'une voix faible et étouffée, don-
nez-moi des preuves.
— Il vous faut des preuves ?
— Oui !
— Eh bien, allez ce soir au bal de l'Opéra.
LES CONT{\ASTES ET LESAFFLMTÉS 253
XI
C'EST LA FAUTE DE M. MUSARD
Frantz attendit minuit avec impatience. Il prit le chemin de
l'Opéra. Méphistophélès-Coquelet le suivait.
Coquelet n'avait jamais mis les pieds à l'Opéra, et il trem-
blait quelque peu en entrant; mais la vengeance, ce plaisir
des dieux et des rentiers, lui donnait des forces.
Une fojs dans la salle, il eut bien quelques désagréments à
essuyer.
Un pierrot lui demanda oii il avait acheté son faux nez.
Coquelet n'avait absolument rien de faux sur la figure.
Un débardeur s'informa du prix que lui avait coûté son
déguisement chez Babin.
Coquelet portait son habit vert-pomme, l'habit qui ,lui
servait aux grandes solennités.
L'un le tirait par la manche, l'autre par la perruque. II
commençait à regretter de s'être hasardé dans cette assemblée
de démons.
244 LES FLEURS ANIMÉES
Tout à coup Frantz, dont l'avide regard plongeait dans tous
les groupes, poussa un cri.
La foule s'ouvrit comme par enchantement, pour laisser
passer des sergents de ville et des gardes municipaux qui
conduisaient une petite femme en costume de pierrot.
— Je suis innocente, disait-elle auxg-ardes; pourquoi l'or-
chestre joue-t-il des quadrilles qui vous font perdre la tète?
C'est la faute de M. Musard.
Dans cette femme, Frantz avait reconnu Pierrette.
XII
SOYEZ HEUREUSE
Tout le temps que dura le trajet de l'Opéra jusque chez lui.
Frantz garda un morne silence.
— Du courage, mon jeune ami, du courage, lui disait
Coquelet; croyez-en ma vieille expérience, une femme ne
vaut pas la peine qu'on la regrette.
Frantz ne répondait pas.
Arrivé devant sa chambre, il se jeta dans les bras de
M. Coquelet en fondant en larmes.
LES COiMRASTES ET LES AFFINITÉS 245
— Adieu! lui dit-il, mon seul ami, adieu !
— Pauvre enfant ! fit le vieux rentier, que je le plains ! je
suis aussi malheureux que lui.
11 ne se tenait pas de joie du succès de sa ruse.
Rentré chez lui, Frantz se mit à son bureau et écrivit la
lettre suivante :
« Vous m'avez trompé; je vous méprise, mais je sens que
je vous aime encore. Il ne me reste donc pjus qu'à mourir.
Adieu ! je vous pardonne ; soyez heureuse ! »
Comme le jour même il avait fait sa provision de charbon,
il s'asphyxia.
XIII
ou FINIT' L'HISTOIRE, ET OU COMMENCE LA FÉERIE
Au moment où Frantz laissait tomber sa tetè déjà alourdie
par les vapeurs du charbon, sa fenêtre s'ouvrit silencieuse-
ment.
Une forme la traversa d'un vol léger.
Cette forme était celle d'une femme. Elle s'approcha du
mourant, et toucha sa figure du bout de ses ailes.
246 LES FLEURS ANIMÉES
— Meurs sans soulîrir, dit-i'lle. meurs, mon enfant; mon
beau Lin, doux symbole de candeur et de pureté. Un hasard
fatal t'a jeté sur les pas de la Belle-de-?suit, et tu l'as aimée.
Pauvre enfant ! tu aimais la coquetterie et la dissipation.
Comme te voilà puni d'avoir voulu quitter la rive natale, le
pays de la Fée aux Fleurs, mon beau royaume !
La Fée aux Fleurs déposa un baiser sur le front de Frantz,
qui semblait seulement endormi.
Quant à Coquelet, reprit-elle ensuite, et à Pierrette, je veux
qu'ils restent encore quelque temps sur la terre; il faut qu'ils
soient punis. Le rentier ne reprendra _sa forme primitive de
Houx, et la danseuse des bals de l'Opéra celle de Belle-de-
Nuit, que lorsqu'ils auront expié l'un son ég'oïsme, l'autre
son inconduite.
Demain, à l'aurore, tu te trouveras dans mon parterre ; il
faut maintenant que j'aille m'occuper de ce bon Lierre de
Jabulot.
Elle toucha Frantz de sa baguette et elle s'envola.
LES CONTRASTES ET LES AFFIMTÉS
247
XIV
ECLAIRCISSEMENT
Jabulot était mort de saisissement et de douleur sur le seuil
de sa loge au moment de la quitter.
XV
DIX ANS APRES
Coquelet regrettait toujours son ancien appartement, et se
désespérait de n'avoir pas épousé Pierrette. Pour se distraire,
il avait voulu jouer sur les fonds d'Espagne, et il ne lui res-
tait plus que huit cents livres de rente. Il s'était vu forcé de
restreindre ses dépenses et de réformer ses serins.
Pierrette faisait des ménages.
MARINE
L'ACACIA & LA VAGUE
'^^W'^^-- E connais non loin de la mer un bosquet
'^^ , d'acacias dont j'ai pris ce matin une bran-
?rl>. che fleurie.
Quand on vient de cueillir une fleur, on
aime à s'approcher du rivage.
On se promène sur la grève, et on jette un regard sur les
flots et un regard sur la fleur.
Il semble que la vague vient se briser plus doucement à
1. 32
2o0 LES FLEURS ANIMÉES
VOS pieds, qu'elle s'y roule plus longtemps, qu'elle vous
demande quelque chose.
Elle a envie de votre fleur.
Retire-toi, vague capricieuse, lui dites-vous; ce n'est pas
pour toi que je l'ai recueillie, ma belle branche d'acacia.
Après l'avoir pressée un moment sur tes lèvres amères, tu
l'entraînerais au fond des abîmes de l'Océan.
Mais la vague ne se décourag-e pas : voyez quelle blanche
écume elle, fait à vos pieds ; comme elle s'élève, comme elle
bondit : on dirait qu'elle veut saisir elle-même la fleur que
vous tenez.
Vous riez de la vag'ue, vous vous moquez de ses efforts,
vous agitez la fleur devant elle comme pour lui dire : Tu ne
l'auras pas !
Pendant que vous vous applaudissez de votre victoire, l'in-
vincible fascination du g-oufTre agit à votre insu. Le flot l'em-
porte. C'en est fait, la branche s'échappe de vos mains, vous
la voyez monter et descendre, flotter, tournoyer, puis s'en-
foncer dans la mer.
Vous le regrettez, mais il n'est plus temps.
D'oii vient ce magnétisme secret dont tout le monde a subi
L'ACACEA ET LA VAGUE
231
l'atteinte? Pourquoi est-ce toujours à la vag-ue la plus folle
qu'on aime à jeter la fleur ?
Demandez-moi à quelle femme vous avez jeté votre cœur,
et je vous répondrai.
'V^ K
''-Si. /
ELEGIE
LE SAULE PLEUREUR
ENEZ SOUS mon ombre, vous tous qui
soufFrez, je suis le saule pleureur; je
cache sous mon feuillage une femme au
doux visage; ses cheveux blonds pendent
sur son front et voilent son œil humide :
c'est la muse de tous ceux qui ont aimé.
Venez, la mousse qui s'étend à mes pieds est douce, la brise
qui passe dans mes branches est rafraîchissante. Vous trouve-
2o4 LES FLEURS ANIMÉES
rez celle que vous cherchez, et que vous ne connaissez pas,
celle qui doit vous consoler.
Amante et vierg-e, elle reçoit sur son sein tous ceux qui
pleurent. Ses lèvres ne se posent jamais que sur les blessures.
Un de ses baisers les guérit.
Elle est la chaîne qui lie la fin de l'homme à son commen-
cement.
Sur les passions de la jeunesse elle sème des fleurs printa-
nières; quand vient l'heure du désenchantement, elle le rend
moins amer en faisant paraître à nos yeux la douce chimère
du souvenir.
Elle console ceux qui appellent la mort; elle les berce de
tendres paroles. — Toute vag'ue a son écume, leur dit-elle ; le
fond de toute coupe est amer : aimer n'est-ce pas souffrir ?
C'est ainsi qu'elle les endort dans leur douleur.
Quelle est cette femme ? C'est votre amie la plus vraie, votre
sœur la plus dévouée. Son nom, son chaste nom, c'est :
Mélancolie.
Elle aune sœur qui s'appelle Rêverie. Elle habite au fond
des grands bois. Ne l'avez-vous jamais rencontrée ?
Elle vient ici tous les jours, et je caresse son front pâle
avec le bout de mes feuilles penchées.
LE SAULE PLEUREL'll 2ao
Venez sous mon ombre, l'ombre du saule pleureur ; c'est
là que vous trouverez, pensives et souriantes, Mélancolie et
Rêverie, les deux sœurs, écoutant le murmure des vents dans
les arbres, assises au bord de l'eau.
UA MODE DES FLEURS
£^f^^v.^^ L est temps de ménag-er les forces du lec-
teur, et de jeter ici une courte digression.
^1^* Chaque époque a eu ses fleurs de pré-
dilection. Pour prendre une idée juste des
'^ ~ idées , des mœurs , des habitudes d'une
nation, on n'a qu'à reg^arder ses bouquets.
Nous sommes fiers d'être les premiers à poser l'aphorisme
suivant :
Les fleurs sont l'expression de la société.
Nous ne parlerons pas des fleurs au temps de la Grèce et
1. 33
258 LES FLEURS ANIMÉES
de Rome. Le paganisme entoura les fleurs d'une sorte de
terreur religieuse. Chaque calice semblait la tombe d'une
nymphe ou d'un demi -dieu. En cueillant une fleur, on
craignait de faire souff'rir Daphné ou d'arracher une plainte
à Adonis.
Nous laisserons de côté les variations de la mode des fleurs
en Angleterre, en Allemagne, en Italie, En Espagne. Cette
étude nous entraînerait trop loin. La France nous suffira. En
tout ce qui concerne les choses de la mode, la France n'a-t-elle
pas toujours donné le ton?
Commençons par le moyen âge.
A part le lis et la mandragore, le moyen âge n'aima guère
les fleurs. Celles que crée la nature ne lui suffirent pas; il en
inventa de chimériques ; il peignit des fleurs impossibles sur
le frontispice des missels, il en orna les vitraux de ses cathé-
drales. Tout alors était fantastique, les animaux et les plantes.
C'était l'époque oii la salamandre dansait dans le feu, oi^i l'on
croyait à l'herbe magique qui donne l'éternelle jeunesse. Le
moyen âge ne songeait qu'à faire épanouir ses ogives, ses
rosaces, ses arabesques ; ses fleurs à lui étaient de pierre.
Dans ce temps-là, on n'aimait que les fleurs tristes. Le
chardon, l'ortie, l'ivraie s'étalent presque toujours sur le de-
vant des tableaux. Voyez la couronne qu'Albert Durer met
sur la tète de son ange. C'est peut-être le seul ange du moyen
LA MODE DES FLEURS 2o9
âge qui ait des fleurs autour du front, et il représente la mé-
lancolie.
Le lis et la mandragore [furent les seules fleurs acceptées
sans restriction. C'était bien le double symbole d'une époque
de foi sincère et de légendes fantastiques.
Vint la renaissance.
Qui le croirait? La renaissance, qui fut comme l'époque du
réveil de la grâce, la renaissance négligea les fleurs. Elle
parut, comme le moyen âge, ne les aimer qu'en sculpture. Si
les fleurs du moyen âge étaient de pierre, celles de la renais-
sance furent de métal.
Il n'y a de grand horticulteur pendant la renaissance que
Benvenuto Cellini, qui faisait de si belles fleurs d'or, d'argent
et de bronze.
«
Ronsard aimait les fleurs ; il en parle constamment dans ses
vers, mais il n'en put communiquer le goût à son époque. On
crut un instant que les fleurs allaient enfin triompher de l'in-
diff'érence publique et asseoir définitivement leur empire en
France, lorsqu'on vit tous les poètes se réunir pour tresser
la fameuse guirlande de Julie; mais Louis XIII mourut, et
Louis XIV monta sur le trône.
Le grand siècle fut encore plus indifférent pour les fleurs
que le moyen âge et la renaissance. Où est la place des fleurs
200 LES FLEURS ANIMÉES
à Versailles, à Saint-Cloud, à Marly, dans toutes les grandes
résidences ? C'est à peine si on leur réserve un mince parterre
perdu au milieu de la grandeur de l'ensemble. Que voulez-
vous ? le grand roi n'aimait pas les odeurs, et le grand siècle
se mit à imiter le roi.
Seul, le g-rand Condé fit exception ; il eut le courage de cul-
tiver des œillets, et d'en porter à la boutonnière en présence
de Louis XIV, C'est peut-être le plus grand acte de témérité
qu'ait pu commettre le vainqueur de Rocroi dans tout le cours
de sa brillante carrière militaire.
Le Nôtre et La Quintinie, pour récréer les yeux des prome-
neurs, taillèrent tant qu'ils purent l'if et le buis; mais des
pointes, des carrés, des ronds, des losanges, des triangles,
des trapèzes, des angles rentrants, aigus, obtus, ne rempla-
cent pas les fleurs.
Une autre raison contribua à nuire aux fleurs au moins
autant que l'antipathie de Louis XIV.
11 faut en convenir, le grand siècle a été peut-être le plus
médicinal de tous les siècles. Turenne, Condé, Vauban, Cati-
nat, Bossuet, Fénelon, Racine, Molière, Boileau. Villars,
Saint-Simon. Louvois, Colbcrt. se médicamentaient d'une
façon vraiment incroyable. Le personnage le plus important
do la société après le confesseur, c'était l'apothicaire. On ne
connaissait en fait de fleurs que la jusquiame, la guimauve,
LA MODE DES FLEURS 261
la camomille, la capillaire, la digitale et autres gros bonnets
de la flore pharmaceutique. Les fleurs ne s'achetaient qu'en
petits paquets chez Jes herboristes : les malheureuses sem-
blaient condamnées à la tisane à perpétuité.
La Régence ne dura pas assez longtemps pour avoir une
action décisive sur l'avenir des fleurs. Cependant on vit
poindre alors quelques collections de tulipes. De vieux offi-
ciers, qui avaient fait les canijoagnes de Hollande, et qui
cachaient sous Louis XIV ce goût qui leur était venu d'un
peuple dont le seul nom mettait le grand roi en fureur, ne
■ craignirent pas de le montrer sous son débonnaire neveu.
C'est ainsi que prit naissance l'art, la science, ou l'industrie
du fleuriste, comme vous voudrez l'appeler.
Voici le dix-huitième siècle. Ne vous hùtez pas de crier
bravo ! Ce n'est pas autant le siècle des fleurs que vous avez
l'air de le croire.
Rien de ce qui est naturel ne pouvait plaire au dix-hui-
tième siècle. L'époque des mouches, du fard, de la poudre,
des paniers ne devait pas s'accommoder de la simplicité
des fleurs. Watteau ne peignit que des charmilles et des bos-
quets ; ses bergers et ses bergères sont couverts de rubans,
eux, leur chien, leur houlette, leurs moutons; mais une fleur
dans tout cela, la plus simple pâquerette, vous la chercheriez
en vain.
Mais voilà que vers la fln du siècle la société commence à
262 LES FLEURS ANIMÉES
s'ennuyer dos borg-ers, des bergères, des charmilles, des
agneaux. Elle cesse d'être pastorale pour devenir champêtre;
de la galanterie elle passe au sentiment. On commence à
apercevoir les fleurs qui parfument le pré, la haie, le sentier,
et le dix-huitième siècle tout entier s'écrie en même temps
que Rousseau : Une pervenche !
C'était la première fois que ce bon dix-huitième siècle
s'apercevait que les pervenches existent.
La Révolution française montra pour les fleurs la plus
grande considération. Saint-Just voulait que la fête des fleurs
fût célébrée chaque année avec la plus grande solennité. Tous
les députés de la Convention, Robespierre en tête, portaient
un ^bouquet de fleurs à la boutonnière quand ils traversèrent
Paris le jour de la fête de l'Être suprême.
Sous le Consulat et sous l'Empire, on cultiva les fleurs. Le
réséda fut longtemps à la mode ; puis vint l'hortensia. Je ne
puis voir une de ces grosses boules sans grâce, qui ont l'air si
contentes d'elles-mêmes, sans me rappeler la femme endi-
manchée de quelque vieux soldat de la République devenu
général de division ou maréchal.
Après le réséda et l'hortensia, je n'ai pas nommé la vio-
lette : les fleurs politiq.ues ne rentrent pas dans notre cadre ;
mais j'aurais dû parler de la sensitive : les beautés de l'Em-
pire aimaient assez qu'on les comparât à une sensitive.
LA MODE DES FLEURS 263
La Restauration protég-ea beaucoup l'églantine. De 1820
à 1825, l'anémone me semble rég-ner. A partir de ce mo-
ment jusqu'en 1830, c'est la tubéreuse. Aujourd'hui, la tubé-
reuse, complètement abandonnée, en est réduite à se réfugier
dans la pommade.
Que dire de la mode des fleurs maintenant? Jamais on ne
les a tant aimées, jamais il ne fut plus difficile de saisir
les nombreuses royautés qui se succèdent dans l'empire de
Flore.
J'aurais bien voulu ne pas employer cette expression, mais
qu'on m'en donne une autre.
Aujourd'hui, tout le monde aune fleur qu'il essaye de faire
prévaloir.
Georg-e Sand pousse le rhododendron.
Alphonse Karr met en avant le verg-iss-mein-nicht.
De Balzac a inventé le tussilag-e.
Victor Hugo se prononce, toutes les fois qu'il en trouve
l'occasion, pour l'asphodèle.
Eug-ène Sile ne sort pas des fleurs tropicales.
Alexandre Dumas n'a encore fait choix d'aucune fleur ;
26i LES FLEURS ANIMÉES
depuis quelque temps cependant on voit poindre l'aloès dans
ses romans.
Ausruste Barbier a adressé des vers charmants à la mar-
o
guérite.
Brizeux, dans le poème de Marie, a fait beaucoup de parti-
sans à la fleur de Ljenèt.
De là, des factions, des partis, des révolutions, des fleurs
qui ne passent qu'un moment sur le trône pour faire place à
leurs rivales.
Il y a confusion dans les fleurs comme dans les idées, dans
les croyances, dans les opinions.
Depuis 1830, j'ai vu rép-ner successivement la bruyère, la
clématite, le lilas, la marguerite, et mille autres encore que
je pourrais citer.
Je n'ai fait que passer, elles n'étaient déjà plus.
Et remarquez comme le règne de chacune de ces fleurs
correspond à une des phases de la société pendant les seize
dernières années qui viennent de s'écouler.
Vous souvient-il encore du temps oij l'on était sentimental
à la manière des poètes du Nord, oii il était de mode de relire
Werther ei d'admirer Novalis? Phase-bruvère.
LA MODE DES FLEURS 205
La phase-clématite lui succéda, puis vint la plmse-lilas. On
n'aimait alors que les tableaux champêtres, les scènes de la
vie rustique; Valenline venait de les mettre à la mode. La
phase-lilas et la phase-marguerite durèrent peu. Maintenant,
nous voici à la phase...
Je serais, ma foi, bien embarrassé de dire quelle phase.
Nous nag-eons en plein éclectisme ; chacun se fait des dieux
et les adore, chacun choisit ses fleurs.
Leur règne ne dure plus une saison, un mois, une semaine,
un jour, mais une soirée, le temps d'un bal.
Il y a huit jours, le magnolia était très à la mode. Je ne
saurais vous dire le nom des fleurs qui ont régné depuis cette
époque jusqu'à aujourd'hui.
Hier, c'était le seringa; demain ce sera l'hépatite. Le
jasmin, le chèvrefeuille, la citronnelle, l'aubépine, la rose
trémière, et jusqu'à la giroflée, ont eu leur tour.
Comment se reconnaître au milieu de ce pôle-mêle, et
découvrir au milieu des fleurs la situation de nos contempo-
rains ?
Ceci est bien moins difficile qu'on le pense .
N'y a-t-il pas deux fleurs depuis seize ans qui, toujours
battues en brèche, critiquées, attaquées, abandonnées même
34
266 LES FLEURS ANIMÉES
quelquefois, n'en ont pas moins acquis une position à J'al)i'i
des commotions et des orages ?
Cherchez quelles sont ces fleurs.
Vous les trouverez de préférence dans les jardins des ama-
teurs, parmi les cheveux, sur le corsage des femmes. Elles
ornent les plus beaux vases ; pour elles les expositions bril-
antes, les concours, les médailles d'or.
Ces deux fleurs sont étrangères : et n'est-ce pas un des ca-
ractères principaux de notre époque de n'aimer que les choses
qui arrivent de l'étranger ? Grands seigneurs , financiers ,
bourgeois, dans toutes les classes de la société le suprême
bon ton est d'imiter ce qui nous vient des autres peuples. La
mode est anglaise, la musique est italienne, la littérature est
allemande. Ne nous étonnons pas de voir les fleurs françaises
mises pour ainsi dire au ban du monde fashionable. Nous vous
avons raconté les infortunes de la rose ; le réséda, le lis,
l'œillet, ces fleurs nationales par excellence, sont complète-
ment délaissées. C'est à peine si de loin en loin on voit quel-
que provincial se hasarder sur le boulevard avec une rose ou
un œillet ii la boutonnière. En revanche, les dandys arborent
de gigantesques cactus; les femmes admettent encore quel-
quefois les violettes, mais il faut qu'elles soient de Parme,
le jasmin, parce qu'il est espagnol, et la bruyère, parce
qu'elle rappelle l'Ecosse. L'une des deux fleurs régnantes a
LA MODE DES FLEURS 267
l'embonpoint du Hollandais, l'autre l'allure prétentieuse et
guindée, la beauté fade de l'Anglaise.
Elles sont sans physionomie, parce que leur physionomie
ne varie jamais ou varie trop. L'une surtout est un vivant
symbole de notre temps. Elle affecte toutes les couleurs,
toutes les nuances, elle est d'une fécondité prodigieuse, mais
en somme c'est toujours la même plante stérile, à force d'a-
bondance, monotone par trop de variété. N'est-ce pas là le
dix-neuvième siècle, fécond en chang-ements, en révolutions,
dépourvu au fond de physionomie et d'orig-inalité ? Les deux
fleurs dont nous parlons se font regarder un moment avec
plaisir, mais bientôt elles fatiguent l'œil, parce qu'elles n'ont
pas de parfum et ne sont que belles.
Ces fleurs sans parfum, est-il besoin que je les nomme?
N'avez-vous pas reconnu le dahlia et le camélia ?
Nous avions donc bien raison de dire au commencement
de cette digression : Les fleurs sont l'expression de la société.
EUïïâaïîa
L'AUBEPINE
'ai demandé à l'Aubépine pourquoi je l'ai-
mais tant.
Pourquoi la rose, pleine des lai-mes de la
rosée, pourquoi le lis incliné sur sa tig^e,
pourquoi la tulipe radieuse et la grenade
éclatante me paraissaient moins belles.
Pourquoi je préférais son parfum au parfum de la violette,
de la vanille, de la citronnelle, et pourquoi sa vue me faisait
battre le cœur.
•270 LES I LEUKS ANIMEES
J'ai cueilli la pervenche au bord des ravins, la marguerite
dans les prés, le thym au penchant des collines; pervenches,
marguerites, thym, pourquoi, ù blanche Aubépine, ai-je tou-
jours tout quitté pour une de tes branches?
L'Aubépine m'a répondu :
— ?s"as-tu pas dans tes souvenirs un souvenir devant qui
tous les autres s'elîacent?
Quand tu évoques les chers fantômes de ton cœur, n'en
est-il pas un dont l'ombre te parait plus chère, le sourire
plus doux?
Ce fantôme, c'est celle que tu aimas à quinze ans, c'est
l'enfant naïve qui t'attendait le soir sous les marronniers,
avec ses cheveux dénoués, sa longue robe blanche, sa pâleur
et ses yeux bleus pleins de tendresse; c'est celle qui devait
être ta femme sur la terre, et qui est ton bon ange dans le
ciel.
J'étais là quand tu lui dis : Je t'aime. Je vous écoutais, et
je fis pleuvoir sur votre premier baiser la rosée odorante de
mes feuilles.
J'ai entendu vos jeunes serments, j'ai vu vos Jchastes ca-
resses.
La première fleur dont elle se para, c'était ma fleur, la
L'AUBÉPINE
27 i
fleur de l'Aubépine. Je m'étais inclinée exprès sur son iVonI,
et tu me cueillis.
Je mêlais mon haleine à votre haleine, je parfumais vos
innocents entretiens.
En me voyant, tu te souviens, et tu me préfères à mes
sœurs, parce que je suis l'Aubépine, la fleur des premières
amours.
C IGl' K
Garnier frères Editeurs
^N/-\^ \. \y\,0-
HISTOIRE DE LA CIGUË
IN TRODUC TION
Xië^?^"^^
ORS de la révolte et du départ de ses
^^ sujettes, celle que la Fée aux Fleurs re-
gretta la moins fut la Gig-uë.
' u^-;"^^" eT
A quoi lui servait en effet cette fleur
triste et solitaire, toujours pelotonnée
dans des recoins obscurs, sinistre, refrognée, se cachant
comme pour méditer un crime?
Une fois sur la terre, elle ne s'occupa guère de la surveiller,
I. 35
274 LKS FLKURS ANIMÉES
en quoi elle eut grand tort, comme on pourra s'en convaincre
par la lecture suivante.
II
ATHENES
Entrez dans cette maison basse située près du port. Aucune
guirlande ne la décore ; il n'y a point sur le seuil de dieu lare
qui la protège.
C'est une femme qui habite cette maison ; une femme do
Thrace, qu'on appelle Xanthis.
Elle passe pour se livrer à des pratiques qui appellent la
colère des dieux sur la tète de ceux qui y croient, et cepen-
dant les magistrats la tolèrent.
Quand la Nuit, fille de l'Érèbe, commerfce à répandre son
voile noir sur la terre, on voit des ombres se glisser furtive-
ment sous son toit.
Elle vend des philtres et des poisons qui livrent l'innocence
sans défense au riche libertin, et qui débarrassent l'héritier
impatient d'un vieillard dont la trop longue vie l'importune.
Si vous entrez à minuit dans la demeure de Xanthis, vous
la verrez broyant elle-même ses poisons ; elle évoquera les
HISTOIRE DE LA CIGUË 275
sombres divinités devant vous, elle vous apprendra l'avenir,
et vous révélera les secrets de la vie et de la morf.
III
ROME
Voyez ces cadavres qui se tordent dans les convulsions de
l'agonie. Leur bouche contractée, leurs doigts crispés, leur
teint semé de taches livides, indiquent qu'ils ont succombé à
un mal terrible.
Un affranchi s'avance et ordonne qu'on porte au Tibre ces
cadavres. Demain le fleuve les rejettera sur ses bords, et le
peuple romain dira en les regardant : Locuste a essayé cette
nuit ses poisons.
IV
PARIS
La foule se rue sur les quais, le peuple se précipite vers
la place de Grève, l'héchafaud est dressé depuis ce matin.
Qui va mourir?
276 LES FLEURS ANIMÉES
Voici la charrette qui s'avance entourée d'archers. Le peu-
ple cric, le peuple hurle, le peuple grince des dents ; il jette
des pierres, et à défaut de pierres, de la boue sur la victime.
Et pourtant cette victime est une femme.
Ses traits sont nobles et réguliers, ses longs cheveux flottent
sur ses épaules nues, un air de dédain passe sur sa physiono-
mie quand elle regarde la foule.
Un prêtre lui présente de temps en temps un crucifix qu'elle
aise .
La voilà au pied de l'échafaud.
Elle gravit l'escalier en chancelant, elle pâlit, un tremble-
ment convulsif serre ses lèvres. Elle a peur !
Quatre valets robustes la prennent dans leurs bras; elle est
sur la plate-forme; on la montre au peuple; le peuple ap-
plaudit.
Quel crime a donc commis cette femme, qu'elle n'excite
pas la pitié en un pareil moment ?
On vient de l'attacher au billot; le bourreau a saisi sa hache.
La tête est tombée avant que le peuple ait eu le temps de
crier une seconde fois : Mort, mort à la Brinvilliers !
HISTOIRE DE LA CIGUË
m
V
LE MEME CŒUR DANS TROIS FEMMES
Xanthis de Thrace, Locuste la Romaine, Brinvilliers la
Parisienne, ne sont qu'une seule et même femme : c'est la
Ciguë qui a successivement animé ces trois corps.
La négligence de la Fée aux Fleurs lui a permis d'exercer
plusieurs fois son affreux métier. Depuis la mort de la Brin-
villiers, la Ciguë est entrée dans d'autres corps.
Nous voyons surgir de temps en temps quelques empoison-
neuses qui indiquent clairement la présence de la Ciguë sur
la terre.
Nous pétitionnons auprès de la Fée aux Fleurs pour qu'elle
la rappelle dans son royaume, et la place pour l'éternité sous
la surveillance de la haute police.
J,i.-„:„i ;//y<,-Y,>/.i Ca.iuJ.J'uru
■JN
Garnicr Irores, Kduei.
I
miLBiâi
LE LIN
YAiNT de garnir nos quenouilles, le lin est
une jolie fleur; on dit qu'elle a vécu sur
la terre sous les traits d'une belle fileuse.
Chantons, jeunes filles, chantons le lin.
Le lin, c'est la fleur du travail, la fleur
mère des doux rêves et des bonnes pensées.
Vous connaissez l'histoire de Marguerite, celle que le dé-
mon tenta. Quand elle faisait aller sont rouet, l'ennemi des
âmes n'osait s'approcher "d'elle.
•280 LES FLEURS ANIMÉES
Le jour, quand nous gardons nos troupeaux, le lin, notre
ami fidèle, nous préserve de l'ennui ; il tourne gaiement entre
nos doigts, et mêle son doux bruit à nos chansons. Aimons
le lin, jeunes filles, aimons le lin.
Les contes de la veillée nous paraissent plus amusants,
quand le bruit de la petite roue les accompagne.
C'est en filant le lin que ma mère m'a bercée, et m'a appris
à bégayer mes premières chansons.
Ma vieille grand'mère se sent encore joyeuse, et chante
quelquefois en remuant la tête, lorsqu'elle prend sa que-
nouille.
Comme le tisserand fait aller joyeusement sa navette sur
son métier î II est blond comme le lin qui compose sa trame.
Le tisserand est le roi des ouvriers ; il doit faire bon ménage
avec la fileuse. Ma mère, je veux épouser un tisserand.
C'est avec le lin qu'on tissera mon voile de fiancée, le lin
le plus blanc et le plus pur.
En quoi sera le suaire dans lequel on m'ensevelira quand
je serai morte? Filons, jeunes filles, filons le lin.
^^
(.'randville del
Cil. OeoÛVoN- se
'•"/» r ou /c ûnii ilJWij
SOLEIL
Garni er frères Editeurs
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LE DERNIER CACIQUE
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LES RICOCHETS
>*^r-^^ ERS le milieu du siècle dernier, la ville
de Mexico s'ennuyait beaucoup. Depuis
la mort de Havradi, le fameux toréa-
dor, les courses de taureaux étaient sans
charme pour le public; la pluie empê-
chait toutes les processions ; les vents
avaient retardé l'arrivée de la flotte d'Europe. Les habitants
déclamaient contre l'incurie des autorités qui ne cherchaient
pas les moyens de les distraire. Le g'ouverneur don Alvarez
Mendoça y Palenzuela en était venu à redouter une émeute.
3fi
2S2 LKS FLEUItS ANIMEES
Un jour qu'il s'était levé de plus mauvaise humeur que de
coutume, il songea qu'il était temps de s'occuper des affaires
d'État, et ordonna qu'on fît venir le commandant de la force
armée, l'illustre don Gonzalve de Saboya, qui prétendait
descendre, comme tous les officiers espagnols, de Gonzalve
de Cordoue.
Le gouverneur avait son projet : il s'était dit que, depuis
longtemps, la ville de Mexico n'avait pas eu d'auto-da-fé,
qu'un pareil spectacle aurait le double avantage de faire
cesser les murmures de ses administrés, et de le mettre bien
avec l'Inquisition, qui l'accusait sourdement de tiédeur.
Au bout d'un quart d'heure, le commandant don Gonzalve
de Saboya se présenta.
Le gouverneur le reçut dans la salle d'audience, couché
dans un hamac et fumant une cigarette. C'était son attitude
ordinaire quand il traitait les hautes questions de gouver-
nement.
Don Alvarez Mendoça y Palenzuela y Arnam daigna pren-
dre la parole le premier.
— Je ne veux point, seigneur don Gonzalve, abuser de vos
moments, j'irai droit au fait : le gouvernement est fort mé-
content de vous.
Don Gonzalve devint pâle.
LE DERNIER CACIQUE 283
— Comment ai-jc pu mériter ses reproches? demanda-t-il.
Je m'acquitte avec zèle des devoirs de ma charge, j'ai fait
pendre huit voleurs l'autre jour; on n'assassine plus dans les
rues que passé huit heures du soir : grâce à ma vigilance, ces
damnés bohémiens ont été expulsés de la ville. Peut-on
désirer quelque chose de plus?
— Non, reprit le gouverneur : au point de vue du vol et de
l'assassinat, vous êtes irréprochable ; mais pourquoi faut-il que
vous fassiez preuve d'une indulgence si coupable à l'endroit
du soleil?
— M'accuserait-on d'entretenir des rapports séditieux avec
cet astre?
— On vous accuse de fermer les yeux sur les menées de
ses adorateurs. L'Inquisition est informée que plusieurs caci-
ques se réunissent dans la cam.pagne, pour adresser des
prières au soleil et lui sacrifier des victimes humaines. Votre
police doit être instruite de ces sacrilèges. 11 faut, à tout prix,
y mettre un terme. L'Inquisition exige un auto-da-fé. Mettez-
ous en campagne, et ramenez-nous à tout prix un cacique
vivant, sinon je me verrai forcé de vous destituer, et l'on
pourrait bien vous faire votre procès comme fauteur d'hérésie.
Après quoi, le gouverneur congédia le commandant, et
sonna pour mettre sa perruque.
2S4 LES FLEURS ANIMÉES
II
PREMIER RICOCHET
— C'en est fait, s'écria le commandant en rentrant chez
lui. je suis destitué. Comment me tirer de là? Réfléchissons
et voyons s'il n'y aurait pas moyen de m'emparer du cacique
demandé, et de garder ma place.
Le colonel jeta son chapeau à plumes sur une chaise, défit
son ceinturon et frisa ses moustaches, c'était sa manière ha-
bituelle de réfléchir. Or, comme il avait plus de moustaches
que d'imagination, tout fait présumer qu'il aurait longlemps
tortillé ses crocs sans rien trouver pour sortir d'affaire, si la
Providence ne lui eût envoyé le capitaine Cristobal.
En l'apercevant, don Gonzalve bondit.
— Capitaine î s'écria-t-il enflammé de colère.
— Commandant, répondit Cristobal en reculant d'un pas.
— J'en apprends de belles sur votre compte.
— Comment de belles !
— Les caciques insoumis immolent des chrétiens au soleil
à la barbe de l'Inquisition, et vous laissez faire.
LE DERMER CACIQUE 285
— J'ig-norais...
— Taisoz-YOïis, n'aggravez pas votre situation, vous étiez
instruit. Le grand inquisiteur me l'a dit ; mais, à ma consi-
dération, il veut bien user d'indulgence pour cette fois. Vous
pouvez encore sauver votre tète.
— Que faire?
— A'ous emparer d'un de ces caciques dans les vingt-quatre
heures. On veut faire un auto-da-fé. Partez et ne revenez pas
sans cacique. Vous m'entendez.
III
DEUXIEME RICOCHET
Une fois dans sa chambre, le capitaine Gristobal s'approcha
de son miroir, pour voir si sa tête était encore sur ses épaules.
Il savait qu'il ne faut pas badiner avec l'Inquisition. Sa préoc-
cupation était telle, qu'il ne s'était point aperçu de la pré-
sence du sergent Trifon, qui, selon son habitude, était venu
chercher le mot d'ordre.
Le sergent fit trois fois : Broum ! broum ! broum ! A la troi-
sième, le capitaine leva la tête.
— Que veux-tu ?
286 LES FLEURS ANIMÉES
— Capitaine, le mot d'ordre.
— Gredins de caciques !
Le capitaine se parlait à lui-même. Le sergent prit ses
paroles au sérieux.
— Voilà tout de môme un drôle de mot d'ordre, se dit-il ;
je voudrais bien savoir ce que les caciques ont fait à mon
capitaine pour qu'il les traite ainsi. Ce sont de bonnes gens
cependant.
— Tu connais des caciques? s'écria Cristobal, qui avait
entendu ces dernières paroles de son subordonné.
— J'en connais un, répondit le sergent.
— Il se nomme?
— Tumilco. Pas plus tard qu'hier, nous avons bu une bou-
teille de Porto ensemble. C'est un brave homme, et pas fier,
quoique descendant en droite ligne de JMontézuma.
— Sergent Trifon, reprit Cristobal d'une voix solennelle,
vous entretenez des relations avec des idolâtres, avec des
gens qui adorent le soleil. Seriez-vous par hasard infecté de
cette hérésie ?
— Si c'est être infecté d'hérésie que de boire un coup avec
LE DElîMER CACIQUE 287
un ami qui vient à iMexico se défaire du produit de sa chasse,
j'avoue que je sens furieusement le roussi.
— Ne riez pas, serg-ent Trifon, la chose est plus grave que
vous n'avez l'air de le croire. Depuis longtemps, l'Inquisition
a les yeux fixés sur vous. On aurait pu vous faire saisir et con-
duire derrière l'Alaméda, près d'un certain mur oii une
dizaine de balles auraient fait justice d'un traître et d'un
apostat; mais j'ai intercédé pour vous. On consent à vous
laisser la vie, mais à une condition.
— Laquelle? demanda Trifon en tremblant.
— C'est que, dès ce soir, le cacique Tumilco sera sous les
verrous du saint Office. Prenez quatre hommes et un caporal,
et emparez-vous de lui.
— Mais, capitaine , songez que hier encore nos verres se
sont choqués.
— Soit ! ce scrupule vous honore ; un autre prendra Tu-
milco; mais apprêtez-vous à aller faire ce soir une petite
promenade forcée à l'endroit dont je vous ai parlé.
— J'obéirai, capitaine, j'obéirai, répondit Trifon en sou-
pirant. Pauvre Tumilco !
Le capitaine courut apprendre cette heureuse nouvelle
au commandant, qui s'empressa d'aller lui-même la trans-
'JS8 ' LES FLEURS ANIMÉES
mettre au g'ouverneur, lequel en fit part immédiatement à
la Grenadilla.
IV
G RENADILLA
Après le toréador dont on pleurait la mort, après les pro-
cessions, après les courses de taureaux, après les arrivages de
la flotte d'Espagne, ce que les habitants de Mexico aimaient
le mieux, c'était la danseuse Grenadilla.
Seigneurs, bourgeois, matelots, soldats, tout le monde la
connaissait, tout le monde l'admirait, tout le monde la res-
pectait, et pourtant ce n'était qu'une pauvre danseuse des
rues, une fille du peuple qui ne connaissait même pas sa fa-
mille, une bohémienne, une saltimbanque. Mais quand cette
bohémienne, cette saltimbanque, se mettait à danser le fan-
dango, il n'y a pas de duchesse qui eût l'air plus noble, la
taille plus souple, les gestes plus fiers et plus gracieux que la
Grenadilla.
Dès qu'elle paraissait, son tambour de basque ou ses casta-
gnettes à la main, la foule s'amassait autour d'elle ; on faisait
cercle, on se disputait une place pour la voir danser. Le di-
recteur du théâtre avait voulu l'engager, mais sans succès.
La Grenadilla ne voulait pas être autre chose que la danseuse
FLEUR DE GRENADIER
LE DERNIER CACIQLE 289
du peuple, aussi le peuple l'adorait. Malheur à celui qui eût
osé toucher seulement un cheveu de la Grenadilla !
Le gouverneur faisait souvent venir la Grenadilla dans ses
appartements. Il était grand amateur de fandango, et fort en-
thousiaste du talent de la danseuse. Plusieurs affirmaient
même qu'il n'était pas insensible à ses charmes, mais que
Grenadilla se moquait de lui.
Ce qu'il y a de sûr, c'est qu'après le départ du comman-
dant, la Grenadilla étant venue, selon sa coutume, danser sur
la place du palais, un estafier du gouverneur vint lui dire que
Son Excellence l'attendait. Après le fandango, il lui apprit
qu'un auto-da-fé aurait lieu prochainement à Mexico ; Grena-
dilla répandit cette nouvelle dans la ville. Le soir, le peuple
se rendit en masse sous les fenêtres du palais, et fit retentir
J'air de ses acclamations en l'honneur du gouverneur.
Don Alvarez Mendoça y Palenzuela y Arnam s'endormit en
se disant qu'il était vraiment né pour le gouvernement et la
politique.
V
LE DESCENDANT DE MONTÉZUMA
Pendant que toutes ces choses se passaient, le cacique
Tumilco dînait tranquillement à la posada de la petite place
San-Esteban.
•• 37
290 LES FLEURS ANIMÉES
Il était arrivù au dessert, et il demandait une seconde bou-
teille de vin.
Le cacique Tumilco avait de bonnes raisons d'être content :
il s était défait fort avantageusement de toutes ses marchan-
dises, et il emportait le produit de sa vente en bons doublons
à l'effigie du roi d'Espagne.
Le sergent Trifon entra comme l'hôte mettait la bouteille ç^;^
de vin demandée sur la table de Tumilco.
— C'est vous, sergent? dit le cacique.
— Moi-même.
— Vous arrivez fort à propos pour m'aider à vider cette
bouteille. Mettez-vous là.
— Impossible.
— Comment, impossible.' Je vous dis que vous boirez.
— Pas cette fois du moins. Il m'est défendu de boire.
— Alors que venez-vous faire?
— Hélas î
— Parlez.
— Je viens vous arrêter.
Lli DERNIER CACIQUE 29J
— Le seigneur Triton est plaisant aujourd'hui.
— 11 ne plaisante guère. Regardez.
Il montra au cacique la porte de la posada cernée par son
escouade. Il lui fit signe d'entrer.
— Emparez- vous de monsieur, dit-il, en montrant le ca-
cique.
Cette fois, Tumilco comprit qu'il s'agissait d'une affaire
sérieuse, et il pâlit légèrement. Il avait eu dans sa vie quel-
ques démêlés avec le fisc, et pour être vrais, nous devons dire
que sur ce point sa conscience lui reprochait quelque chose
en ce moment. Le descendant de Montézuma se mêlait peut-
être un peu plus de contrebande qu'il ne convenait à sa noble
origine.
11 fit cependant contre fortune bon cœur.
— Et de quoi m'accuse-t-on ? demanda-t-il au sergent.
— C'est l'affaire du grand inquisiteur; vous vous en expli-
querez avec lui.
— Du grand inquisiteur ! s'écria Tumilco au comble de
l'effroi ; il ne s'agit donc pas de contrebande?
— Il s'agit du soleil. Il pîiraît que vous persistez à vouloir
adorer cet astre, fort incommode par la chaleur qu'il fait
292 LES FLEURS ANIMÉES
aujourd'hui; mais je vous connais trop pour croire ù cette
calomnie, vous n'aurez pas de peine à prouver votre inno-
cence. En attendant, suivez-moi.
— Cil me conduisez-vous ?
— Dans les cachots de la très-sainte Inquisition.
VI
LE PROCES
Une fois entre les mains du saint Office, le procès de Tu-
milco fut bientôt fait.
On le tint pendant un mois dans un cachot, loin de toute
société, privé de la lumière du ciel, avec du pain noir pour
nourriture et de l'eau.
Au bout de ce temps, on le fit venir devant ses juges.
Le président prit la parole pour l'interroger.
— Comment t'appelles-tu ?
— Tumilco.
— Ton état ?
LE DERNIER CACIQUE 293
— Cacique.
— Récite-nous un Pater et un Ave.
Tumilco ne connaissait ni Pater, ni Ave, ni aucune espèce
de prière.
Il garda le silence.
Les membres du tribunal se regardèrent les uns les autres,
comme pour se dire : Voyez, nous ne nous étions pas trom-
pés ; c'est un mécréant, un hérétique.
Le président recueillit les voix.
Tumilco fut condamné à être brûlé vif sur la place publi-
que de Mexico, la tête couverte d'un bonnet orné de diables
roug-es et le corps enveloppé dans un sac.
Les g'ardiens firent redescendre Tumilco dans son cachot ;
le lendemain on le mit en chapelle.
VII
L'AUTO-DA-PE
Cependant les Mexicains s'impatientaient.
On se demandait de toutes parts : A quand l'auto-da-fé?
294 I^ES FLKLRS ANIMÉES
Est-ce pour demain, ou après-demain? Est-il convenable et
juste de faire attendre si longtemps pour brûler un méchant
petit hérétique ? C'est montrer bien peu de zèle pour les inté-
rêts de la religion et de respect pour les bons catholiques.
On répétait tous ces propos au gouverneur, qui répondait :
— Cela ne me regarde pas : il est entre les mains de l'In-
quisition, qu'elle en fasse ce qu'elle voudra.
Le fait est que le gouverneur, épris plus que jamais des
attraits de la Grenadilla, aurait peut-être adoré le soleil pour
lui plaire ; mais Grenadilla n'était pas capable d'exiger une
telle énormité.
Un beau jour, enfin, les habitants de Mexico virent se
dresser sur la place publique le bûcher si impatiemment
attendu.
Les cloches sonnaient à toute volée, les confréries de péni-
tents, bannières en tète, se rendaient chez le grand inquisi-
teur pour lui faire cortège ; une estrade lui avait été réservée
sur la place publique en face du bûcher.
L'exL'Cution devait avoir lieu à deux heures.
Bien avant dans la matinée la foule avait envahi la
place ; on voyait des tètes aux fenêtres, des tètes sur les ar-
bres, des tètes sur les toits.
LE DERNIER CACIQUE 295
Cette multitude gesticulait, parlait, appelait le patient à
grands cris.
Enfin, à l'extrémité de la place, on vit paraître le cortège :
d'abord le clergé, puis les pénitents; à la fin, le patient au
milieu des archers de la Sainte-Hermandad.
Ce fut un moment de calme et de solennelle attente.
Il faut vous dire que ce jour-là, le gouverneur avait ordonné
qu'on fit entrer Grenadilla par l'escalier secret du palais. Il
voulait que, cachée derrière une jalousie, elle pût jouir de
tous les agréments de la fête sans être incommodée par le
soleil, la poussière et la foule.
Grenadilla était trop bonne Mexicaine pour refuser sa part
d'un auto-da-fé, aussi s'empressa-t-elle d'accepter l'invita-
tion et de se rendre au poste qui lui était assigné.
Notre impartialité d'historien nous fait un devoir de con-
venir que le gouverneur se tenait à côté d'elle, et lui adres-
sait une foule de galanteries auxquelles la danseuse semblait
ne pas faire grande attention, et qu'elle recevait en femme
qui a l'habitude de semblables compliments.
— Cruelle ! lui disait le gouverneur.
Grenadilla riait.
— Ingrate î
296 LES FLEURS ANIMÉES
Elle riait de plus belle.
— Tigresse d'Hyrcanie.
Le rire continuait.
— Mais enfin, que vous faut-il? Ma puissance, mes trésors,
je mets tout à vos pieds. Que demandez-vous? parlez !
Si à cette époque-là on eût connu la fameuse romance :
La fortune
Importune
Me paraît
Sans attrait, etc., etc.,
c'est avec ce refrain que Grenadilla lui eût répondu. Néan-
moins, il est à supposer qu'elle avait trouvé l'équivalent.
Cette fois, le vice-roi avait employé les mêmes effets d'élo-
quence, et suivi la môme progression. — Cruelle, ingrate,
tigresse d'Hyrcanie, que demandez-vous ? parlez !
Grenadilla se retourna vivement, et répondit en montrant
Tumilco qui venait de monter sur le bûcher.
— La vie de cet homme.
LK DERNIER CACIQUE 297
VIII
LE GOUVERNEUR DANS L'EMBARRAS
— Oh ! pour ceci, ma chère, s'écria-t-il, c'est impossible;
Mexico me lapiderait; et puis, cela regarde le grand inqui-
siteur.
— Alors, reprit Grenadilla avec véhémence, laissez-moi
partir, je ne veux pas être témoin d'un pareil spectacle. Adieu,
vous ne me reverrez de ma vie !
Elle voulut partir. Le gouverneur la retint.
— Songez donc qu'il y va de ma place.
— Et moi de mon bonheur.
— Mais quel intérêt si vif prenez-vous à cet homme?
— Vous le saurez quand vous l'aurez sauvé.
— Je perdrai ma place.
— Ou moi. Choisissez.
Jamais gouverneur ne fut aussi perplexe. A la fin, il s'écria :
f- 38
298 LES FLEURS ANIMÉES
— Il me vient une idée. Qu'on fasse surseoir à l'exécution,
et qu'on m'amène le cacique.
Il donna des ordres en conséquence. Il était temps; on
allait mettre le feu au bûcher.
IX
UNE CONVERSION
On amena le cacique chargé de chaînes devant le gouver-
neur. Comme le temps pressait, celui-ci entra brusquement
en matière.
— Cacique, dit-il à Tumilco, tenez-vous énormément h
adorer le soleil ?
Tumilco, étonné, le regarda sans répondre.
— Consentiriez-vous à ne plus lui immoler de victimes
humaines et à recevoir le baptême ?
— A quoi bon, puisque je vais mourir ?
— Mais si l'on vous fait grâce? -
— Alors, c'est bien différent.
LE DERNIER CACIQUE . 299
Cette réponse laconique parut suffisante au gouverneur ; il
prit une plume et écrivit au grand inquisiteur :
« Notre sainte religion peut faire une grande conquête ;
Tumilco aspire à s'abreuver aux sources de la vraie foi. Sa
conversion serait d'un boa exemple. Ce néophyte vous ferait
honneur. Je demande sa grâce. »
Le grand inquisiteur était sur la place publique, fort incom-
modé de la chaleur ; de plus, il n'avait jamais converti de
cacique. L'idée d'en amener un dans le giron de l'Église lui
sourit. Il écrivit au bas de la lettre : « Accordé. »
— Je triomphe, dit le gouverneur, tout le monde sera
content.
Une immense clameur vint le troubler au milieu de sa joie.
C'était le peuple qui murmurait et demandait à grands cris
qu'on commençât l'exécution.
— Diable ! diable ! murmura Son Excellence, je ne songeais
pas au peuple. Comment l'apaiser?
300 LES FLEURS AiMMÉES
X
COMMENT ON APAISE LE PEUPLE
Comme le bruit augmentait sans cosse, et qu'on ramassait
des pierres pour briser les vitres de son hôtel, le gouverneur
parut au balcon pour haranguer la multitude.
— Senores, s'6cria-t-il, la divine Providence a fait un
miracle. Les yeux de Tumilco se sont ouverts à la lumière; il
veut devenir chrétien. Nous lui avons fait grâce.
De sourds murmures couvrirent la voix de l'orateur; il se
hâta de poursuivre :
— Mais vous ne perdrez rien pour attendre. Le baptême
cacique Tumilco aura lieu dès demain. Pour célébrer ce
grand événement, il y aura procession générale et course de
taureaux.
Entre l'auto-da-fé et le baptême, le peuple hésita un mo-
ment, puis il se décida à accepter la compensation qui lui
était offerte. Mille cris de joie témoignèrent de la satisfaction
générale.
Aussitôt le gouverneur rentra pour jouir de sa victoire et
des remercîments de Grenadilla, mais elle n'était pins là.
LE DERNIER CACIQUE 301
C'est en vain qu'il la fit chercher dans tout le palais. Personne
ne put lui donner de ses nouvelles.
XI
INTERMEDE
Le lecteur s'est sans doute imaginé que Grenadilla, fière et
belle comme la fleur dont clic porte le nom, a néanmoins un
penchant secret pour le cacique, jeune et beau sauvage de
vingt ans. Les lois du roman le voudraient ainsi , mais la
vérité a ses droits qu'il nous faut respecter. Tumilco est laid,
vieux, cassé, et si Grenadilla l'aime, comme le chapitre pré-
cédent nous en fournit la preuve, c'est que le cacique a pris
soin de son enfance ; c'est que, pauvre enfant abandonnée,
elle fut recueillie par lui, et protégée jusqu'au jour oîi il fut
obligé de s'expatrier pour des raisons qu'il serait trop long
de rapporter ici.
Grenadilla venait de s'acquitter envers Tumilco en lui sau-
vant la vie.
Satisfaite d'avoir rempli son devoir, elle partit le soir même
pour l'Europe. C'était le seul moyen de se soustraire aux
poursuites du gouverneur.
Après trois mois de traversée, le vaisseau qui la portait fit
302 LES FLEURS ANLMÉES
naufrag"e. Le corps de Grenadilla fut porté par la vague sur le
rivage d'Espagne.
La Fée aux Fleurs, qui se trouvait en ce moment dans ces
parages pour surveiller le Jasmin, recueillit le corps de
Grenadilla, et permit qu'on élevât, à l'endroit oii elle l'avait
trouvé, un magnifique bosquet de grenadiers dont les fleurs
et les fruits réjouissent la vue, comme Grenadilla la récréait
autrefois par sa beauté et ses talents.
XII
POUR EN REVENIR AU CACIQUE
Une fois baptisé sous le nom d'Esteban, il se fixa à Mexico,
où il vécut d'une pension modique que lui laisait le gouver-
nement en qualité de descendant de Montézuma.
Des doutes s'étaient élevés plusieurs fois sur la sincérité de
sa conversion, et on songeait à le faire passer de nouveau
devant le saint Office, lorsqu'il tomba gravement malade. Il
demanda à voir un médecin : ses voisins, plus charitables, lui
envoyèrent un prêtre.
— Frère Esteban, lui dit le prêtre, le moment est venu de
recommander votre âme à Dieu.
!.E DER.MEll CACIQUE 303
— Je ne m'appelle pas Esteban, dit le cacique, on me
nomme Tumilco. Allez-vous-en.
— Songez à Dieu, mon frère.
— Ton Dieu n'est pas le mien, reprit Tumilco; qu'on ouvre
les fenêtres.
On obéit à ce désir. Le soleil ù son déclin brillait encore
à l'horizon.
— Voilà mon Dieu, s'écria le cacique, c'est celui de mes
pères. Soleil, reçois ton enfant dans ton sein !
Le prêtre se cacha les yeux avec la main, fit le signe de la
croix et murmura : Vade rctro, Satanas.
Tumilco était mort.
— Vous empêcheriez plutôt le tournesol de suivre la mar-
che du soleil, que ces hérétiques de revenir au culte de leur
astre. Voilà ce qu'on a gagné à ne pas le brûler.
Le voisin charitable qui prononçait cette oraison funèbre
ne se doutait pas que Tumilco le cacique n'était autre chose
que l'incarnation du Tournesol. En adorant le soleil, il ne
faisait que suivre la loi de la nature.
PAVOT
-.niicr frères. Edi'iOuri
,-\^->- V \/'\J'\^^
/\/-\^^>"s^-\/0-
NOCTURNE
LE PAVOT
ETAIS autrefois la fleur
du sommeil ; mais le
sommeil ne suffit plus
à l'homme pour oublier
ses maux.
L'homme ne veut plus
i.{[{f ^l^^'^j^rTP dormir, il faut qu'il rêve. J'étais l'oubli, je
mis devenue l'illusion.
Il m'a frappée au cœur, et il a bu le sang qui coulait de ma
blessure.
I. 39
306 LES FLEURS ANIMÉES
Hélas ! pour moi, depuis ce jour, plus de tranquillité, plus
de bonheur, plus de joie !
Dès que ma tige s'élève un peu au-dessus de la terre, le
fer s'approche de moi, on me perce le sein, d'oii s'échappe
la liqueur qui donne des visions, ces longues ivresses de la
tète et du cœur.
Dès que l'homme m'a approchée de ses lèvres, son âme
prend des ailes; elle quitte la terre.
Elle retourne vers le passé ou s'élève vers l'avenir.
Ile plane sur le souvenir ou sur l'espérance.
Oii est le temps où je me promenais le soir dans l'espace,
laissant tomber ma graine innocente sur le front des hu-
mains ?
J'appelais auprès de moi le doux sommeil, fils du travail,
père des rêves paisibles.
A la mère endormie, je montrais son nouveau-né frais et
souriant; à l'orphelin, je faisais voir sa mère doucement
inclinée sur ses lèvres pour lui donner sa bénédiction dans
un baiser.
Ma vie s'écoulait heureuse et paisible, courte et radieuse,
comme le printemps.
LE PAVOT 307
Quel gvnic malfaisant a révélé à l'homme l'existence du
philtre renfermé dans mon sein, de ce philtre qui est la cause
funeste de ma mort?
Mais pourquoi me plaindre ?
Je suis semblable au poète : les hommes lui doivent leurs
plus douces jouissances, leurs plus charmantes illusions, et
il est leur première victime.
\
.4^
IV.VA\ rvo ||\NG F. 1^
l-arnier :rercs. Editeurs
ÉPITHALAME
-OO^^XhO-
LA FLEUR D'ORANGER
-0 ]|gii ''"[S' '2i^ s O -s ''Z. "'Z',. "C" °~
ES compagnes, ô jeune fille! ont cher-
ché ce matin dans la campagne humide
de rosée une fleur pour former ta parure
virginale.
^^-5-^' Xu vas nous quitter pour suivre celui
que tu aimes ; tu ne partageras plus nos danses et nos jeux.
Accepte cette fleur d'oranger ; c'est son doux parfum qui
nous a conduites vers elle.
310 LES FLEURS ANIMÉES
Nous nous sommes approchées de l'arbre, et la fleur d'oran-
g-er nous a dit
— Vous cherchez un bouquet pour orner le sein d'une
fiancée, cueillez-moi.
Je suis blanche comme elle, douce comme elle; semblable
îi la chasteté, mon parfum dure longtemps encore après qu'on
m'a cueillie.
— Fleur des fiancées, lui avons-nous demandé, pourquoi
portes-tu des fruits sur ta branche ?
Elle nous a répondu :
— Je suis l'emblème de la mariée; amante encore, elle est
mère ; la femme vit auprès de ses enfants, la fleur à cùté du
fruit.
Alors nous l'avons cueillie.
Partage cette branche d'oranger, jeune fille; mets-en la
moitié dans tes cheveux, l'autre moitié sur ton sein. C'est le
dernier don de tes chères compagnes.
Ce soir nous te conduirons à l'église, et ta mère, en t'em-
brassant, fermera derrière toi la porte de la maison de l'é-
poux.
LA FLEUR D'OUANGEU 31 1
Conserve notre g'uirlande et notre bouquet, jt-une lille;
conserve-les bien, et puisses-tu, quand lu fleur d'oran-er
sera fanée, ne pas regretter le temps oii lu étais blanche
comme elle.
«lu '
,11,
•w \y ^■\y~^/-\
L'ANE
RECOUVERT DU PALETOT DU LION
CE QU'ON DISAIT DANS LE QUARTIER
N disait que M"* Rose Chardon était
une grande et belle fille, marchant la
tête haute, un peu vive dans ses re-
parties, par exemple, mais excellente
au fond, quoique fière; quelques-uns
même prononçaient vaniteuse.
On disait qu'il ne fallait pas l'approcher de trop près ; dans
40
314
LES FLEURS ANIMÉES
SOS yeux brillants, sur le bout de son nez retroussé, on lisait
écrit ces paroles : Qui s'y frotte s'y pique.
On disait que personne n'osait lui faire la cour. Sur ce
point, le quartier se trompait.
II
LE LION
M. le marquis Annibal-Astolphe-Tancrède de l'Asnerie
aperçut un jour M"* Chardon qui travaillait à sa fenêtre par
une belle après-midi d'été. Comme le marquis Annibal-
Astolphe-Tancrède de l'Asnerie était fort inflammable, il s'en-
flamma. Il jura qu'il se ferait aimer de la grisette, chose
qui, au surplus, ne lui semblait pas devoir être extrêmement
difficile.
TII
LE CLERC DE NOTAIRE
Le marquis n'était point le seul qui se fût aperçu de la
beauté de Rose. Lilio, le clerc du procureur du coin de la
grande place, l'avait remarquée depuis fort longtemps. Un
beau jour il se décida à lui écrire pour lui révéler son amour.
' m/t r où /e /îvur.â Pan
C H A F^ 0 () N
Garnier frères, Editeurs
L'AiNE RECOUVERT DU PALETOT DU LION 315
Et il passa et repassa pendant une heure sous sa fenêtre pour
attendre sa réponse. Le marquis Annibal-Astolphe-Tancrède
eut la même idée le môme jour. Il envoya une lettre et vint
lui-même chercher la réponse. Il se promena pendant deux
heures sous le balcon, en faisant hum! hum! hum! C'était
un homme d'expédients, que le marquis.
La vieille portière de Rose s'aperçut de ce manège : elle fit
clart de sa découverte au porteur d'eau, qui la communiqua
à la fruitière, laquelle en parla tout haut chez l'épicier. Au
bout de vingt-quatre heures, tout le quartier sut que deux
hommes faisaient la cour à M"* Chardon, la jolie Rose Char-
don : le marquis Annibal-Astolphe-Tancrède de l'Asnerie et
le petit clerc Lilio. C'était bien le plus charmant petit clerc
qui fût au monde, un vrai chérubin de clerc, amoureux de
toutes les femmes, mais n'en aimant qu'une. Rose Chardon,
et puis toujours gai, toujours souriant, tendre et enjoué,
sentant l'amour, la jeunesse et la santé d'une lieue.
IV
NOUVELLES OPINIONS DU QUARTIER
Quand il fut au fait de la situation des choses, le quartier
naturellement se demanda : Qui l'emportera des deux rivaux,
du marquis ou du clerc de notaire?
316 LES FLEURS ANIMÉES
Doux camps se formèrent; comme toujours, les femmes se
divisèrent. Les filles disaient : Ce sera Lilio ! les vieilles
offraient de parier pour Annibal-Astolphe-Tancrède.
— Lilio est beau !
— Annibal-Astolphe-Tancrède est noble.
— Lilio est spirituel.
— Annibal-Astolphe-Tancrède est riche.
— Lilio la rendra si heureuse !
— Annibal-Astolphe-Tancrède la rendra marquise.
On voit que ces damnées vieilles femmes avaient une ré-
ponse prête à tout. Une pénible incertitude régnait dans tout
le quartier, et l'on cherchait à deviner les secrètes intentions
de M'"^ Rose Chardon.
V
COUP D'ŒIL JETÉ AU FOND DU CŒUR DES FEMMES
Elle-même les connaissait-elle?
Qui pourra jamais savoir ce que pense une femme placée
L'ANE RECOUVERT DU PALETOT DU LION :JI7
entre ses sentiments et ses instincts, entre son cœur et su
fortune! D'abord elle dit non à la fortune.
La première fois elle crie très-fort, la seconde fort seule-
ment, la troisième à voix haute, la quatrième elle parle comme
à l'ordinaire, la cinquième à demi-voix, la sixième à voix
basse, puis elle murmure, puis elle se tait. La fortune revient
à la charge.
Elle murmure un oui, elle le répète à voix basse, puis à
demi-voix, puis d'un ton ordinaire, puis à voix haute, ensuite
fort, très-fort, excessivement fort.
Voilà comment la femme fait son choix.
La jeunesse, la beauté, l'esprit, les qualités de l'âme et de
l'intelligence, tout cela commence par paraître fort beau, mais
le luxe, l'éclat, le rang-, le titre, ne sont pas à dédaigner non
plus; on les méprise de loin, la perspective change dès
qu'on peut les atteindre. Le sacrifice coûte quelques soupirs,
il est vrai, mais le feu des diamants sèche bien vite toutes les
larmes.
La vanité fait taire l'amour, et comment ne pas être vaine
quand on possède les charmes de M"^ Rose Chardon ?
Aussi les vieilles commères du quartier avaient-elles bien
raison de dire, en voyant un jour la belle lingère repousser
318 LES FLEURS ANIMÉES
dédaigneusement les galanteries du marquis Annibal-Astol-
phe-Tancrède : — Elle a beau faire, elle y viendra.
VI
ou LE MARQUIS TRIOMPHE
Elle y vint en effet. — Oii donc? — Chez le marquis, un
soir, à la brune; on la fit entrer par la petite porte du parc.
Dans la nuit, ils partirent ensemble pour l'Italie.
Il y a des femmes, et ce ne sont ni les moins spirituelles,
ni les moins jolies, que la niaiserie, la sottise fascinent. Ces
deux qualités doivent, il est vrai, être accompag-nées de beau-
coup d'argent. M"" Chardon était sans doute au nombre de
ces femmes.
♦
Le marquis Annibal-Astolphe-Tancrède, malgré les criail-
leries de la branche aînée et de la branche cadette de la noble
maison de l'Asnerie, épousa la lingère. Il s'était entiché de
sa mésalliance.
L'ANE RECOUVERT DU PALETOT DU LION 319
VII
UN BEL EXEMPLE DE MODERATION
Nous devons dire que les vieilles du quartier n'abusèrent
point de leur victoire ; elles ne crièrent point par-dessus les
toits, et se contentèrent de dire aux jeunes : — Eh bien ! qu'en
pensez-vous ?
VIII
LE DÉSESPOIR D'UN PETIT CLERC
Lilio s'arracha les cheveux, et déclara à son patron qu'il
voulait s'engag'er dans les grenadiers du roi.
Il se disait, en se promenant tout seul dans sa petite cham-
bre : — J'aurais bien mieux fait, puisque je pouvais choisir,
de prendre sur la terre la forme féminine; j'aurais mis des
fleurs dans mes cheveux, des fleurs à ma ceinture, et l'on
m'aurait aimée.
A quoi me sert d'être Lilas frais et parfumé, si on me dé-
daigne, si les ling'ères me préfèrent un imbécile, un animal,
un âne, comme ce marquis?
320 LES FLEURS ANIMÉES
Lilio ne connaissait pas la fleur à laquelle il s'était adressé;
il n'aurait pas été si étonné de son choix. Le chardon a tou-
jours été fait pour les... marquis.
IX
LA MARQUISE
Au bout d'un an de mariage, la marquise de l'Asnerie
s'aperçut que son mari était avare, ignorant, grossier, sen-
suel. Malgré ses titres, le bout de l'oreille du manant perçait
toujours.
Un procès qu'on lui intenta prouva, en effet, qu'il n'était
point fils de son père ; qu'il n'était qu'un enfant de paysan
que le marquis de l'Asnerie avait introduit dans sa famille
pour frustrer ses véritables héritiers.
M"' Chardon en fit une maladie. Maintenant elle plaide en
séparation contre son mari.
EGI.ANTINK
I,. armer irores iLditeurs
LA VERITE
CLÉMENCE ISAURE
ES dieux et les hommes me sont témoins
que je n'ai jamais sollicité les faveurs de
la muse toulousaine; je suis pur de toute
pièce envoyée au concours des jeux Flo-
raux. On ne pourra donc m 'accuser ni
d'envie ni de dépit, si je dis la vérité sur Clémence Isaure.
On a vu au commencement de ce livre qu'en quittant le
I. 41
322 LES FLEURS ANIMÉES
domaine de la Fée aux Fleurs, l'Églantine manifesta l'inten-
tion bien arrêtée de se faire femme de lettres.
Cette profession était tombée en discrédit, et on ne se sou-
venait guère que par tradition du temps oii il existait des
femmes de lettres, lorsque l'Églantine arriva en Gascog'ne. Ce
pays lui plut naturellement, et elle se fixa à Toulouse, capitale
des troubadours.
Jeune, belle, ricbe, elle obtint tout de suite un grand suc-
cès; ses salons ne désemplissaient pas; on la citait pour son
esprit, son bon goût, l'éclat de sa parure. Comme il faut que
toute femme de lettres ait sa manie, elle ne se montrait en
public que chaussée de bas couleur d'azur.
De là le nom de bas-bleu qu'on a donné par la suite à
toutes les personnes du beau sexe qui s'occupent de poésie
et de littérature.
Comme un seul nom ne lui suffirait pas, elle s'appela Clé-
mence Isaure.
Les journaux n'ayant pas encore été inventés, l'Églantine,
autrement dit Clémence Isaure, n'eut pas le bonheur de voir
paraître chaque matin le résultat de ses inspirations de la
veille. File se contentait de lire ses productions à ses amis.
A cette époque, on se réunissait déjà pour écouter des petits
vers. On ne sait pas ce qui remplaçait le thé et les sandwichs.
LA VÉRITÉ SUK CLÉMEiNCK ISAURK 323
C'est dans cette réunion intime qu'elle puisa la première
idée d'une académie. Elle en fut détournée par son mariage,
qui eut lieu vers cette époque.
Clémence Isaure épousa Lautrec, jeune et beau cavalier qui
l'aimait passionnément, et qui, pour devenir son mari, brava
la malédiction paternelle.
Quelques mois après, Lautrec en était à se repentir. Clé-
mence Isaure voulait qu'il s'occupât des soins du ménage,
qu'il comptât avec la cuisinière, avec la blanchisseuse, avec
le boucher, avec l'épicier, avec tous les fournisseurs.
Un moment Lautrec se consola en songeant qu'il allait
devenir père. Hélas! ce titre fut pour lui un nouveau surcroît
de chagrin et de désespoir. Clémence Isaure lui laissait tout
le soin du marmot : c'était à lui à le débarbouiller, à le ber-
cer, à le garder. Clémence Isaure émit la première cette pen-
sée, aussi ingénieuse que profonde : Un mari est une bonne
donnée par le Code civil.
Lautrec mourut jeune; les uns disent de fatigue et de cha-
grin, les autres d'une fluxion de poitrine.
Quoi qu'il en soit, Clémence Isaure le pleura et composa
une magnifique épitaphe en vers gascons, pour orner la tombe
de son mari.
Au bout de six mois, cette veuve inconsolable voulut se
324 LES FLEURS ANIMÉES
remarier; mais l'exemple du jeune et beau Lautrec effraya les
plus hardis. Pour se consoler des ennuis du veuvag-e. Clé-
mence Isaure, libre de tout soin, fonda alors la célèbre aca-
démie des jeux Floraux, qui subsiste encore de nos jours.
Elle voulut que l'auteur du plus beau morceau de poésie
fût décoré d'une églantine d'or : elle-même se donnait en
prix .
Depuis cette époque, l'Églantine a subi mille métem-
psycoses. Elle a habité tour à tour le corps de Marguerite de
Navarre,
De M"" Du Deffant,
De M""' de Staël.
Quelquefois elle a choisi des personnalités moins illustres.
Sous l'Empire, elle s'appelait M'"' Babois;
Sous la Restauration, elle signait : la Contemporaine.
JNous ne vous dirons pas sous quel nom elle est connue
maintenant.
Devine si tu peux, et choisis si tu l'oses.
11 y a des gens qui maudissent l'Églantine, mère de tous
les bas-bleus. Franchement, ils ont tort : que deviendraient
LA VÉRITÉ SUR CLÉMENCE ISAURE
32o
les poètes incompris, s'ils n'avaient le cneur d'un bns-l)leu
pour les consoler?
D'autres prétendent^qu'on calomnie l'Eglantine, en disant
que cette jolie et charmante fleur représente la poésie. Eli !
mon Dieu, oui! la poésie des bas-bleus, fleur agréable dans
sa jeunesse, fruit fade et ridicule dans sa vieillesse.
"■""dvill^ aei
.f„ra~nJn l <r r âJa
CAPrClXE
LE COUVENT
DES CAPUCINES
sous LA CHARMILLE
&i^M^
MIDI, la chaleur est si forte sous le beau
ciel de Séville, que marchands, soldats,
nobles, prêtres, chanoines, archevêques,
religieuses, abbesses, même le grand
inquisiteur, tout le monde fait la sieste.
Seules, deux jeunes filles du couvent des Capucines ne se
livraient pas au sommeil.
328 LLS FLiaîHS AMMÉES
Assises sous iuk' cliannilk' au fond du jardin du cloîlro,
olles causaient h voix basse. Mais de quoi, je vous le dciiiaude,
peuvent causer deux capucines, quand tout le inonde dort,
quand il fait si chaud ?
De ce qui tient les jeunes cœurs éveillés, de ce qui leur
fait oublier la chaleur, la froidure, le vent et le soleil, de
fêtes, de plaisirs, de promenades en plein air, de danses, de
liberté.
Il se pourrait bien aussi qu'elles parlassent d'autre chose,
mais nous n'en sommes pas assez sûrs pour l'affirmer.
— Je ne puis vivre plus longtemps ici, disait sœur Carmen.
— Je mourrai si on ne me retire pas du couvent, s'écriait
sœur Inès.
Rien qu'à voir les deux religieuses, on s'apercevait bien
vite c[u'en etlét la vie du couvent ne pouvait leur convenir.
Les yeux de Carmen lançaient des flammes; ceux d'Inès
étaient humides de langueur; les pieds et les mains de Carmen
auraient été les plus beaux du monde sans les pieds et les
mains d'Inès, rs^otr^ enthousiasme nous entraînerait trop loin
si nous faisions le détail de leurs autres charmes.
Sœur (Carmen et sœur Inès reprirent ainsi leur conver-
sation :
Lt: COUVENT DES CAPUCINES 329
— Le jour, j'ai comme des vertiges ù la tète, et, la nuit,
je ne puis dormir.
— Moi, je fais des rêves afTreux.
— Oh ! dis-moi tes rêves ?
— Il me semble que j'entends le bruit d'une guitiire sous
la fenêtre de ma cellule, et une voix qui m'appelle Inès !
Inès!
— Ma chère sœur, j'ai fait le même rêve la nuit dernière.
— Si, en effet, un homme venait sous nos fenêtres !
— Si c'était le diable! On dit qu'il rôde toujours .autour
des couvents.
— Tu as raison, c'est lui qui nous envoie ces mauvaises
pensées.
— Il faut tout dire à notre confesseur.
— En attendant, prions notre patronne, afm qu'elle éloigne
de nous le tentateur.
Et les deux sœurs furent s'agenouiller dévotement au pied
d'une croix placée au milieu du jardin.
42
330 LES FLEURS A.NIMEES
II
SŒUR GUIMAUVE
La sœur infirmière était descendue au jardin pour cueillir
des simples dont elle avait besoin pour ses malades.
Il faut vous dire que cette infirmière n'était autre que la
Guimauve. Sur la terre, elle n'avait cherché qu'à développer
ses instincts de bienfaisance. Longtemps elle avait exercé
l'état de g-arde-malade. Préparer des tisanes était son suprême
bonheur. Souvent, lorsqu'elle se promenait dans la campa-
gne, si elle rencontrait une sauterelle accablée par la chaleur,
faisant la sieste dans un sillon, ou une grenouille tapie dans
les joncs, elle trouvait que la sauterelle et la grenouille avaient
l'air d'être malades, et elle les emportait au logis pour les
soigner. Elle poussait le dévouement jusqu'à la monomanie.
Lasse du monde, oij, disait-elle, personne ne se croyait
malade, elle s'était retirée dans un couvent, oii on lui avait
donné la direction en chef de l'infirmerie, emploi fort impor-
tant dans un lieu oii, ne sachant comment tuer le temps, on
le passe souvent à se croire malade. Aussi la Guimauve
bénissait-elle tous les jours sa nouvelle position.
Comme la panacée, son remède universel était la guimauve,
GUIMAUVE
V' :-.-nier Irere? .
LE COUVENT DES CAPUCINES ^31
qu'elle voulait qu'on prît sous toutes les formes, tisane,
pâte, etc., etc.; les jeunes religieuses l'appelaient en riant
sœur Guimauve : ce surnom avait fini par lui rester.
Sœur Guimauve aperçut les relig-ieuses en prières.
— Ne vous dérang-ez pas, mes chères enfants, leur dit-
elle, continuez votre oraison; je viens inspecter mon petit
domaine. Ah! ces maudites capucines, elles ne fleuriront donc
jamais !
Elle montrait en même temps une mag-nifique bordure de
ces plantes dont on voyait seulement poindre les boutons.
III
LE MUGUET
Parbleu ! se disait un jeune et fringant cavalier en se mi-
rant dans sa g-lace, j'ai fort bien fait de changer de sexe. Il
faut avouer que je m'ennuyais joliment, lorsque, danseuse à
l'Opéra, je passais mon temps à exécuter des pas de deux en
compagnie de la Campanule. Était-ce pour cela que j'avais
quitté le jardin de la Fée aux Fleurs?
Maintenant, j'ai un chapeau à plumes, un pourpoint de
satin, un manteau de velours, des bouffettes a mes souliers,
332 LES FLEURS ANIMÉES
une rapière à mon coté et un nœud de rubans sur l'épaule.
On m'appelle don Guzman; je souris aux belles, je leur en-
voie des billets doux; voilà la seule, la véritable existence du
Muguet.
Après ce monologue, don Guzman tira sa montre enrichie
de brillants.
— Onze heures! s'écria-t-il, oia irai-je entendre la messe
aujourd'hui?
IV
LA LETTRE
Après avoir passé en revue toutes les églises de Séville,
don Guzman se décida pour l'église des Capucines. Les reli-
gieuses venaient entendre la masse dans une chapelle parti-
culière. Elles n'étaient séparées, du reste, des fidèles que par
une grille. Don Guzman avait remarqué que les sœurs Capu-
cines étaient les plus jolies religieuses de Séville, et il ne
manquait pas, toutes les fois qu'il venait à leur église, de se
placer à côté même de la grille.
Ce jour-là, le hasard voulut que sœur Carmen fût placée
au premier rang, à l'angle de la chapelle môme, contre l'en-
droit de la grille oii était adossé don Guzman.
LE COUVENT DES CAPUCINES 333
Celui-ci regarda la religieuse, et elle baissa les yeux; il la
regarda encore, et vit qu'elle rougissait. 11 n'en demandait
jamais davantage.
Comme, pour être prêt à toutes les éventualités, il avait
toujours ses poches garnies de déclarations diversement rédi-
gées, selon le rang des personnes auxquelles il s'adressait,
il fouilla dans sa poche aux religieuses, et il en tira une lettre
qu'il laissa tomber adroitement sur les genoux de Carmen,
sans que personne s'en aperçût.
Dans cette lettre, il proposait à Carmen de l'enlever. Si
elle y consentait, elle n'avait qu'à se trouver à minuit à la
petite porte du couvent.
V
LES CAPUCINES
Pour peu qu'on connaisse la botanique, on sait que les ca-
pucines sont des fleurs à passions ardentes. Éclatantes le jour,
on les voit la nuit s'entourer d'une auréole d'étincelles phos-
phorescentes. Quelle idée leur avait fait choisir de préférence
la vie claustrale? C'est ce qu'on ne peut deviner, à moins
qu'elles n'aient été entraînées par une similitude de noms.
Carmen et Inès étaient deux Capucines. L'ennui qu'elles
éprouvaient au couvent n'étonnera personne.
334 LES FLEURS ANIMÉES
Quelque bonnes résolutions qu'elles eussent puisées au
pied de la croix, elles ne suffirent pas à les protég-er contre la
lettre de don Guzman.
Carmen la montra à Inès,
Après mille réflexions, mille hésitations que nous épar-
gnons au lecteur, Carmen et Inès résolurent de fuir ensemble.
Cela leur était facile, attendu l'indulgence de la mère abbesse,
qui n'enfermait que les novices dans leurs cellules. Quant à
la clef de la petite porte du jardin, elles savaient oii la pren-
dre chez la tourière, qui s'endormait régulièrement à neuf
heures et qui ne se réveillait que le lendemain matin, quoi
qu'il pût survenir au couvent. Il y a des sommeils qui protè-
gent l'innocence.
VI
UN CHANGEMENT DE DESTINATION
Aucun nuage n'obscurcit le ciel, le vent ne mugit point
sourdement, la lune ne se voila pas lorsque les deux fugitives
franchirent les murs du couvent. Nous voudrions bien dire
que minuit sonnait à l'Iiorloge de la vieille tour, mais le fait
est qu'il n'y avait au couvent des Capucines ni tour ni hor-
loge.
LE COUVENT DES Cx^PUCLNES 335
Don Guzman attendait Carmen à quelques pas d'une chaise
de poste.
En voyant les deux jeunes filles, la surprise l'arrêta.
— C'est ma sœur, lui dit Carmen à voix basse; vous nous
protégerez toutes les deux.
L'afTaire se complique, pensa le Muguet, mais enfin il faut
se résigner.
— Oii voulez-vous que je vous conduise?
Les deux sœurs se regardèrent.
— Nous n'y avons pas pensé, lépondirent-elles d'un ton
timide.
— Vous fiez-vous entièrement à moi, belle Carmen?
— Il le faut bien, seigneur don Guzman.
— Eh bien, alors, montez en voiture.
II entra en voiture après elles.
— Pablo, cria-t-il au postillon au moment de fermer la
portière, au...
— Au jardin de la Fée aux Fleurs, fit une voix inconnue,
en achevant la phrase commencée.
^
330
LES FLEUHS AiMMÊES
Et les chevaux, comme s'ils avaient des ailes, emportèrent
la voiture, qui disparut dans l'espace.
Le moment était venu de faire rentrer les fugitives au ber-
cail, et la Fée aux Fleurs commençait sa tournée dans ce
but.
Comme la Guimauve ne faisait que du bien sur la terre,
elle résolut de ne la rappeler que la dernière.
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DUETTIA'O
LE PERCE-NEIGE
LA PRIMEVÈRE
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E Perce-Neige. — Primevère! Primevère!
réveille-toi.
La Primevère. — Qui m'appelle ?
Le Perce-Neige. — C'est Perce-Neige,
ton ami, qui a froid et qui voudrait se réchauffer à ton
haleine !
La Primevère. — Pourquoi ai-je dormi si long-temps? Il
43
4
338 m:s fleurs animées
fait si bon respirer la brise priiitanière, voir l'iierbe verte,
sentir la tiède odeur des bourgeons, se mirer dans le clair
ruisseau !
Le Perce-Neige. — Sans moi, tu dormirais encore, c'est à
moi que tu dois les sourires de cette riante matinée d'avril.
Si tu savais comme tu es jolie dans ton petit corsage blanc,
comme tes joues sont fraîches, comme tu t'inclines gracieu-
sement sous la brise qui t'effleure ! Penche vers moi ta corolle,
et laisse-moi te donner un baiser.
La Primevère. — Le printemps n'aime pas l'hiver; la jeu-
nesse n'aime pas la vieillesse. Tu vas mourir et tu parles
d'aimer !
Le Perce-Neige. — ^Mes forces se sont épuisées à percer
les dures neiges de Uhiver; mais ton parfum me ranime,
Primevère; l'amour me fera revivre.
L'a Primevère. — N'entends-tu pas dans l'air comme un
battement d'ailes invisibles ! Il arrive, le jeune Zéphire; c'est
lui que je veux aimer, c'est lui qui aura mon premier baiser.
Le Perce-Neige. — J'ai fleuri jusqu'à ce jour malgré la
glace; je sens venir le printemps . Me faudra-t-il mourir sans
entendre le doux chant des oiseaux, sans sentir la chaleur
vivifiante du soleil et de l'amour?
La Primevère. — Les vieillards ne sont faits ni pour le
LE PEHCE-NEIGK ET LA I' U I M E VK HE
339
soleil ni pour l'amour; l'aii' chaud du printemps et des pas-
sions brise leur poitrine débile. Malheur à celui qui aime
trop tard !
Pendant qu'elle parlait, Zéphire planait sur la Primevère !
haleine et parfum, tout se confondit. Le vent, ému de ce
baiser, passa sur la tête du Perce-Neig^e ! il inourat tué par
la première brise.
.•\j'\y\,-\j'\/'\j'\j'\
TABLE DES MATIERES
CONTENUES DANS LE rKEMIEK VOLUME
PAGES
Introduction, par ALrn. kark. . 1
Le Fée aux Fleurs 9
Histoire d'une bergère blonde. . . 17
Comment le poète Jacobus crut avoir
trouvé le sujet d'un poème épique. 39
Ghasel. — La Fleur préférée. . . 65
Une Malice de la Fée aux Fleurs. . 69
Lied. — La Fleur du Pays. . . 77
La Sultane Tulipia 81
L'Album de la Rose 91
Les Fleurs de Nuit 111
Narcissa 115
La première Fleur 123
Grave Conflit 127
La Fleur d'Oubli 143
Sœur Nénuphar 147
Les Fleurs du Bal 153
Le Myrte et le Laurier 157
Chevrette la Chevrièi-e 167
Les Regrets du Camélia 177
L'Immortelle 189
PAGES
L'Oracle des Prés. . . . • . . . 193
La Fleur du Souvenir 197
Les Contrastes et les Affinités. . . 201
Le Trèfle 217
Une Leçon de Philosophie botanique. 219
L'Aloès 229
Les Contrastes et les Affinités [suile
et fin) 233
L'Acacia et la Vague 249
Le Saule Pleureur 253
La mode des Fleurs 257
L'Aubépine 269
Histoire de la Ciguë 273
Le Lin 279
Le Dernier Cacique 281
Le Pavot 305
La Fleur d'Oranger 309
L'Ane recouvert du paletot du Lion. 313
La Vérité sur Clémence Isaure. . . 321
Le Couvent des Capucines. . . . 327
Le Perce-Neige et la Primevère. . 337
''\J'\y\j'\y\y-\y\
TABLE DES GRAVURES
DU P K E M 1 E li T O LU M E
PAHKS
Bluet et Coquelicot 17
Lis 25
Pensée 37
Tabac 69
Tulipe 81
Rose 91
Narcisse 115
Violette 127
Xénupliar 147
Laurier 157
Myrte 157
Clièvre-Feuille 167
Camélia 177
Immortelle 189
PAGES
]\Iarguerite 193
Belle-de-Xuit 201
Œillet 219
Ciguë •. ... 273
Lin 279
Soleil 281
Fleur de Grenadier 288
Pavot 305
Fleur d'Oranger 309
Chardon 313
Églantine 321
Capucine 327
Guimauve 330
Primevère et Perce-Neige. . . . 337
PABIS. ÉDOLABD BLOT, lilPBlllEUB, BUE TU BENNE, C6
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